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Les enfants de parents malades mentaux

La mère psychotique et son enfant : du désir au déni d’enfant

 

Le désir d'enfant est-il compatible avec un état psychotique? Dans les états psychotiques maternels, existe-t-il des risques pour l'enfant ? Ces deux questions soulèvent un point de vue éthique concernant le désir d’enfant chez les personnes malades mentales. Lorsque les malades mentaux expriment le désir d'avoir un enfant, naît, chez les professionnels, une grande appréhension quant au devenir de l'enfant, et sont suscitées des tentations eugéniques. Cette question est cependant d'actualité, puisque l'efficacité des neuroleptiques et la politique en santé mentale encouragent l'insertion des malades mentaux, les invitent à mener une vie aussi proche de la normale, donc ils ont des relations sexuelles, ils ont des enfants. Néanmoins, les enfants nés de mères psychotiques sont identifiés comme à haut risque par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis 1975. C'est-à-dire qu'ils justifient des mesures d'accompagnement et de prévention. L'enfant court trois risques : risque de développer une maladie mentale en partie héréditaire, risque quant à son développement, risques liés aux souffrances, lorsque l'enfant est confronté à la folie de ses parents. La difficulté à l'établissement du lien mère–enfant est souvent observé au sein même de la dyade psychotique qui fonctionne de manière très fusionnelle, en autarcie, sans distanciation et sans « tiers séparateur ». Étant donné la prégnance de l'enfant imaginaire sur le bébé bien réel, la souffrance peut être massive tant pour la mère que pour l’enfant. Le rôle majeur joué par les facteurs environnementaux guide les conduites de prévention, en particulier auprès des patients psychotiques adultes futurs parents et au cours de la grossesse, moment privilégié pour mettre en place des stratégies préventives et thérapeutiques. 

 

Dès le départ, la qualité du lien d’attachement implique la santé mentale de la mère. Beaucoup d'auteurs ont écrit à propos des dangers immédiats ou à plus long terme de la présence de la mère psychotique auprès de son enfant, des troubles de l’attachement, de l’autisme, de la souffrance psychique du nourrisson, …  tout comme sur les effets dévastateurs d'une séparation trop précoce. Dans son article intitulé « la mère et l'enfant dans les psychoses du post-partum », Racamier (2002 : 560) écrit que "sur le plan thérapeutique, il est nécessaire et très efficace d'agir au niveau de la relation de la mère avec son enfant... il ne suffit pas de fournir un soutien actif. Il faut, dit-il encore, aménager avec soin, dans ses aspects extérieurs et intérieurs, la relation de la mère avec son enfant... et pour cela l'enfant doit être là".

 

Depuis des années, Martine Lamour étudie également l'incidence de la folie maternelle sur les représentations des soignants à l'égard du bébé de mère psychotique. Le bébé peut avoir la dimension d'un bébé réparateur pouvant guérir la mère. Ainsi, le « bébé de l'interaction » avec les différents partenaires confronté au bébé de l'interaction avec la mère éclaire les ressentis et les représentations des intervenants.

 

Dans ses nombreux écrits, Martine Lamour évoque le bébé en souffrance et ses représentations chez le personnel soignant. La multiplicité des intervenants autour d'un bébé en souffrance conduit à une multiplicité des représentations du bébé. Pour chacun d'entre eux, il s'agit de “penser” bébé, c'est-à-dire de ressentir au plus proche de ce qu'il vit, par empathie, mais c'est aussi penser “au” bébé et par là donner sens à ses comportements. Le bébé est pris dans un réseau complexe d'identifications et de projections. Lorsque le bébé appartient à un milieu carencé ou psychotique, nous en avons une représentation que l'on pourrait nommer celle de " l'enfant vide", sous-alimenté narcissiquement.

 

En cas de psychose maternelle au moment de la naissance, il est donc primordial de prêter attention aux infimes signes que lance l'enfant en détresse, au travers du dialogue sensoriel, voisin de la préoccupation maternelle, au plus proche des ressentis du bébé, dans un mouvement empathique avec lui. La résonance avec le corps d'autrui nous conduit au coeur du vécu de ces bébés. Alors la représentation que nous nous faisons de ces bébés devient une véritable construction utilisant les différents aspects de l'enfant. Cette construction est la condition de toute action thérapeutique et permet de maintenir stable l'entourage de vie du bébé. Il importe donc d’insister sur les stratégies multidisciplinaires et évolutives à mettre en place.

 

 

Intervention en cas de troubles graves de la relation précoce mère-enfant

 

Après la naissance, certains nouveau-nés ne rentrent pas chez eux. Pour diverses raisons (sevrage, gros retard, prématurité, malformations, syndrome alcool fœtal, situation à haut risque de mauvais traitements, dépression du post-partum, etc.), ils peuvent faire l’objet d’un séjour plus ou moins long dans un service néonatal ou pédiatrique. La prolongation d’un séjour en service néonatal permet une meilleure évaluation des facteurs de risque qu’en maternité. Une situation de naissance « difficile » risque cependant de fragiliser encore plus les parents qui peuvent devenir plus susceptibles et reporter leur agressivité sur les soignants. L’enfant peut être investi de manière négative, comme décevant ou trop différent, et blesser narcissiquement ses parents. Cette blessure narcissique peut enrayer la construction des interactions et l’instauration du processus d’attachement. Dans un contexte de famille perturbée ou à risque, cette conjonction de facteurs augmente la vulnérabilité des liens et exige un encadrement très spécifique. Il paraît fondamental qu’une équipe de professionnels accompagne les parents dans leur souffrance et leur questionnement. Un travail psychothérapique de soutien ou de fond est souvent nécessaire. L’établissement du lien mère-enfant peut connaître des ratées plus ou moins pathologiques qui nécessitent un accompagnement spécialisé.

 

La réactivité émotionnelle de la mère, un vécu catastrophique, une grande détresse affective et/ou certains mouvements psychopathologiques plus caractéristiques (décompensation psychique, grosse rechute toxicomaniaque, dépression anaclitique ou post-partum, risque de fusion psychotique, etc.) sont parfois des indications à une hospitalisation en milieu psychiatrique. La question de la séparation précoce mère-nourrisson est alors discutée. Le traitement psychiatrique de la mère n’impose pas automatiquement la rupture des liens avec l’enfant.

 

Il existe différents troubles relationnels entre la mère et l’enfant qui peuvent se traiter en secteur psychiatrique comme dans certaines Unités mère-enfant. D’inspiration anglaise (les recherches du professeur Kumar), cette logistique particulière permet d’accueillir plusieurs dyades mère-enfant dont la relation est perturbée par l’état mental de la mère après l’accouchement et des femmes enceintes souffrant de troubles psychoaffectifs profonds. Avant l’admission, le diagnostic psychopathologique est présenté. Les capacités et les potentialités maternelles sont également évaluées. Un schéma et une logistique de traitement pharmacologique et psychothérapeutique sont ensuite établis pour la patiente, corrélés à la prise en charge du nourrisson sur le plan développemental et relationnel. 

 

Dans cette unité, une équipe multidisciplinaire encadre la patiente et son bébé. Différents thérapeutes unissent et coordonnent leurs interventions afin de soigner la mère tout en orientant ce travail vers le maintien, la restauration et/ou l’amélioration des interactions mère-bébé. Malgré la détresse psychique de certaines mères, il est possible de leur faire comprendre et vivre le fait que leur bébé est une personne à part entière et un partenaire dans la relation. Cette démarche se fonde sur la continuité des relations psychoaffectives entre la mère et son bébé. Dès lors que ce dernier pourrait souffrir de carence des soins maternels mais aussi des troubles de sa mère, les contacts sont supervisés. La nursery n’est accessible aux mères qu’en compagnie d’une soignante. Cette surveillance spécifique implique que les bébés soient séparés de leur mère pendant la nuit. L’important est que le bébé et sa mère partagent un agréable moment et qu’ils en retirent chacun un bénéfice « thérapeutique ». 

 

Stimulé et materné par les soignantes, le nourrisson est régulièrement évalué sur le plan psychomoteur. Outre le suivi médical de la mère et de l’enfant, l’équipe apporte un soutien concret dans l’apprentissage des tâches maternelles. Bien que la non-séparation mère-enfant soit la cheville ouvrière de cette philosophie thérapeutique originale, une mère considérée comme à haut risque est traitée comme tout autre patient souffrant de la même pathologie ou en état de crise sévère. Même si le diagnostic n’est pas toujours facile à établir, les vraies psychoses du post-partum exigent un passage en section psychiatrique fermée. Certaines mères très pathologiques sont toxiques, voire dangereuses pour leur bébé. Elles sont parfois trop délirantes, trop centrées sur leur propre souffrance et incapables de s’occuper de leur bébé. Elles bénéficient pour un temps d’une autre structure psychiatrique et d’un traitement spécifique. Dès qu’elles récupèrent sur le plan psychologique, elles rendent progressivement visite à leur bébé. Elles sont alors soutenues dans la relation et supervisées au niveau des soins.

 

Les antécédents de ces mères sont très chargés : troubles psychiatriques, hospitalisations multiples, maladies mentales avérées, décompensations psychotiques, expériences traumatiques d’abandon, d’inceste, de viol, de maltraitance, de placement institutionnel, de tentatives de suicide, de toxicomanie, d’alcoolisme, de marginalisation sociale, etc. Elles sont souvent issues de milieux familiaux à haut risque sur le plan psychopathologique.

 

Entre le risque de fusion psychotique et la séparation à but thérapeutique, ce type d’intervention basée sur le maintien des liens mère-bébé relève parfois de la mission impossible. L’indication de traitement s’élabore au départ d’une relation symbiotique, c’est-à-dire du prolongement du corps de la mère dans ou à travers celui de son enfant. Le soutien thérapeutique vise ensuite une conception mentale différenciée du Moi de la mère et de la personne de son bébé comme sujet, afin que la mère puisse investir son bébé sans le vivre avec angoisse en tant qu’extérieur à elle, tout en conservant le lien. Dans la psychose maternelle, se posent de nombreuses questions parfois très hétéroclites et archaïques, mais auxquelles il faut s’attendre : Le bébé n’existe-t-il que lorsqu’il sort du ventre? Etait-il là avant dans le ventre maternel? De quel enfant imaginaire, symbolique ou réel parle la mère? Existe-t-il une place pour l’autre dans un délire précoce à deux? La psychose maternelle se transmet-elle in utero? Dans certaines situations, les liens imaginaires sont à ce point délirants et irréels qu’il faut confier l’enfant à une structure d’accueil. Ce type de séparation n’implique pas d’emblée la rupture définitive des liens.

 

Même si quelques enfants sont placés en milieu d’accueil après leur passage dans une unité psychiatrique mère-enfant, la plupart bénéficient d’un suivi extrahospitalier structuré comme un tissu médicopsychosocial spécifique. Ces structures ambulatoires souvent attachées à des réseaux de centres de jour et d’appartements supervisés permettent de stabiliser le traitement de la mère, d’améliorer son autonomie et de prolonger le maintien de la qualité relationnelle avec le bébé.

 

 

Comment survivre à la maladie mentale d’un proche ?

 

En fonction de son âge et de son degré de maturité, il importe que l’enfant soit mis au courant de la maladie de son parent, et de ce qu’elle signifie ou implique. Avec ses impondérables et la manifestation de crises probables, la maladie du parent est un fait réel. Confronté ainsi à cette réalité difficile, et plutôt que de fantasmer des choses qui ne sont pas vraies, l’enfant doit pouvoir se forger une opinion et s’en ouvrir à d’autres. Suivant ses intuitions et son sens de l’observation, l’enfant est alors plus conforté dans l’idée que son parent est à la fois fragile sur le plan psychologique et parfois même « bizarre » dans ses attitudes. L’enfant a besoin d’être mis en confiance afin de nouer une relation la plus sereine possible avec son parent. L’enfant a cependant le droit d’entretenir des relations avec son parent dans des conditions qui ne mettent pas en péril sa propre santé mentale et son intégrité physique. Tout échec relationnel est désastreux quant à l’image parentale que l’enfant tente d’élaborer sur le plan psychique (l’introjection des imagos parentales). Dans la réalité, l’enfant est attiré affectivement par son parent et ressent le besoin de constater par lui-même qu’il est bien là, qu’il n’a pas disparu ou qu’il ne l’a pas abandonné. Comme nous l’avons décrit, il a parfois envie de s’en occuper dans la réalité. 

 

Même s’il n’est jamais facile pour un enfant d’évoluer auprès d’un parent souffrant d’une vulnérabilité mentale ou d’un trouble psychopathologique, il importe qu’il reste en contact, à condition que les transactions soient supportables et adaptées, en relation avec l’âge et la maturité de l’enfant. Autrement dit, la maladie mentale du parent ne doit pas compromettre la sécurité physique, psychique et morale de l’enfant. 

 

Tout dépend également de la qualité des relations personnelles entre l’enfant et son parent. En fonction des circonstances et des risques, voire de la dangerosité relative d’une situation, mais également du type de pathologie mentale, une séparation est parfois nécessaire. L’enfant n’est pas toujours préoccupé par la quantité des contacts mais plutôt par la régularité et la continuité dans le temps. Il a seulement envie de construire une relation positive avec son parent. A contrario, dès lors qu’un enfant est soustrait des contacts établis avec un parent malade mental, il doit au moins en connaître les raisons, afin notamment de l’aider à faire le deuil d’une relation qui pourrait compromettre son développement psychoaffectif au sens large.

 

La recherche scientifique et les dernières données actuelles sur la maniaco-dépression (psychose) montrent qu’il s’agit d’une maladie difficile à traiter et qui engendre un stress émotionnel important autant au niveau du patient que de son entourage. Chaque épisode de crise est un moment de stress existentiel pour le patient et ses proches. Toute rechute engendre de la tristesse chez les proches du patient et perturbe l’équilibre des relations familiales. Les conséquences d’une rechute sont toutefois imprévisibles. L’angoisse des proches est souvent associée à la peur de la rechute chez le malade. Face à cette maladie, l’incompréhension et les préjugés induisent chez les familiers des attitudes de rejet, de la colère et de la culpabilisation. Ces ressentiments engendrent chez le patient de l’anxiété dépressive, des réactions agressives, de l’impulsivité, des passages à l’acte, de l’autodestruction et surtout l’impression d’être isolé. Cette maladie est aujourd’hui mieux comprise par les praticiens et les thérapeutes. Le patient a autant besoin de soins appropriés que d’un entourage soutenant et bienveillant. Toutefois, la recherche clinique n’évoque pas beaucoup les problèmes relationnels entre le parent maniaco-dépressif et son (ses) enfant(s), ni ce que cette maladie implique pour l’(les) enfant(s) en termes de transmission de pattern déviant ou pathologique.

 

La situation de certains parents malades mentaux montre à quel point ils souffrent d’isolement sur le plan psychosocial, relationnel et familial et à quel point leur maladie les éloigne des personnes qu’ils aiment, en particulier leur(s) enfant(s). Il importe donc de recenser des informations objectives sur l’état de leur santé mentale, l’efficacité de leur traitement et leur éventuelle stabilisation. En termes de garanties objectives et de pronostic clinique, lorsque l’état de santé mental du parent reste préoccupant et à risque, avec d’éventuelles répercutions sur le fonctionnement psychoaffectif et relationnel de l’enfant, il devient alors hasardeux de les laisser « seul à seul » sans intervention.

 

 

L’enfant confronté à la souffrance psychique

 

L’enfant d’un parent malade mental est confronté de manière précoce à une souffrance psychique qu’il ne comprend pas toujours, mais qu’il ressent au plus profond de son être. L’enfant confronté à la souffrance psychique d’un parent a besoin de comprendre pour s’en sortir. Il a surtout besoin d’en parler.

 

Les enfants, dont un parent souffre de psychose, n’ont pas toujours accès à la signification de leur souffrance et éprouvent certaines difficultés à bien les comprendre. La souffrance de l’autre peut contaminer le psychisme par des mécanismes le plus souvent inconscients et des transactions systémiques plus ou moins psychopathologiques. Il importe que ces enfants comprennent mieux le sens d’une maladie mentale, son évolution et la souffrance sous-jacente. Ainsi, certains enfants comprennent mieux que d’autres la signification d’une maladie mentale et s’en accommodent plus facilement. Par la connaissance, l’enfant peut démystifier la maladie et la percevoir sous un autre angle. Chez l’enfant aussi, la psychologie de soi passe par une meilleure connaissance du fonctionnement psychique individuel.

 

Pour découvrir les différentes facettes conscientes et inconscientes qui constituent psychiquement le sujet, l’être humain a besoin de se mettre à l'écoute de soi-même, c’est-à-dire d’observer ses actes et se demander comment il fonctionne. Même enfant, le sujet s'aperçoit alors qu'une large partie de ce qu'il y a véritablement à connaître consiste en différentes couches de mémoires et d'expériences qui se sont cristallisées et sont devenues, à terme, des façons automatiques de faire, de sentir, d’éprouver et de penser,... Ces « couches » organisent l’essentiel de sa personnalité. Néanmoins, un individu ne peut jamais se connaître en totalité. Dans l’espace psychique, il existe toujours des zones d’ombre, des aspects énigmatiques de la personnalité qui restent inaccessibles à la conscience et qui font parfois souffrir l’individu.

 

De la plainte à la souffrance psychologique

 

Aucun enfant n’aime voir souffrir son parent et il peut se sentir coupable de rester impuissant face à la maladie. Au plan intime, la maladie renvoie chacun à sa propre vérité. Au plan systémique, elle nous confronte à des transactions particulières avec ceux qui souffrent. Aux prises avec sa propre souffrance psychique, la personne malade mentale n’a pas toujours une conscience morbide et reste aveugle aux difficultés de l’entourage.

 

Personne n’aime être malade or, d’un certain point de vue, parce que la maladie (comme la souffrance) est le signal que quelque chose ne va pas pour nous, elle nous rend service en nous alertant. 

 

De la même manière que le signal de la maladie offre à la personne la possibilité de se soigner, la souffrance psychologique offre à la personne l’opportunité de comprendre que quelque chose ne va pas dans sa relation à elle-même et/ou aux autres. 

 

Malheureusement la plupart du temps, la personne en souffrance ne le voit pas, elle se dit victime du destin, et s’enfonce dans le mal-être et la plainte, au risque de plonger dans une dépression (névrotique ou psychotique) ou un délire (paranoïaque ou hallucinatoire). 

 

Par la prise de conscience, il est donc possible de faire "bon usage" d’une maladie comme de la souffrance psychologique, tout en mettant au travail le psychisme. La rencontre avec la souffrance psychique de l’adulte amène l’enfant à réfléchir non seulement sur la réalité de la condition humaine, mais également sur son propre moi, son existence et ses émotions.

 

La relativité de la souffrance psychologique du sujet et le travail psychique

 

Le travail psychique commence par oser constater honnêtement que quelque chose ne va pas, sans en avoir peur, c’est-à-dire en ne se voilant pas la face. Ensuite, le sujet peut prendre conscience qu’il ne va pas bien (stress, dépression, angoisse, colère rentrée, agressivité, tristesse, mélancolie, etc.). C'est souvent moins lui-même que le malade remet en question que sa façon de percevoir la réalité (interne et externe) et de vivre avec les autres. 

 

D’une part, l’individu est un être unique, c'est-à-dire fondamentalement différent des autres. Sa perception du monde est unique et relative à la manière dont il interprète ce qui lui arrive. L’état d’esprit individuel dépend de toute une série d’éléments qui s’intriquent les uns aux autres, sans trop savoir de quelle manière. D'autre part, rien n’est irréductible. Les mécanismes psychiques pathologiques durent si l’individu les laisse durer, d’autant qu’il a la possibilité d’agir sur lui-même pour transformer le monde qui l’entoure et sa relation aux autres. 

 

La perception est à l’origine de la souffrance car, tout ce sur quoi le sujet porte son attention prend de l'importance à ses yeux. Même s’il n’y croit pas toujours, il a alors la possibilité d’agir sur certains mécanismes pour ne pas les faire durer ou laisser envahir tout son champ psychique, jusqu’à le rendre encore plus malade. 

 

À l’origine de la souffrance psychologique individuelle

 

Les traumatismes, frustrations, humiliations, échecs, pertes, ruptures, injustices, situations catastrophiques, et conflits,… sont souvent à l’origine de la souffrance humaine. L’enfer n’est pas toujours pavé de bonnes intentions. Et comme le dit Sartre, l’enfer serait les autres. Le jugement moral des autres interfère également avec la manière dont le sujet se juge lui-même. Dans certaines pathologies mentales, le sujet donne l’impression qu’il se condamne à souffrir, comme s’il devait subir un destin et n’avoir aucune prise sur lui. La souffrance morale deviendrait alors la seule issue de la condition humaine. Englué dans sa propre souffrance psychique, le sujet entretient avec les autres et avec le monde un rapport très particulier. Par le biais de différents mécanismes de défense psychologiques, il résiste aux changements. Au prorata de ses perturbations, de ses aberrations ou de ses déformations cognitives, celui qui souffre ne perçoit du monde qui l’entoure qu’une vision étriquée et déformée.

 

En fait, dans ses relations aux autres, le sujet passe le plus clair de son temps à interpréter la réalité en y projetant ses attentes narcissiques, ce qui génère déception et souffrance, surtout lorsque la réalité diffère de son désir (et c'est le plus souvent le cas). 

 

De même, dans sa relation à lui-même, le sujet interprète le plus souvent ses actes en fonction des valeurs que les autres lui transmettent à travers son éducation, plutôt qu’en fonction de valeurs auxquelles il aurait lui-même librement consenti. 

 

Sa perception du monde étant liée à la manière dont le sujet a appris à le percevoir, c'est à partir de l'étude de la manière dont il apprendra à percevoir le monde qu’il sera capable de changer ou d’accepter certains changements dans son existence.

 

De la souffrance à la réalisation de soi 

 

Pour tout être humain, devenir "soi-même", consiste à se réaliser soi, en travaillant dans une dynamique de remise en question de sa façon d'interpréter le monde. C'est notamment parce qu’il devient conscient de la manière dont il s’y prend pour "créer" ses souffrances, ses angoisses et ses peurs que le sujet pourrait cesser de les « engendrer ». Lorsqu’il souffre d’angoisses (psychotiques ou névrotiques), l’individu s’identifie aux peurs qu’il génère.

 

Malgré ses souffrances, l’individu est capable de réajuster progressivement sa perception et devenir de plus en plus bienveillant avec lui-même, en découvrant sans culpabilité et sans préjugés qu’il peut exprimer des besoins, et en comprenant sereinement ses comportements émotionnels et ses attitudes mentales (même si elles sont défaillantes). L’acceptation de soi passe donc par un travail de remise en question, un véritable travail de « remise en forme » psychologique.

 

La connaissance de soi passe par un meilleur amour de soi. L’enfant lié à un adulte qui souffre de la sorte doit également comprendre sa réalité intérieure, afin notamment de faire grandir sa confiance en lui-même. Il peut se dire qu’il est capable, au même titre que des enfants « ordinaires », d’investir sa propre enfance et se convaincre qu’il en vaut la peine. Placé dans un contexte familial difficile et/ou confronté à la maladie mentale d’un parent, l’enfant a essentiellement besoin d’une renarcissisation du Moi.

 

 

Le soutien thérapeutique à l’enfant et à son entourage

 

Soutenir ces enfants confrontés à la maladie mentale d’un parent ne va pas de soi. Trop préoccupé par ce qu’il vit, l’enfant est rarement disponible et/ou demandeur. Sans pour autant banaliser ou diaboliser la maladie mentale ou minimiser ses effets en termes de souffrance et d’incompréhension, tout individu devrait s’autoriser à se soucier de son état mental et être plus sensible à sa propre souffrance. Ceux de l’extérieur, comme les intervenants professionnels, devraient rester sensibles à ceux qui souffrent, notamment ces enfants. L’entourage d’un enfant dont le parent souffre d’une maladie mentale devrait en tenir compte et réagir.

 

Au plan humain, chercher à mieux se connaître est le fondement de toute évolution positive, permettant à l’enfant de devenir ce qu’il est vraiment, sans pour autant sacrifier une part de son être. Choisir d'être accompagné dans cette évolution procède de la motivation active de celui qui, voulant que les choses changent, s'en donne les moyens. L’accès à l’aide thérapeutique repose sur le principe de la demande et du libre choix. Aller à la rencontre d’un thérapeute demande un investissement personnel qui exige aussi un coût. Il importe donc d’aller à la rencontre de l’enfant et de questionner sa demande.

 

Il faut préciser que le thérapeute (Thérapeutes, en grec, signifie "prendre soin de") ne guérit pas les malades, mais aide - en les accompagnant - des personnes en souffrance, à changer, afin qu'elles se sentent mieux. Le thérapeute accompagne le travail psychique d’une personne qui désire évoluer et se sentir mieux dans sa peau. Le bien-être est l’objectif principal d’un travail thérapeutique.

 

Y compris dans les psychothérapies d’enfants, le thérapeute est un spécialiste du fonctionnement psychique du sujet humain, qui, pour le devenir, a suivi lui aussi un cheminement, afin notamment d’entreprendre un travail de connaissance de soi et de prise de conscience de la souffrance des autres. 

 

Le thérapeute accompagne le sujet à partir de sa motivation à résoudre ses problèmes et à cesser d'en créer. Surtout avec les enfants en difficulté, le thérapeute a également une fonction « rééducative » (guidance), d’autant qu’il lui apporte l'attention, l’écoute bienveillante et la disponibilité. 

 

Le changement ne va pas toujours de soi et exige toujours une remise en question importante, une prise de conscience et un travail plus ou moins long. La demande de changement est au coeur du débat thérapeutique,... le désir ne suffit pas, encore faut-il le vouloir. Le désir relève du sujet. Changer reste donc un choix difficile qui dépend essentiellement de soi, de ses motivations, de son désir, de sa demande et de ses besoins.

 

 

Conclusion : liens de sang, liens de folie ?

 

Même si la littérature scientifique évoque peu cette problématique, cette réflexion à propos des enfants de parents malades mentaux amène de nombreuses questions. Avec l’évolution de la psychiatrie, le patient semble moins isolé. On comprend mieux son fonctionnement psychique. Son autonomie est plus valorisée qu’auparavant. L’antipsychiatrie a contribué à des solutions alternatives, comme les centres de jour ou les communautés thérapeutiques. La vie de famille des malades est parfois encouragée ou reste une évidence. Les traitements semblent plus efficaces. Depuis quelques décennies, les thérapeutes de la famille prennent en charge des familles à transactions psychopathologiques. Les enfants des malades sont parfois amenés à participer à des séances de thérapie et apportent leur contribution à l’évolution de leur(s) parent(s). Mais dans l’ensemble, l’impact de la maladie mentale d’un parent sur son (ses) enfant(s) n’est pas toujours pris en considération. Les professionnels de la santé mentale s’en inquiètent aujourd’hui, d’autant plus que les réseaux d’aide sont peu valorisés et que les moyens d’intervention restent limités.

 

L’impact de la maladie mentale d’un parent (ou des parents) sur le développement psychique de l’enfant reste conséquent. Il existe des familles à transactions psychopathologiques où l’axe transgénérationnel est très perturbé par la présence d’une affection mentale chez tel ou tel membre. La notion de délire à deux ou d’aliénation familiale nous amène à penser que l’univers de la maladie mentale est extrêmement difficile à comprendre pour l’enfant. Même s’il s’en accommode ou recherche des réponses à ses questions, l’enfant reste préoccupé par l’anormalité de son parent. C’est souvent au détriment de sa propre évolution personnelle, que l’enfant se sent concerné par les troubles psychiques de son parent. De manière quotidienne, l’enfant est confronté à l’expression de troubles variés tels que par exemples : l’angoisse, les crises paranoïaques, les passages à l’acte, les bouffées délirantes, la dépression, la mélancolie, les obsessions, les idées fixes, etc. 

 

Selon les circonstances du développement de la maladie, la souffrance psychique devient envahissante et occupe tout l’espace relationnel de la famille.  L’enfant en ressort avec beaucoup de ressentiments contradictoires, avec de l’angoisse, de la colère, de la tristesse, de l’anxiété dépressive, de la culpabilité, voire de la « honte coupable ». La plupart des enfants de parents malades mentaux se sentent très responsables, voire livrés à eux-mêmes. Ces enfants investissent des tâches qui les situent en porte-à-faux avec le monde de l’enfance. Malgré eux, ils inversent les rôles et deviennent comme des parents de substitution de leur propre parent. Certains enfants souffrent plus que d’autres et s’identifient de manière anxieuse par introjection au parent malade, au risque de décompenser sur un mode psychopathologique à leur tour.

 

De manière générale, l’enfant se perçoit comme très différent des autres et profondément atteint dans son narcissisme, son individualité et son identité. Il se parentifie rapidement tout en risquant de porter lui-même et à bout de bras la pathologie de son parent. 

 

Ces familles à transactions pathologiques sont souvent isolées ou entourées d’un cordon sanitaire qui risque de les stigmatiser encore plus. L’isolement, la stigmatisation et la différence marquée influencent encore plus le fonctionnement psychologique de l’enfant. Parfois, l’aide arrive trop tardivement et l’enfant est déjà « abîmé » psychiquement.

 

Dans pareil contexte, l’enfant a besoin d’apprendre des choses sur la maladie de son parent, afin notamment de la démystifier et de la percevoir sous un autre angle. Il a également besoin d’être rassuré, afin de se sentir moins seul et moins différent. S’il est soutenu par ses proches ou quelques intervenants, il peut s’autoriser à se dégager de certaines responsabilités et s’autoriser à réinvestir son propre univers d’enfant. L’aide thérapeutique individuelle, familiale et/ou groupale s’avère plus que nécessaire.

 

La prise en charge thérapeutique de ces enfants est exigeante et requière beaucoup de rigueur professionnelle de la part des psychothérapeutes. Les thérapeutes de la famille se préoccupent davantage de cette problématique. Très présentes dans ce champ, les thérapies familiales d’obédience psychanalytique ou systémique exigent aussi la mobilisation de la famille et de ses membres. C’est toute la famille qui entre en scène et chacun contribue au travail thérapeutique.

 

Préoccupante, la santé mentale des enfants de parents malades mentaux devrait donc faire l’objet d’une considération plus importante, notamment de la part des intervenants, des psychiatres, des soignants, des thérapeutes et des décideurs. Si ces professionnels manquent de moyens, ils deviennent de plus en plus conscients que la prise en charge de ces enfants est aussi une question de santé mentale tant à un niveau intergénérationnel que transgénérationnel.

 

 

 

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