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Le père absent dans l'existence de l'enfant

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Le père absent dans l'existence de l'enfant

Une place pour le père
Le père absent dans l'existence de l'enfant est une réflexion originale qui répond à une question cruciale d'une réalité clinique qui dépasse la fiction (la théorisation) psychanalytique. En effet, nous observons aujourd'hui de plus en plus d'enfants démunis qui doivent affronter l'existence sans pères. Cette absence de père ne correspond pas à sa mort physique mais plutôt à sa disparition dans l'univers interne de l'enfant. Bien que l'absence de père ne signifie pas toujours la mort psychique de son imagea ou de sa représentation, elle peut perturber à différents niveaux le développement psychoaffectif de l'enfant.

A partir de diverses constatations cliniques et psycho-sociales, qui ne sont pas forcément liées entre elles, que nous allons aborder un sujet essentiel : l'enfance au risque de la paternité dans laquelle le père n'ose pas toujours dire son nom. Nous traversons une époque où cohabitent deux tendances opposées: le renforcement de la présence paternelle dans la famille moderne et la fragilisation de la relation père-enfant dans certaines situations. Aujourd'hui le monde occidental est confronté à une véritable crise de conscience et de confiance à l'égard de la paternité. Sublimé, décrié ou mitigé, l'exercice de la fonction paternelle est un véritable enjeu pour les générations à venir et donc pour le nouveau siècle qui s'annonce. Même s'il a évolué au cours de l'Humanité, le concept de père et, la fonction et la place du père dans la filiation interpellent de plus en plus nos contemporains.

A l'ère de la procréation médicalement assistée, de la reproduction in vitro, des premiers clonages de mammifères, des mères porteuses et des pères donneurs, des techniques de reconnaissance paternelle, des recherches de paternité naturelle, des naissances sous X en France, des abandons à la naissance, trop d'enfants naissent biologiquement en l'absence de tout désir. Sur fond de crise des valeurs dans nos sociétés dites évoluées, la place du père dans ses différentes fonctions soulève de nombreux débats et certaines inquiétudes. Le père, absent ou présent, fait l'objet de recherches dans des domaines aussi variés que le droit, la criminologie, la psychanalyse, la psychopathologie, la psychologie expérimentale, la psychologie du développement et du comportement, l'anthropologie, la sociologie, l'histoire. Des nouveaux pères prennent en charge certains aspects de l'éducation, des pères divorcés revendiquent le droit de garde, certains veulent élever seul leur enfant, des couples homosexuels sont candidats à l'adoption d'enfant(s), ... L'image de l'homme-père est à l'occasion bousculée par les affaires d'inceste ou de pédophilie.

Etre père, ce n'est pas que féconder une femme ou engendrer biologiquement un enfant. Il s'agit également de s'inscrire dans une filiation, une généalogie, s'affirmer dans une fonction symbolique de tiers séparateur, reconnaître l'enfant, l'aider à grandir, lui accorder le statut de sujet désirant, l'aimer, le guider, lui signifier la Loi, lui imposer des limites,... Le statut de père, père responsable de ce Nom, implique d'importantes, voire d'imposantes responsabilités, que certains hommes-pères ne veulent pas assumer ou n'y parviennent pas.

Dans certaines conditions de danger ou de précarité, et/ou pour des raisons préventives, des enfants en bas âge sont placés en institution (pouponnière). Dans ces situations vulnérables, la plupart des pères biologiques n'occupent pas leur place ou sont absents très tôt, parfois même avant la naissance de leur enfant. Bien souvent inaccessibles, pour toutes sortes de raisons, des plus légitimes aux plus farfelues, beaucoup de ces pères restent absents de l'existence de leur enfant. Certains reviennent après quelques années d'absence, mais les dégâts psychologiques constatés chez l'enfant sont tels, qu'il est parfois trop tard.

Déni du désir d'enfant, refus ou rejet de toute responsabilité, il ne s'agit pas de souligner le déclin des pères, leur défaut d'affirmation de soi, leur manque de détermination, leur problème d'identité, ou leur carence d'autorité, mais de s'interroger sur cette constatation: la fonction paternelle subit ou traverse des épreuves et essaye de reconquérir ses lettres de noblesse. Les hommes, pères d'enfants, ne sont ni plus ni moins absents de la vie de leur progéniture qu'à d'autres époques. La signification de cette absence est cependant différente.

Du père de la Horde primitive jusqu'aux nouveaux pères, c'est au cours de son évolution que l'Humanité a défini une place pour le père. Le concept même de père a fluctué tout au long de l'histoire humaine. La place qui est occupée par le père dans l'existence d'une personne est une question vitale pour un sujet donné, essentielle à la culture et fondamentale à la vie sociale et collective. Les perturbations dans l'exercice de la fonction paternelle et l'injustice dans la distribution des rôles masculins et féminins résonnent à travers l'absence du père dans la parentalité. Son absence ou l'absence de référent au père questionne la place qu'on lui accorde dans une société. Objet ou sujet de cette place, le père vient justement à manquer là où il faudrait renforcer sa présence signifiante, en tant qu'une des deux figures fondatrices de la personnalité de l'enfant. Les principales conséquences de cette absence font l'objet de diverses études en psychologie du développement et en psychanalyse. L'absence absolue de père correspond à la psychose et au désordre chaotique de la fusion avec la mère. Les conséquences de ce désordre varient suivant les modalités de l'absence. Violente est l'absence du père dans les discours institutionnels. Mais la violence n'existe pas que sur un plan symbolique. Qu'il appartienne exclusivement à la mère ou au père, l'enfant peut devenir l'objet du plus fort ou de celui qui en a le plus besoin pour combler ses manques. Face aux violences destructrices ou abusives exercées à l'encontre de l'enfant dans ses choix relationnels, que reste-t-il de la puissance du symbole? L'absence du père interroge la place de l'enfant en tant que sujet et son droit à désirer respectivement et spontanément une mère et un père, dignes de ce Nom.

Le père par défaut, la fonction paternelle dans l'éclosion des psychoses, l'absence du «nom du père» dans l'étiologie de la psychose, la forclusion du Nom du père, le meurtre du père, le père de la horde primitive, la carence de l'image du père, Dieu-le-Père dans le monothéisme, la métaphore paternelle, la Loi comme postulat au père, ..., la psychanalyse interroge la fonction, réelle, symbolique ou imaginaire, ainsi que la place du père dans l'économie psychique du sujet (enfant ou adulte). Les cliniciens également se préoccupent du devenir des enfants qui sont privés de cette autre part d'eux-mêmes. Une meilleure approche de l'évolution du concept « père » et de nombreux repères psychanalytiques nous permettent de mieux appréhender l'importance de cette fonction dans la structuration du psychisme humain et le processus de sociabilité.

Qu'est-ce qu'un père? Pour devenir homme, faut-il être père? Qui n'a pas reçu de père, peut-il donner de fils? A quel titre renvoie cette fonction? Le rôle du père est-il symétrique à celui de la mère? En son absence réelle, ses fonctions symboliques et imaginaires influencent-elles le devenir de l'enfant? Non-dit, non signifié, le Nom-du-Père enraye-t-il l'organisation intra-psychique de l'enfant? Que signifie l'absence d'un père? Quelles sont les conséquences de l'absence d'un père pour l'enfant? Quel est le devenir des pères dans notre société? Tant de questions surgissent, mais nous ne pouvons qu'entrouvrir quelques voies, hypothèses ou possibilités. A partir de l'expérience clinique et des références théoriques empruntées à la psychanalyse, quelques réponses se profilent. Elles font l'objet de cette réflexion autour de la place du père en son absence et les conséquences de cette absence.

Qu'est-ce qu'un père ?
«Le père ne saurait être un simple passant. Il est plutôt un passeur, un vecteur... Le père n'est pas une instance ou un ingrédient qui s'ajouterait ou se saupoudrerait dans la relation mère-enfant. Non, structurellement, pour la vie de sujet du bébé-naissant, un père est là au départ avec la mère». Clerget (1992: 61 & 62).

Le terme Père vient du latin (Xème siècle) pater et signifie «ancêtre, fondateur, homme vénérable». Empreint de caractéristiques religieuses, il est donné comme titre de respect à des ecclésiastiques et à des dignitaires de l'église (XIVème siècle).

L'Encyclopédie Larousse © (1996) apporte quelques nuances :

1. Celui qui a un ou plusieurs enfants: Père de famille.
2. Celui qui agit en père, qui manifeste des sentiments paternels: Il a été pour moi plus qu'un ami, un père.
3. L'initiateur, le créateur, le fondateur de quelque chose: Auguste Comte est le père du positivisme.
4. Afrique: Tout homme âgé que l'on respecte.
5. Afrique: Oncle paternel. (On dit aussi père cadet ou petit père, par opposition à vrai père.)
6. Familier: Avant un nom propre, appellation familière donnée à un homme d'un certain âge: Le père Mathurin.
7. Père spirituel, celui qui dirige la conscience d'une personne, guide spirituel ; par extension., celui qui joue un rôle prépondérant dans l'évolution personnelle de quelqu'un, dans sa formation intellectuelle, etc.
Religion : Titre donné aux prêtres réguliers et séculiers. En Afrique: Prêtre de race blanche, par opposition. à abbé. Le saint-père ou, appellatif, Saint-Père, le pape. Pères de l'Église, écrivains de l'Antiquité chrétienne (IIe-VIIe siècle) dont les œuvres font autorité en matière de foi.
Théâtre : Rôle de père noble, rôle grave et digne de père âgé.
Théologie : (Avec une majuscule) la première personne de la Trinité.

Aux nombreuses fluctuations autour du concept, viennent s'ajouter diverses spéculations sémantiques : père, paternité, paternalité, paternalisme, paternage, paternitude, paternel, paterfamilias, les pères (ancêtres), les nouveaux pères, la fonction paternelle, la méthaphore paternelle, etc.

Initiateur, créateur, ancêtre, respectable, digne, familier, autorité,..., le concept de père évolue de manière différente à travers le monde, et d'une culture à l'autre. Il n'est pas forcément le géniteur de l'enfant; puisque dans certaines sociétés, son statut est porté par l'oncle de la mère, l'amant attitré, l'homme qui élève l'enfant, celui qui le reconnaît rituellement, une femme stérile,... (Frascarolo, 1995). Suivant les mutations que subissent la famille et l'histoire d'une société, le rôle du père connaît de nombreuses variantes. La distance père-enfant dépend de différents facteurs d'ordre politiques, économiques, culturels et sociaux. Dans les premières sociétés humaines matrilinéaires, le père joue un rôle de moindre importance. Le pouvoir paternel du frère de la mère apparaît progressivement dans les sociétés patriarcales. Dans la famille patriarcale traditionnelle, le père devient celui qui possède l'enfant, mais également la mère de l'enfant. Ainsi chez les Romains, dès que le cordon ombilical est rompu, le nouveau-né est déposé sur le sol. L'enfant n'est reconnu que si son père le prend dans ses bras et le lève vers le ciel. Le père signifie ainsi qu'il lui donne la vie. Dans le cas contraire, l'enfant est abandonné à son sort. C'est donc par la volonté du père que l'enfant naît. Suivant Aristote, seul l'homme est dépositaire d'un pouvoir fécondant, la femme servant de réceptacle à la semence masculine qu'elle fait germer. Jusqu'au XIXème siècle, la Chrétienté renforce cette idée.

Le père en héritage
La naturelle révérence des enfants envers leurs parents est le lien de la légitime obéissance des sujets envers leur souverain. Le sujet doit obéir au roi de la même façon que l'enfant obéit à son père. Louis XIII, 1639

Depuis les Romains, nous héritons du droit comme fondement et définition de la paternité. Entre discours et droit du sang, de nombreux textes organisent la filiation. Le Code Napoléon (1804), qui régit l'institution familiale, précise que «la puissance paternelle s'exerce à la fois sur la personne et sur les biens de l'enfant. Sur la personne, elle comporte un droit de garde, de direction et de surveillance, permettant aux parents de choisir l'habitation, d'être maître de son éducation, de contrôler ses relations et sa correspondance. Elle leur confère même le droit de faire emprisonner leur enfant (droit de correction). Sur les biens des mineurs, la puissance paternelle donne aux parents un droit de jouissance légale et, tant que tous deux vivent, un droit d'administration légale» (Théry, 1985: 35). En d'autres termes, l'autorité paternelle (et les abus de pouvoir qui en découlent) est définie comme absolue et incontournable. La littérature du dix-neuvième siècle, chez Dickens, Victor Hugo, la Comtesse de Ségur, Alphonse Daudet, Jules Renard, montre que les enfants ne sont pas épargnés par la dictature des adultes et des parents. En offrant au père le droit, sinon le devoir, de corriger ses enfants, la loi lui reconnaît implicitement une propriété sur eux. Ce sentiment de propriété ainsi légitimé justifie les abus de pouvoir et les contraintes de toute nature exercés sur l'enfant. Ce statut de la paternité s'accentue sous l'influence de l'Eglise qui présente la famille comme une institution inviolable et comme vectrice de la foi (mariage, procréation, baptême). Cette sacralisation religieuse de la famille organise un patriarcat absolutiste basé sur la soumission des femmes et des enfants; situation qui facilite les abus de pouvoir et les exactions violentes ou perverses. Fondé sur l'archétype de la sainte famille de Nazareth, le pouvoir paternel de la famille croyante est ainsi légitimé par une Eglise toute-puissante (Léon XIII). Le père (pater familias) dirige sa famille, comme un empereur, un orge ou un pape. On lave son linge sale en famille et il est devenu impie et improductif d'évoquer l'inceste. Alors que l'inceste entre adultes est condamné par l'Encyclique, le déni de l'inceste à l'égard des enfants va durer 3/4 de siècle.

Dès 1867, dans le Capital , Karl Marx (1867: 531 & 583) dénonce cette dialectique de la violence: «Si les pères du prolétariat abusent de leur autorité pour maltraiter leurs enfants, s'ils font travailler comme des bêtes leur progéniture, c'est d'abord qu'eux-mêmes sont saignés, exploités et doivent se soumettre aux exigences de la production sous peine de mourir de faim... La législation de fabrique n'est-elle pas l'aveu officiel que la grande industrie a converti l'autorité paternelle en un appareil de mécanisation destiné à fournir directement ou indirectement au capitalisme les enfants du prolétaire lequel, sous peine de mort, doit jouer son rôle d'entremetteur et de marchand d'esclave.» En 1889, une loi sur les pères indignes est votée en France. La violence familiale domine la vie des prolétaires en milieu urbain (Bonjean G., Enfants révoltés et parents coupables, 1895). Tout en stigmatisant la violence du père prolétaire, la loi fait de la puissance paternelle un appareil au service de la répression étatique.

A l'ère de la Révolution industrielle, les enfants de la classe prolétarienne sont exploités à outrance. La mise au travail précoce des enfants dans les fabriques et le non-accès à l'instruction enferment les familles dans un cercle vicieux. La prolifération d'enfants dans ces milieux où règnent la misère, la promiscuité, la maladie et l'inconfort rend insupportable leur présence. La mortalité et la morbidité infantile sont excessives. La famille, comme lieu des apprentissages (savoir) et de la transmission des savoir-faire culturaux (patrimoine) perd ces compétences. La fabrique éloigne les pères du foyer, il est parfois même considéré comme incapable de s'occuper de ses enfants. La mère est reconnue comme plus apte à l'élevage. Lors des divorces, les enfants lui sont confiés de manière systématique.

Au cours de ce siècle, l'Etat accroît son contrôle sur la famille en édictant de nombreuses lois; ainsi la loi de 1889 sur la protection des enfants maltraités et abandonnés peut décider la déchéance des droits de puissance paternelle lorsque l'enfant est en danger moral. «Progressivement à la fin du XIXème siècle, avec une nette accélération entre 1890 et 1914, se dessine ce que l'on pourrait appeler un champ de l'enfance où interfèrent médecins, éducateurs, hommes de loi. C'est au nom de l'enfance et au-delà d'elle en référence aux intérêts de la société, que la famille comme lieu de la toute-puissance paternelle perd sa compétence exclusive sur le développement et l'éducation de l'enfant» (Théry, 1985:36).

«Au XIXème siècle, des hommes, pris dans des conditions de vie nouvelles et difficiles, exploités par ceux qui les emploient, ont exploité à leur tour leurs enfants et déversés sur eux la violence qui les habite. L'institution judiciaire, ne s'occupant pas des causes de leur brutalité, les a désignés comme indignes d'être pères et les a déchus de leur puissance par la loi de 1889.». La psychanalyste Françoise Hurstel (1992:36), y perçoit «la scène inaugurale de la paternité contemporaine, ... marquée d'une violence issue d'une injustice qui sera refoulée des consciences.» Elle ajoute que les individus, autant les hommes que les femmes, «sont ici pris dans une généalogie où ils sont les héritiers de la violence injuste qui fut exercée sur leurs ancêtres, les prolétaires indignes ».

Au XXème siècle, l'avènement de l'individu comme valeur fait apparaître l'enfant comme personne à part entière (Théry, 1985: 37-38). Cependant, trop souvent persuadés que l'enfant est leur propriété personnelle, les parents s'octroient tous les droits à son égard. Si dans les faits, le droit de correction paternelle n'a été abolit qu'en 1935, du moins en France, il reste dans les mentalités une survivance. Il faudra attendre l'influence du féminisme américain et anglais pour abolir le patriarcat, basé sur l'injustice et l'exploitation, et surtout pour redécouvrir la question de l'inceste et la réalité des abus sexuels à l'égard des enfants dans les années 1975-1980.

L'enfant est objet du droit au début de la première moitié du vingtième siècle. Vers la fin du XXème siècle, l'enfant devient théoriquement sujet du Droit à travers la Convention Internationale des Droits de l'Enfant adoptée à l'unanimité par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 (New York). Dans le sillage de cette déclaration, la fonction paternelle est redéfinie en termes de rôle, de place et d'image.

Le rôle, la place et l'image du père
En matière de droit, et suivant le concept de la puissance paternelle, l'autorité paternelle disparaît au profit de l'autorité parentale. Cependant, par nature, cette autorité n'appartient pas plus aux pères qu'aux mères. Commence alors une période de flou où les places des pères et des mères ne sont plus déterminées. L'organisation même de la famille connaît de profonds bouleversements. Même au sein des classes plus favorisées, les grandes familles hiérarchisées disparaissent au profit de la famille conjugale centrée sur elle-même (Frascarolo, 1995). Les femmes maîtrisent la fécondation, le nombre d'enfants diminue, l'espérance de vie augmente et le pouvoir du père de famille se réduit. Les rôles familiaux et les tâches domestiques sont redistribuées en relation avec les revendications d'égalité entre les hommes et les femmes. Avec l'évolution de la médecine (contraception, avortement et la fécondation in vitro), l'accès à la paternité pour l'homme, qu'il soit conjoint ou père biologique, dépend de la volonté maternelle à le reconnaître comme tel et du droit des femmes à disposer d'elles-mêmes. La condition féminine ne peut donc plus se réduire à la maternité. L'homme découvre de nouvelles facettes à son rôle : l'envie de grossesse et de l'allaitement, le désir de nourrir le bébé, de le changer, de le soigner et le plaisir de s'impliquer dans les soins à l'enfant,..., c'est-à-dire le paternage. Selon Yogman (1985: 140), «se rapprocher émotionnellement de leurs tout-petits,... fait partie d'une revendication masculine d'accomplissement personnel plus total, en réaction contre le caractère aliénant et desséchant du rôle purement fonctionnel de pourvoyeur de la famille».

Dans son article, le rôle du père dans l'évolution normale de l'enfant, Porot (1965) fait l'éloge du père, de l'autorité et du foyer. Il dénonce avec un certain cynisme le déclin du père, menacé par l'insémination artificielle de perdre «jusqu'à la fonction de bourdon qu'on lui tolérait encore»; en référence aux conséquences des carences affectives pour l'enfant, il souligne les défauts de la personnalité qui découlent du «syndrome de carence d'autorité». Il pense que l'autorité n'exclut pas l'amour paternel mais qu'elle en est plutôt le témoignage. Il attire l'attention sur l'importance de l'attitude de la mère vis-à-vis du père dans l'efficacité structurante de son autorité et il affirme que les mauvais maris font également les mères abusives.

La question du rôle, de la place et de l'image du père est donc complexe et confronte des registres à la fois complémentaires et contradictoires tels que :
• la reproduction, l'engendrement et le don de vie
• le rôle dans la conjugalité
• le rôle dans la parentalité
• le style de paternité
• l'identité masculine
• la figure paternelle
• la fonction paternelle

A propos du rôle et de l'image du père, Mendel (1968) fait correspondre sur le plan de l'inconscient «l'impuissance d'un père devant la toute-puissance technologique» à celle «d'un père impuissant devant la toute-puissance maternelle», c'est-à-dire un père qui confronté à une image maternelle archaïque n'a pu se forger «une imago forte et idéale». Depuis son invention, comment la psychanalyse appréhende-t-elle le concept « père »?

Evolution du concept 'Père' en psychanalyse
Hérité d'un passé lointain, le concept père est influencé par la pensée viennoise, bourgeoise et intellectuelle de la fin du XIXème siècle. Toute empreinte de cette pensée, la psychanalyse va essayer d'échapper à cette terrible équation sur l'état quasi sacralisé de la famille: «mère=nature=amour=vie à l'intérieur du foyer» et «père=culture=loi=travail à l'extérieur» (Le Camus, 1995: 165).

Pour la psychanalyse, «le père est une vérité sacrée dont pourtant rien dans la réalité vécue n'indique la fonction ni la dominance car il reste d'abord une vérité inconsciente. C'est donc nécessairement au travers d'une élaboration mythique et psychique que sa fonction a émergé dans la psychanalyse et qu'elle traverse toute l'oeuvre de Freud jusqu'à son dernier ouvrage, Moïse et le monothéisme (Dictionnaire de la psychanalyse, 1993: 183). Dans son article fonction paternelle, complexe d'Oedipe et formation de la personnalité (1965), Widlocher reconnaît dans la fonction paternelle «une instance symbolique qui opère dans l'institution toute entière et qui inclut des faits d'ordre psychologique et social».

Dans son séminaire sur les formations de l'inconscient (1958), Lacan élabore les fondements théoriques de la fonction paternelle. Il y décrit les effets psychiques de la carence paternelle, c'est-à-dire des«effets de sens liés à la parole en tant que fondatrice du sujet» . Le Nom-du-Père est au centre de l'oeuvre de Lacan. Père réel, père imaginaire, père symbolique correspondent à «différents registres sous lesquels se présente la paternité, dans la mesure où on la rapporte à la fonction complexe qui est la sienne» (op cit., 1993: 199). La fonction paternelle est, dans le sujet, le signifiant qui représente la loi. Le père représentant de la loi est un signifiant, une métaphore qui, lorsqu'il est inscrit dans le sujet, fait barrage à la mère et constitue l'enfant comme sujet du désir. Quand l'inscription du signifiant n'a pu se réaliser dans le sujet, il y a forclusion du Nom-du-Père. Quant à la question du Nom-du-Père, ce n'est pas «le patronyme en tant que tel, il n'est pas le père en tant que personne, il est dans le sujet le signifiant qui représente la loi.». Lacan (cité dans le Dictionnaire de la psychanalyse, 1993: 200) précise que « le père représente dans toute sa plénitude la valeur symbolique cristallisée dans sa fonction,... or, ce recouvrement du symbolique et du réel est absolument insaisissable. Au moins dans une structure sociale telle que la nôtre, le père est toujours, par quelque côté, un père discordant par rapport à sa fonction, un père carent, un père humilié,... »

Suivant la théorie du Complexe d'Oedipe, les positions de la mère et du père ne sont pas équivalentes. Chez Freud, le père est à la fois objet d'identification primaire, pris d'emblée comme idéal. Il apparaît en même temps, du moins pour le petit garçon, comme le rival parce qu'il tente de s'approprier le premier objet d'investissement amoureux, à savoir la mère. Pour la petite fille, cet objet d'amour est le même, mais la conquête oedipienne du père survient ensuite, la mère apparaissant alors comme rivale. On s'aperçoit qu'il y a une différence entre la figure paternelle du mythe oedipien et la personnalité du père de la réalité familiale. Ce père de la réalité familiale est en fait le père réel. Sa place effective au sein de la famille varie suivant les circonstances, en fonction de son histoire personnelle, mais également en référence à ses origines socioculturelles. C'est de ce père réel, ou de son substitut, qu'on attend qu'il fasse valoir la loi symbolique, celle de la prohibition de l'inceste qui limite et ordonne le désir du sujet. Dans la réalité, on constate que le père réel n'est pas toujours à la hauteur exigible du père symbolique. En 1938, dans un article sur la famille (cité dans le Dictionnaire de la psychanalyse, 1993: 200), le complexe, facteur concret de la psychologie familiale, les complexes familiaux en pathologie, Lacan perçoit dans la carence du père, en tant que fonction, «le noyau de la grande névrose contemporaine»; autrement dit, lorsque le père se montre peu consistant dans l'exercice de cette fonction, l'enfant est confronté à «l'impuissance et l'utopie, marraines sinistres installées au berceau du névrosé».

Quant à Olivier (1990: 13 & 16), elle considère le concept du Nom-du-Père comme «une gigantesque escroquerie» inventée par les psychanalystes; il ne suffit pas «d'introduire le père dans la vie de l'enfant par le discours de la mère», mais il faut que le père soit présent et qu'il exerce «sa fonction affective qui est d'aimer l'enfant en le paternant».

Pour Clerget (1992: 57 & 58), qui s'interroge sur la place du père: «La paternité n'est pas une place-forte où un homme, en place de père, agirait en maître de la place, tout-puissant et tout-sachant. [...] En tant que fonction liée, nouée à la maternité, la paternité relève d'une ligature . Liée ne veut pas dire symétrique, ni complémentaire, mais croisée. La place du père est celle d'un parent par alliance. Elle n'existe que par le lien qu'un père entretient avec celle qui l'introduit à l'existence et lui donne vie. Substituant au père le mot père, une femme qui n'est mère qu'à cet acte, fait oeuvre de métaphore, donne père à son enfant. La simplicité du fait ne saurait en étouffer l'importance: qu'à cet usage consacré du mot réponde l'échange et le don de son nom, dans l'alliance vive et générante d'une place pour le sujet. [...] Géniteur ou pas, de par l'affirmation de l'alliance, du père existe pour l'enfant. Non sans la mère. L'alliance appelle une solidarité des places et des fonctions.

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