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Conseils de psy

Quand je pense à la vulnérabilité

/ Par Céline T SAS / Moi et les autres

Quand je pense à la vulnérabilité

Quand je pense à la vulnérabilité, trois choses font figure : les émotions en général, la honte en particulier et l’Autre. Tentons de réfléchir à leur propos. Dans quelques cas, l’expérience de la vulnérabilité est associée au fait de montrer des émotions aux autres. Comme nous le verrons plus tard, en dévoilant certaines émotions la personne ressent de la peur ou de la honte en anticipant la réaction possible de son environnement. Une autre expérience commune est de se sentir sans défense.

Croyances et préjugés

Commençons par les émotions. Je me souviens d'une formation sur le thème de la créativité. En accord avec le sujet exposé, nous évoquons l’excitation, le plaisir, l’humour, la création, la joie, l’inventivité. Cependant, une question fortuite, parmi beaucoup d’autres qui ont été posées, a laissé en moi une trace, à propos de laquelle j’ai continué à réfléchir et qui concerne les larmes. Un thérapeute peut-il pleurer devant son patient ? Ne perdra-t-il pas son objectivité ?

La question implique que, dans notre imaginaire collectif, nous croyons qu’il y a de bonnes et de mauvaises émotions. Inutile de préciser que j’ai fermement défendu que les larmes ne me font pas plus faible, et qu’elles ne sont pas un obstacle à la thérapie.

Cette question est aussi posée par de nombreux étudiants de la Faculté de Psychologie, avec une formation académique comportementale, qui viennent dans mon cabinet, pour connaître la Gestalt-thérapie. Dans leur paradigme, les émotions sont une difficulté, une faiblesse, et, bien entendu, il est exclu que le thérapeute les ressente devant ses patients, car alors il ne serait plus en mesure de les aider. Le thérapeute ne doit pas pleurer et, par extension, ne devrait pas “ressentir” parce qu’il perdrait son objectivité, son impartialité.

Je me souviens aussi d’une séance de thérapie au cours de laquelle la personne évoquait, entre autres choses, qu’elle était malade du sida et qu’elle allait probablement mourir. La thérapeute a tout le temps été sereine et physiquement proche, avec de nombreux silences. Quand cet homme mentionne la mort, elle avance un peu plus son corps et avec des larmes dans les yeux répond « je suis tellement désolée », l’homme pleure en l’écoutant, un silence partagé se réinstalle à nouveau. Cela m’a semblé une réponse géniale, dans sa simplicité, sur la manière dont elle était affectée par ce patient. Et j’ai pensé « il n’y avait pas d’autre réponse. »

Il y a une idée socialement courante, et acceptée comme une réalité, qui considère les émotions en général comme des phénomènes que nous devons savoir contrôler, pour éviter d’être entraînés par elles. L’autre idée communément partagée est que, dans les émotions, il y a les bonnes qui sont généralement la joie et l’amour ; et les mauvaises : la peur, la colère, la tristesse et le dégoût. Mais en réalité toutes les émotions remplissent une fonction adaptative de l’être humain à son environnement. Toutes les émotions sont des sources d’information sur la relation organisme-environnement. En ce qui concerne le manichéisme social, sur les bonnes et les mauvaises émotions, je conseille la lecture du Vicomte pourfendu d’Italo Calvino. Quand une émotion est vécue comme inadéquate et que donc elle est refoulée, d’autres émotions prendront sa place par compensation. C’est ainsi que nous montrons de la peur quand il y a de l’excitation et du désir, nous ressentons de la rage au lieu de la tristesse, et de la tristesse quand on éprouve de la peur ou de la colère. Et ce, en fonction de notre apprentissage de la gestion émotionnelle.

Les émotions, pour un gestalt-thérapeute, ne l’oublions pas, n’appartiennent pas à la personne qui les éprouve. Elles sont une partie du champ organisme-environnement et elles communiquent quelque chose d’une situation donnée. Elles parlent d’une situation de peur, de joie, de conflit, de tristesse. Et en plus de leur valeur comme guides dans l’environnement, elles sont également en étroite relation avec la réception et le soutien qu’il peut y avoir dans le champ.

Face à la vulnérabilité physique ou émotionnelle, nous sommes encouragés à nous protéger pour paraître invulnérables. C’est vrai aussi dans le monde de la psychothérapie. Il semble que nous devions être des super-héros. Certains formateurs encouragent cette croyance quand ils montrent volontiers leurs connaissances intellectuelles ou leur savoir-faire, mais jamais leurs craintes ou leurs erreurs. Nous craignons que si nous le faisions, nos clients potentiels hésitent à se mettre entre les mains de quelqu’un sur qui ils ne peuvent pas compter, étant donné sa vulnérabilité. Comment confier une situation vitale, à quelqu’un susceptible de douter ou de faire des erreurs ? Je me souviens de Marie Petit avec affection et nostalgie, car nous avions parlé un jour d’écrire sur des cas qui ne s’étaient pas bien déroulés, projet que nous n’avons jamais réalisé. Si on l’avait fait, à quoi aurions-nous dû faire face ?

Lorsque nous pensons à la vulnérabilité, nous sommes enclins à associer ce concept à quelque chose de négatif. C’est une tendance parfaitement logique si nous revenons à la racine étymologique de ce terme qui signifie, d’une part, blessé (Vulnus) et, d’autre part, la possibilité (Abilis) ; c’est-à-dire la possibilité d’être blessé. Et cela devient synonyme de faiblesse. En informatique, par exemple, un système est vulnérable quand il peut être facilement attaqué, parce qu’il a des points faibles.

Comme on peut l’observer, et selon ces définitions, il est facile de comprendre que, dans notre vie quotidienne, nous nous défendons constamment pour ne pas montrer nos points communément appelés « faibles », ou bien nous pouvons attaquer les autres quand ils ont laissé entrevoir les leurs. Vu comme ça, il paraît logique pour les gens de se protéger, de ne pas montrer leur intimité, de faire comme si…, de se cuirasser. La honte joue probablement un rôle important dans cette dissimulation.

Les antonymes de vulnérabilité sont force, invulnérabilité, perfection, avoir de la personnalité, du caractère. Selon cette perception, être vulnérable est incompatible avec être fort, avec le maintien d’un équilibre dans ces traits de personnalité, avec atteindre l’excellence, avec le maintien de hautes capacités de résolution en tous temps et situations.

 

Ce que j’ai présenté jusqu’à présent vient d’un certain point de vue sur les choses. C’est la personne qui est ou se sent vulnérable. C’est la personne qui ressent des émotions qu’elle n’accepte pas. Mais d’un point de vue de champ, les émotions sont des informations privilégiées (bien que faillibles) de l’état du champ organisme-environnement, et indiquent quelque chose de la rencontre entre l’organisme et son environnement[6][6]Cf. Lapeyronie, Brigitte : “Pour une délocalisation des…. Donc nous pouvons dire qu’elles sont une fonction du champ. Je pense que nous pouvons dire la même chose à propos de la vulnérabilité. Que se passe-t-il si nous considérons la vulnérabilité comme une fonction du champ ? Si le self est une fonction, l’émotion est une fonction, la vulnérabilité est une fonction.

16Quand il semble que toutes les définitions dans les dictionnaires conduisent à une considération négative sur la vulnérabilité et le fait d’être vulnérable, j’ai trouvé cette définition du dictionnaire María Moliner[7][7]Moliner, María : Diccionario de uso del español Ed. Gredos.… :

Vulnérable : Adj. Susceptible d’être blessé ou violé, dans n’importe quelle acception, de recevoir des dommages, Ou être affecté, touché, convaincus ou vaincus par quelque chose. *Abordable, Attaquable, *Sensible.
Antonymes : Inabordable, insensible, invulnérable.

Cette définition contient celles d’autres dictionnaires. Mais je veux souligner ce que d’autres définitions n’envisagent pas, à savoir la qualité d’être touché ou affecté. Comme nous l’a dit Jean-Marie Robine : Quand je suis devant quelqu’un, cela me touche, c’est-à-dire mes sensations, mes sentiments, mes pensées, ma neutralité ou l’indifférence ne parlent pas seulement de moi. Ils parlent de moi, de l’autre, du lien.

À noter dans cette définition du dictionnaire, les adjectifs proposés comme synonymes de vulnérable : abordable et sensible ; alors qu’apparaissent comme antonymes : indisponible et insensible. Dans le PHG, quand il s’agit d’’esthétique, cela semble lié au sensible. Parce que l’esthétique est utilisée par les auteurs non comme synonyme de beauté, mais comme référant à la perception du sensible à travers les sens. À la perception esthétique s’opposent l’abstraction, l’analyse, la formule mathématique, la généralisation. C’est à travers le sensible que l’être humain perçoit et contacte le monde. La vulnérabilité, dans le vocabulaire du philosophe Emmanuel Levinas, a à voir avec le sensible.

De la même manière, la vulnérabilité, plutôt qu’un état qui doit se cacher devant une société qui, au fil des siècles, nous a inculqué que nous devions être « forts » et ne pas montrer nos « faiblesses », est une expérience qui nous unit comme êtres humains. En fait, on sait que dans les communautés où les gens sont les plus vulnérables, il y a plus de cohésion parce que tous les membres savent qu’ils ont besoin les uns des autres. Donc la vulnérabilité n’est pas un état qu’il faut cacher. Mais elle peut au contraire nous aider à communiquer avec d’autres êtres humains.

Dans cette perspective, je revendique la possibilité d’être abordable et sensible. Je crois que c’est ce que je montre dans chacune de mes séances en tant que thérapeute.

Il y a quelques années, j’ai participé à une table ronde, intitulée « Le psychothérapeute devant la souffrance humaine ». Nous étions assis à la table, un psychiatre chevronné ayant introduit des thérapies humanistes à Valencia. Quelqu’un dans le public a demandé Comment pouvons-nous nous protéger de la douleur et de la souffrance de nos patients afin de ne pas être détruit par ce contact continu avec la souffrance ? Un collègue a parlé du besoin pour le thérapeute d’effectuer un processus thérapeutique ; un autre a mentionné la nécessité de la supervision. J’ai répondu que j’étais tout à fait d’accord avec mes collègues. Mais que, dans mon expérience, j’avais découvert qu’à partir du moment où j’avais accepté de me laisser affecter par les différentes émotions qui entrent en jeu alors que je suis en présence de quelqu’un, mes problèmes somatiques, après une journée de session de travail, avaient disparu. Loin de me protéger, je me laisse affecter, toucher, sentir, émouvoir…

Parce que je crois que se montrer vulnérable aux autres nous rapproche, nous humanise et nous rend plus forts. Montrer notre vulnérabilité aura une incidence favorable sur nos processus de communication avec les autres.

 

Texte de Ximo Tárrega
Psychologue clinicien. Directeur du Centre Gestalt de Valencia-España. Formateur et
superviseur international, membre de l’équipe didactique de l’IFGT (Institut Français de
Gestalt-thérapie).