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Salvatore Adamo : Une vie passée à aimer !

Salvatore Adamo : Une vie passée à aimer !


Je t'ai confié sans pudeur
Les secrets de mon cœur
De chanson en chanson.
Et mes rêves et mes je t'aime
Le meilleur de moi-même
Jusqu'au moindre frisson (extrait de « C’est ma vie »)

Salvatore Adamo : Une vie passée à aimer !


Eternel jeune homme timide, vrai et sincère, Salvatore Adamo nous livre avec passion ses impressions d’artiste et d’homme. Infatigable créateur, il a traversé les courants et les modes sans jamais hésiter, ni trébucher. Ce Belge, d’origine sicilienne, est une véritable star de la chanson française. A ce jour, il a vendu 90 millions d’albums dans le monde entier. Salvatore est un travailleur acharné, qualité à laquelle il doit sûrement sa longévité dans le métier. Il n’a jamais cessé d’écrire et de publier ses chansons.

Je vous suggère un petit retour en arrière pour mieux entrer dans la vie de cet homme attachant et charmant.
Salvatore est né en Sicile, dans la petite commune de Comiso, le premier novembre 1943. Il restera fils unique pendant ses sept premières années. Son père Antonio est puisatier, et sa mère Concetta, femme au foyer. En 1947, Antonio trouve un emploi de mineur en Belgique. Après Antonio, Concetta et son fils  émigrent pour la Belgique, à Jemappes. En 1950, Salvatore est atteint d’une violente méningite qui le cloue au lit pendant une année. Quant à sa scolarité, elle a pour cadre la très stricte institution des écoles chrétiennes. Ensuite, ce furent les études de journalisme. Ses parents veulent éviter à leur fils un avenir de mineur et font tout pour lui offrir des études. Salvatore est un élève solitaire et travailleur. Entre 1950 et 1960, la famille Adamo s’agrandit de sept enfants. Entretien.

Je me souviens d’une de vos chansons : « Petit bonheur deviendra grand pourvu que Dieu lui prête amour toujours… » Vous êtes heureux ?
Le public m’a donné tous les bonheurs. La vie a été sympa avec moi. J’ai eu ma belle part de grandes joies. A présent, je pense à mes enfants (NDLR Anthony, Benjamin et Amélie). J’espère qu’ils trouveront la petite flamme qui illuminera leur vie pour qu’ils réalisent leurs rêves.

« Sans toi ma mie » sort en 1963. Vous avez vingt ans. Cette chanson sera le déclencheur de votre carrière. A partir de là, tout ira très vite. Comment le jeune homme que vous êtes, ressent-il cette explosion médiatique ?
Je l’ai vécu comme un rêve éveillé. Il m’a fallu un certain temps pour me convaincre que le succès était en marche. Je n’y croyais pas vraiment. D’ailleurs, j’avais décidé de reprendre mes études, bien négligées pour la chanson. A ce propos, j’ai une anecdote à vous raconter. Le jour de l’enregistrement de « Sans toi ma mie », je devais passer un examen en journalisme. Le professeur n’a pas daigné le déplacer et m’a mis un zéro. Sans doute avait-il raison. Aujourd’hui, je me dis qu’il a eu doublement raison puisqu’il m’a poussé quelque part à chanter (Rires…)
L’accueil de la chanson fut lent. Mais c’est sans compter sur l’opiniâtreté de mon père qui décide de prendre en main ma destinée. Il démarche salles de spectacles et labels. De plus, la chanson ne passait pas en radio. On trouvait ma voix bizarre. J’ai même eu droit à cet avis négatif : « refusé pour voix désagréable ». J’avais vraiment l’impression que le disque était condamné. Comme un berger qui croit en son étoile, mon père a eu une idée géniale : mener une campagne « juke-box ». A l’époque, un juke-box dans un café avait le potentiel d’une radio locale. Bingo ! Les gens ayant entendu ma chanson la réclame à la radio. Tout commence. La suite est merveilleuse. « Sans toi ma mie » reste six mois en tête des hit-parades.

C’est la déferlante. Vous devenez une star adulée. Vos 45tours se vendent par milliers. Vous êtes numéro un dans la mythique émission « Salut les copains » en doublant Johnny Hallyday et les Beatles. Comment gérez-vous ce triomphe sans précédent ?
L’impression de rêve éveillé était plus que jamais présente. Mon père était à mes côtés. Je savais que si je risquais de perdre la tête, sa main était sur mon épaule. Mon père et la vie m’avaient mis sur des rails. Le fait d’avoir eu une enfance dans un milieu d’émigrés et dans un quartier de baraquements m’a donné la force de me souvenir d’où je venais. C’est une école de la vie qu’on n’oublie pas. Mes repères sont ancrés dans la simplicité et la modestie. Les gens s’attendaient peut-être aux caprices de star ou aux grains de folie qui font la une des journaux à sensation. Et bien, non ! Je sais qui je suis.

On parle quand même d’Adamomania. Vous voyagez énormément et enregistrez des titres en de nombreuses langues étrangères dont l’anglais, l’espagnol, l’italien, l’allemand. Le pays du Soleil levant vous réserve un accueil incroyable avec « Tombe la neige » qui s’installe 72 semaines en tête des hit-parades. Le Japon vous cède également. C’est l’envolée ?
C’est difficile d’en parler soi-même. J’ai vécu des choses phénoménales. Personne ne pourra me les enlever. Elles sont en moi. Je ne suis pas passéiste mais un jour j’écrirai mes souvenirs, en espérant avoir la philosophie et l’humour pour les raconter. Si je devais m’en tenir strictement aux faits, j’aurais pu en devenir « fou ». Quand je pense, par exemple, à ma première arrivée au Chili, 60.0000 personnes m’attendaient à l’aéroport. La voiture, dans laquelle j’étais, a été soulevée par la foule. Les gens la portaient à bout de bras. C’était un bonheur immense.

Lorsque vous pensez à tout cela, quelle est votre réflexion ?
J’ai sans doute gagné un concours de circonstances. J’étais là avec les chansons qu’il fallait au bon moment. Je ne sais pas à quoi ça tient. Je connais des tas d’artistes intrinsèquement  plus talentueux que moi qui sont restés dans l’ombre. Il y a vraisemblablement le coup de pouce du destin.

Franchement, je vous trouve trop modeste !
Mais, pas du tout. Quand je vous dis que le destin a joué un rôle primordial, lisez-ceci. La première fois que j’ai chanté  au théâtre royal de Mons, il s’agissait d’un crochet radiophonique. L’après-midi, lors des éliminatoires, j’ai été recalé, refusé. Il a fallu qu’un membre du jury dise à ses collègues : « Vous avez éliminé ce jeune homme. Moi, je trouve qu’il a quelque chose ! ». On m’a repêché. Le soir, je gagnais le concours en battant les records à l’applaudimètre. Il aurait suffi que ce monsieur se taise et garde en lui la légère frustration de me voir éliminé. Vous ne seriez peut-être pas là à lire cet entretien sur www.psy.be. Je serais rentré dans le rang. De toute façon, si je n’avais pas eu l’encouragement de ce crochet, je n’aurais pas osé braver la volonté de mon père à me faire suivre des études.

Remarquablement doué pour l’écriture et bon musicien, vous êtes auteur et compositeur de vos titres. Cette double casquette n’était pas si fréquente chez les jeunes artistes de l’époque. « Vous permettez Monsieur », « Les filles du bord de mer », « Mes mains sur tes hanches » ou encore « Tombe la neige » sont aux antipodes du courant « yé yé » qui faisait fureur. Votre créativité semblait prendre le dessus sur votre timidité légendaire. Vrai ou faux ?
Vrai ! (Rires…). Une fois avoir pris confiance en moi, je me suis laissé aller à visiter toutes les émotions qui cohabitaient en moi. J’ai osé m’affirmer. Au départ, tout était dans la timidité ensuite pas à pas, j’ai fait preuve d’audace. Et c’est vrai que j’étais en marge de ceux qu’on appelait les « yé yé ». Eux, adaptaient en français des chansons américaines. Cette couleur musicale, je la dois à mon arrangeur musical de l’époque qui me faisait des orchestrations avec des violons, par exemple. Moi j’avais 20 ans et j’aurais peut-être aimé avoir des arrangements comme les chanteurs de mon âge. Je lui dis : « bravo et chapeau ». S’il avait cédé à la mode du moment, je serais sans doute passé à côté de mon style. Il n’y aurait pas eu cette originalité qui m’a immédiatement identifiée, même si à l’époque la France m’a regardé d’un œil parfois moqueur.

Avec 90 millions d’albums vendus, les chiffres explosent. Les succès s’enchaînent à une vitesse vertigineuse. Partout, on salue avec enthousiasme votre talent. Votre personnalité fait de vous un chanteur populaire dans la plus noble acceptation du terme. Cela vous ennuie que je vous fasse part de mon admiration ?
C’est le plus beau titre qu’on puisse me donner. Il ne peut rien arriver de mieux à une chanson d’être fredonnée dans la rue. J’ai une anecdote à ce sujet. Un jour, par hasard, je me promenais dans une rue. Personne ne m’avait aperçu. Quelqu’un, me tournant le dos, sifflait joyeusement « C’est ma vie ». Je vous le jure, j’ai cru au petit miracle. C’est une immense émotion. Si je fais le bilan de tous ces succès, de la feuille blanche à l’adhésion du public, je suis un artiste comblé. Tout est allé au-delà de mes espérances, de mes rêves. Je dis mille fois merci à la vie qui m’a permis de vivre en faisant ce que j’aime.

Vous vouez une admiration sans borne à votre père. Quel personnage était-il ?
Mon père était mon héros. Il m’a raconté beaucoup d’histoires. D’ailleurs, je lui rends hommage dans une chanson «  Les heures bleues » qui dit : « Mon père, l’allure fière, jeune et fringant, tout endimanché me racontait des souvenirs sans doute inventés… ». Je suis heureux que mon père m’ait inventé des souvenirs. Nous vivions très modestement et par ses histoires, il me faisait rêver. J’en souris encore aujourd’hui. Son imagination était à ce point fertile que la limite entre fiction et réalité était indétectable. Je lui ai rendu la pareille dans une autre chanson « Le chien ».
Je me souviens de mon chien, j’avais sept ans. Il venait me chercher à l’école. Un jour, le chien n’est pas venu. Je suis rentré tout triste à la maison. Mon père, voyant ma tristesse, me ramena quelques jours après, un chien identique. J’ai fait comme si c’était lui, alors que mon chien, je l’avais retrouvé mort et l’avais enterré. Pour ne pas le décevoir, j’ai fait semblant de croire en son histoire. Mon père me faisait tellement rêver que j’ai cru en toutes les autres. C’est peut-être le fait d’avoir eu un père affabulateur (dans le bon sens du terme) que l’envie d’écrire des chansons et des histoires m’est venue. Il avait un bagout extraordinaire. Il prenait souvent la parole. Ses amis étaient à chaque fois fascinés, suspendus à son récit. Je suis ému…

Malheureusement, c’est en pleine gloire que vous apprenez le décès par noyade de votre père le sept août 1966. Il y avait sept jeunes enfants chez vous. Vous vous êtes senti investi d’une nouvelle responsabilité : endosser le rôle de père ?
Il a pu vivre trois ans de ma carrière : mes débuts et le succès qui s’installait. Mon père s’occupait de moi, il faisait tout. J’avais tellement été habitué à vivre selon ses directives que, quand il est parti, je me suis retrouvé complètement désemparé. Je ne pense pas que j’ai pu assumer le rôle de père pour toute la petite famille. Sur le plan matériel, c’était évidemment la moindre des choses. Mais je n’ai jamais eu son autorité sur mes frères et sœurs. Ils ont été voués à eux-mêmes. Ce qui a dû certainement leur laisser quelques séquelles morales. Mon père nous a laissé un vide immense après sa disparition. J’ose dire que pendant ces trois années, il avait la main sur mon épaule. Je continue à la sentir. Quand je suis devant un dilemme ou un problème, je me dis : « Comment aurait réagi mon père ? ». J’en suis toujours là !

Le milieu du show-biz n’est pas réputé tendre. A l’annonce de la mort de votre papa, avez-vous du vous méfier de certaines personnes, de ces requins qui sentaient en vous une proie facile ?
Oui ! Une fois mon père parti, j’ai été à la merci des profiteurs les plus audacieux. J’ai souvent été roulé. C’est une des raisons pour lesquelles je me suis volontairement éloigné de la Sicile pendant quinze ans. Mon père y avait des « amis » avec lesquels il avait été très généreux à titre définitif ou à titre de prêt.
Quand ma mère s’est permise de rappeler certains d’entre eux qui avaient bénéficié de ses largesses, ils lui ont tourné le dos en prétextant l’amnésie : « je ne vois pas de quoi vous parlez », disaient-ils.
Je me suis fait gruger tant financièrement que sur le plan de l’amitié. D’ailleurs s’il lit ces propos sur www.psy.be , tant pis, il se reconnaîtra. Il saura la peine qu’il me fait. Le succès était au rendez-vous et un ami d’école m’envoie une lettre pathétique avec des mots durs quant à sa vie. Je l’ai pris comme secrétaire. Il avait toute ma carrière en main. Après quelques temps, on s’est rendu compte de ses malversations, de ses détournements d’argent allant jusqu’à faire signer des chèques en blanc à ma mère. C’est une trahison qui fait mal.
Heureusement, il y a l’Ami, le vrai : Fredo. C’est lui qui m’a amené sur sa moto (rires…) au radio crochet à Mons, le premier février 1960. Et il est toujours là ! J’ai voulu aussi sauvegarder des amitiés extra show-biz. C’est important pour mon équilibre personnel.

Elle est éclose un beau matin
Au jardin triste de mon cœur
Elle avait les yeux du destin
Ressemblait-elle à mon bonheur ?
Oh, ressemblait-elle à mon âme ?
Je l'ai cueillie, elle était femme
Femme avec un F rose, F comme fleur. ( Extrait de chanson)
Ah, la femme ! Depuis toujours, j’ai été impressionné, ému, attendri par les femmes. J’ai toujours recherché leur contact. La femme est la pointe d’un iceberg, d’un univers extraordinaire de poésie et de tendresse. Les plus beaux mots que j’ai pu écrire étaient adressés aux femmes. C’est ma source d’inspiration. (Rires…) J’ai beaucoup d’imagination. Mon épouse a dû faire preuve de beaucoup de tolérance, de compréhension et de patience. Toutes mes chansons ne sont pas autobiographiques. Je m’invente des situations et souvent j’inverse les rôles. C’est drôle, c’est parfois un jeu.

On vous sent poète, proche des mots. Jacques Brel vous a qualifié de « tendre jardinier de l’amour ». Raymond Devos a dit de vous : « Adamo…c’est chanson, c’est poème, c’est vibration ! » Comment définiriez-vous l’émotion ?
J’ai ma formule. L’émotion c’est un frisson de l’âme, un bien-être comme un bonbon qui fond dans le cœur.

Où avez-vous puisé toute cette énergie pour vous sortir de vos problèmes de santé ?
Encore une fois, je le dis, en touchant du bois, j’ai eu beaucoup de chance et quoiqu’on en pense, le destin me protège. Avec mes chansons, j’étais là au bon moment. A sept ans, la méningite m’atteint de plein fouet. A 40 ans, je suis victime d’un sérieux accident cardiaque qui nécessite un pontage coronarien et de nombreux mois d’inactivité. A 61 ans, en pleine tournée, un malaise m’empêche de monter sur scène. On diagnostique une hémorragie cérébrale. Le temps était venu de me reposer chez moi à Bruxelles pendant près d’un an. L’envie d’écrire, d’enregistrer des chansons et de repartir en spectacle me guideront toute ma vie. Renouer le contact avec ce public à qui je dois tant me ferait soulever des montagnes. Après toutes ces épreuves, je concluerais en disant que j’ai un ange gardien, d’où le titre de mon dernier album : « la part de l’ange » (beau sourire…).
Aujourd’hui, je vais bien et suis heureux. Le bonheur ne peut être un sentiment permanent. C’est une somme de petites joies que l’on vit sur le moment. Le bonheur est un bilan. On peut être heureux de quelque chose qui vous arrive : de la réussite de ses enfants, du succès d’une chanson mais lorsqu’on sort de ce bonheur, la réalité du monde vous rattrape. Souvent je me suis engagé pour des causes. Lorsqu’éclate la guerre des six jours entre Israël et l’Egypte en 1967, j’ai écrit « Inch’Allah ». En 1993, je me suis mis au service de l’UNICEF, en tant qu’ambassadeur bénévole. J’aime tendrement les gens.

« La part de l’ange »° est un bel album mêlant swing, cuivres, guitares et accordéons. L’amour, l’éphémère, la nostalgie et la jalousie côtoient avec bonheur des romances et des mélodies incontournables soutenues par la jeunesse d’une équipe de production.
Que diriez-vous à un jeune qui parcourt ces propos ?
Je serai direct. S’il a le sentiment de pouvoir apporter quelque chose à ce moyen d’expression si populaire, qu’il s’accroche à son rêve ! Surtout qu’il ne vende pas son âme au diable ! Ne jamais essayer d’être à la mode. Bien sûr, il y a des courants et il faut s’y intégrer mais en l’adaptant à sa personnalité, et non l’inverse ! Tout comme la vie, prenez du plaisir à vivre avec les autres, tout en restant vous-même.

° CD Polydor 14 titres (dont « Ce George(s) » en duo avec Olivia Ruiz). Paroles et musiques Salvatore Adamo.