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Didier Colfs, comédien, l'art de l'émotion

Didier Colfs, comédien, l'art de l'émotion

Didier Colfs, comédien, est né à Bruxelles en 1970. Conservatoire Royal de Bruxelles, 53 pièces en tant que comédien, 2 apparitions au cinéma, je vous propose d'entrer dans l'univers de ce jeune talent aux multiples facettes.

Comment peut-on pressentir cette envie de devenir comédien, de jouer la comédie ?

J'ai senti très vite que je passerais plus de temps à vivre dans l'imaginaire, à faire rire ou rêver les gens plutôt que dans un bureau.
Un jour, je me suis retrouvé dans une salle de théâtre. Mes parents m'avaient emmené au théâtre des Galeries à Bruxelles quand j'avais 11 ans. La pièce s'appelait « Les filles », une comédie de boulevard des plus classiques. Le fameux trio de l'époque : Serge Michel, Jean-Pierre Loriot et Christiane Lenain, était en état de grâce dans ce théâtre, depuis des années. De voir cette salle hurler de rire, d'entendre tous ces gens rire ensemble, m'a touché en plein cœur. Je savais qu'un jour ou l'autre je graviterais dans ce monde-là.

Cette envie est en vous. Elle se traduit par des projets concrets. Rapidement vous êtes propulsé sur la scène. Je suis sorti en juin 95 du Conservatoire. J'ai eu mon premier contrat en août avec le théâtre de Poche. C'était fantastique. C'était super de commencer comme cela. Ensuite le théâtre du Parc, puis le Poche à nouveau m'ont refait confiance avec de gros projets comme Trainspotting**. Le facteur « disponibilité » est un déclencheur. On a beau se préparer, la chance, c'est d'être là au bon moment quand on a besoin de vous.

Comédien c'est vivre dangereusement. Toute nouvelle pièce est une autre aventure. C'est se remettre à chaque fois en question ? Effectivement. Et j'ai toujours besoin d'avoir des projets autres, des visions de théâtre totalement différentes. Au début, j'ai commencé par des comédies de boulevard mais tout de suite j'ai switché sur des pièces comme Trainspotting plus difficiles et éprouvantes. C'est comme ça que je conçois le métier de comédien. De passer de l'un à l'autre, de baliser le plus de styles et donc de s'enrichir professionnellement pour ne pas patiner en restant dans les mêmes genres.

Comment arrive-t-on à se glisser dans la peau d'un personnage ? Comment s'accapare-t-on d'un personnage ?
La meilleure mise en condition, c'est la vie. Se souvenir de ce que l'on a vécu, des étapes qui nous ont marqués. On a tout plein de personnages en soi à différents moments de la journée selon que l'on est avec telle ou telle personne. Quand on travaille un rôle, on essaie de comprendre d'où vient la violence, l'humour, l'émotion du personnage pour l'amplifier en soi. Dans Trainspotting, j'étais un psychopathe, d'une violence extrême. Il est clair que je ne suis pas violent dans la vie mais j'ai eu, comme tout le monde, des moments de grande colère et donc, j'ai été rechercher là-dedans. On ne peut jamais faire quelque chose que l'on ne connaît pas. Un autre bel exemple toujours dans la même pièce, était de jouer l'état de manque des héroïnomanes. Je ne le suis pas et n'en ai jamais touché. Dès lors, comment essayer de rechercher en soi ce qui se rapproche le plus de l'expérience qui pourrait donner cette sensation-là. Après discussion avec des héroïnomanes, l'état de manque le plus proche dans la vie quotidienne est la grippe exposant 10. On y a travaillé. S'identifier à un rôle passe par un travail sur soi pour trouver ce qui se rapprochera le plus de ce que vit le personnage.

Comment arrivez- vous à reproduire chaque soir le même état émotionnel ?
C'est le fruit d'un long travail : être en état de disponibilité pour recevoir l'émotion à communiquer. Par notre déformation professionnelle d'être toujours à l'écoute de ce qui se passe en soi, on essaie de la maîtriser. Parfois on trouve une émotion qui fait défaut les autres fois. Tout le travail pendant la répétition sera de retrouver l'état spontané. Comment se fait-il qu'on ait eu une émotion forte à tel moment ? La voix de ma ou de mon partenaire m'a-t-elle ému ? Peut-être ai-je eu une contrariété avant de venir à la répétition ? Ai-je repensé à un moment de mon enfance, de ma vie ? Le travail sera donc d'identifier ce moment-là et ensuite, le retrouver chaque soir pour chaque représentation. C'est très particulier au théâtre. Une fois un spectacle bien répété, il entre dans la chair. Il n'entre plus seulement dans le mental, mais dans votre peau. Parfois il suffit qu'on fasse exactement le même mouvement pour que l'émotion rejaillisse. Elle est inscrite dans le corps. Il y a une espèce de conditionnement pavlovien. La technique du comédien c'est de faire en sorte qu'il y ait la même émotion tous les soirs.

Comment vit-on une vie normale d'homme au quotidien ? Ce personnage vous habite-t-il à tous les moments de la journée ?

Ca dépend évidemment de chaque acteur, de sa personnalité mais aussi du spectacle à jouer. Pour certains, il n'y a aucune incidence sur la vie parce que la pièce est légère. Pour d'autres, c'est plus difficile, plus lourd comme *** Incendies*** que je viens de terminer. Un drame basé essentiellement sur l'émotionnel. Après un mois de spectacle comme celui-là, qui parle des souffrances de la guerre, de viol, d'inceste, il y a un réel besoin de décompression au risque de trouver la vie très moche. C'est comme un sportif qui prépare son match. Nous, il faut qu'on soit prêt à 20h. Si on est sur un gros spectacle, il ne faut pas nous demander d'être en pleine forme à 9h du matin, on le sera vers 16h, 17h et on donnera tout à 20h, raison pour laquelle on ne se couche pas à 23h, parce qu'après il y a la décompression. Comme un employé de bureau décompresse à 18h après ses 8 h de travail, nous ça se passe vers 1h du matin et donc il y a un décalage pour une vie avec des enfants, pas facile avec une épouse qui aurait un horaire « normal ». En plus, il y a des moments de crise. 5 jours avant un spectacle, un comédien est dans état fébrile et ne pense qu'à la première, puisque c'est sa passion.

Avez-vous l'impression de vivre plusieurs vies à force d'endosser des personnages différents ?
Oui, quelque part. Un personnage peut faire appel à des choses bien précises de soi On se sent parfois énormément concerné par la vie de ce personnage. Mais l'apprentissage important est de pouvoir fermer la porte une fois qu'on a terminé, sinon ce n'est pas vivable. Socialement, sentimentalement, affectivement le théâtre m'a sauvé la vie. Dans mon évolution de jeune ado, je ne serais pas devenu quelqu'un de chouette, de sympa. Le théâtre m'a ouvert à des choses incroyables. Il m'a révélé. Mes parents, des amis, me voyant sur une scène, se disaient : on ne voit pas ce Didier-là comme cela dans la vie. Il y a un côté catharsis : tout d'un coup on peut tester une émotion inconnue de la vie de tous les jours. Je n'ai pas tué tous les jours, violé, je ne me suis pas marié tous les soirs, ce qui nous arrive au théâtre.
Le danger qui guette tous les comédiens c'est d'être trop absorbé par les lumières et d'en oublier de construire leur vraie vie. Le théâtre peut devenir une drogue, comme l'alcool, comme un jeu vidéo. C'est une façon de quitter la réalité pour se réfugier dans l'imaginaire. Redescendre sur terre quand on vit seul n'est pas toujours facile. Il peut y avoir un gros danger : celui de ne pas vivre entre 2 spectacles, être en attente, ne pas vivre complètement, rester dans un état second, on peut arriver à la dépression.
Attention donc au théâtre échappatoire de la vraie vie.

La bonne définition du « comédien » selon Didier Colfs ?
C'est un monsieur ou une madame comme tout le monde, qui a envie de raconter une histoire et endosse pour une durée limitée la vie d'un personnage dans une histoire précise.

Dans ce métier, vous donnez et recevez des émotions. C'est le contact direct avec le public. Que ressentez vous dans cet échange ?

Un comédien a un côté narcissique évident. Sans cela on ne prendrait jamais le risque ni la folie de monter sur une scène. « Regardez-moi ! Mais aussi, j'ai envie de vous raconter une histoire ! » Il y a à la fois l'envie de transmettre, et le théâtre est un outil magnifique pour se dire « parlons de cela », mais aussi le désir de plaire, d'être aimé ! Quand tout d'un coup une salle de 50, 300 ou 500 personnes vous donne sa reconnaissance, son amour, la sensation personnelle est magnifique. C'est un cadeau formidable. On dit toujours que les applaudissements sont le salaire du comédien. Un public qui renvoie autant de bonheur fait oublier des mois de travail de fou sur un texte difficile et efface tous les doutes.
Quand on arrive à émouvoir au théâtre, l'émotion est très forte puisque la personne est en chair et en os devant vous. C'est un défi chaque soir. Rien n'est jamais automatiquement gagné. Tous les comédiens peuvent citer des exemples où subitement, dans un spectacle qui pourtant cartonne, une représentation ne fonctionne pas.

Et le stress ? Le fameux trac de monter sur scène ?
Il faut essayer de vivre avec. Chaque comédien a ses parades et ses manières de l'éjecter. Chacun est différent face au stress. Personnellement, c'est juste avant de monter sur scène. Et puis, il y a l'autre stress, celui de la vie quotidienne : trouver de l'emploi, des contrats, décoincer des rapports avec l'Administration qui ne comprend pas toujours bien notre métier, des bras de fer parfois interminables, gérer l'insécurité financière et le regard dubitatif de votre banquier si vous voulez acheter un appartement.

Vous êtes bien dans votre peau, aujourd'hui ?

J'ai eu un très gros passage difficile, il y a quelques années. Je me suis rendu compte que j'avais trop investi dans le théâtre et pas suffisamment dans ma vie. En entrant dans le théâtre, c'était comme un sacerdoce. J'avais tendance à accepter tous ses sacrifices : vivre seul jusqu'à la fin de ma vie, ne jamais avoir d'aisance financière. Je me suis trompé. Je ne suis pas au nirvana. Je reste prudent. Il faut pouvoir vivre autre chose. Rien n'est jamais définitif. Ma carrière peut s'arrêter demain.

Nous avons oublié d'évoquer pourtant quelque chose de fondamental au théâtre : l'étude du texte. Galère ou plaisir ?

Ennuyeux. Ce n'est jamais très drôle de se dire que l'on va passer 4 heures d'étude quotidienne pendant 3 semaines pour le maîtriser complètement. C'est révélateur qu'on n'en ait pas parlé. Ce texte doit venir naturellement comme notre conversation. Beaucoup de gens sont épatés par notre capacité d'emmagasiner des briques de texte. Le cerveau est un muscle extraordinaire qui se travaille. C'est étonnant : une fois un spectacle terminé, le texte s'évacue. Et en même temps si on ne joue plus un spectacle pendant un an, lorsqu'on le reprend, dès les premières répétitions, il revient très vite. Comme s'il était stocké quelque part dans le cerveau.
Tout comme je suis admiratif devant un musicien qui joue pendant 2 heures sans partition.

Vous dites : « Il faut du temps pour une certaine idée du bonheur et pour goûter pleinement la saveur des choses. Simplement parce qu'il faut du temps pour devenir l'être humain qu'on veut être. »
Je pense que tout le travail pour devenir un bon être humain est à refaire à chaque génération.
Je suis dans ce travail-là. Je ne suis pas encore celui que je voudrais. Quelque part on a tous en soi l'image avec laquelle on se sentirait bien. Je crois sincèrement que le jour où on peut arriver à être seul totalement et se sentir bien, alors on a trouvé l'être humain que l'on est. On peut avoir l'envie d'être avec quelqu'un, mais on n'a plus besoin de qui que soit pour être soi : l'état des Sages et le sentiment d'une profonde sérénité.