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Interview du Docteur J.-D. Nasio

Interview du Docteur J.-D. Nasio

Docteur Nasio, tout d'abord nous tenons à vous remercier chaleureusement d'accorder en exclusivité aux lecteurs de Psy.be, cette interview à propos de votre livre : « Un psychanalyste sur le divan », paru chez Payot.
Rappelons si c'est encore utile, que vous êtes psychiatre, psychanalyste et l'auteur de nombreux ouvrages* devenus des classiques de la psychanalyse. Vous habitez et travaillez à Paris.


Docteur Nasio, dans votre dernier livre : « Un psychanalyste sur le divan », vous expliquez qu'un psychanalyste peut aussi ressembler à un homme, un homme avec des émotions et des sentiments pouvant travailler « en proximité » avec ses patients. C'est justement dans cette philosophie qu'a été crée et que s'inscrit l'équipe de www.psy.be !
Cela change du discours froid, conformiste voir distant de certains psychanalystes, non ? Expliquez-nous votre point de vue ! Peut-on vous considérer dès lors comme un « psychanalyste humaniste » ?

Je ne me qualifierais pas d'humaniste car cela pourrait dire que mon but serait de relever la dignité humaine de mon patient, pour le mettre en valeur. Ce n'est pas tant ça le but de ma démarche en tant qu'analyste. Ce qui m'importe - et je crois que nous sommes de nombreux praticiens à le penser- c'est de percevoir l'inconscient du patient et de lui traduire en mots. C'est-à-dire de lui montrer ce qu'il a déjà en lui. Ce but de prendre contact avec son inconscient et de lui montrer ne m'empêche cependant pas de reconnaître qu'il est avant tout, un Sujet, un Homme, un individu, une personne, qui pense, qui sent et surtout qui se trompe en pensant et en sentant, et ce surtout au niveau des émotions.
Je précise tout de suite que le fait de se tromper en pensant et en sentant est le propre de chaque être humain car tout être humain est habité par une certaine innocence.
Donc, je reconnais que mon patient est quelqu'un qui se trompe en pensant et en sentant et que cette innocence est ce qui lui permet d'aimer, d'agir, de créer et de se projeter dans l'avenir. Je voudrais être plus clair encore ; je suis proche de mes patients, comme vous dîtes, je suis dans une proximité de mes patients et je pense qu'il y a là un esprit commun, une philosophie commune avec le site de Psychorelief.
Je suis proche d'eux parce que je sais que l'inconscient ne se manifeste pas seulement à travers des rêves, comme on dit, mais l'inconscient se manifeste au point culminant d'un vécu émotionnel.
En un mot, l'émotion, m'intéresse car c'est une porte d'accès, une voie royale à l'inconscient. Alors je comprends qu'en disant : « ça m'intéresse l'émotion », on puisse penser que cela m'intéresse l'humanisme. Je suis alors humaniste car je comprends et je respecte que c'est par l'émotion que l'inconscient s'exprime.

Voyez-vous une évolution dans la manière d'exercer les cures psychanalytiques aujourd'hui ? Quelles sont les choses primordiales qui ont changé lors de ces 10 dernières années dans les rapports entre les analystes et leurs patients ?
Oui, très certainement depuis ces 10 dernières années. Il y a eu deux sortes de modifications. Des modifications dans la technique d'abord. Effectivement, les cures tendent à être plus courtes et le nombre de séances tendent à se réduire. Actuellement le nombre de séances par semaine varie en moyenne de une à deux. A une certaine époque encore récente, la moyenne était de trois séances par semaine.
Il y a un changement notable du cadre analytique. Autre chose importante et là je témoigne de mon propre travail, je reçois beaucoup plus de patients face à face qu'avant, mais ces modifications du cadre, que ce soit dans le nombre de séances, dans la durée de la cure ou de dans le dispositif spatial, ne modifient pas l'engagement analytique, l'acte analytique car je considère qu'on peut faire une très bonne analyse avec un patient face à face, à condition d'avoir cette plongée dont je parle dans mon livre, cette plongée dans son propre inconscient d'analyste.
Si l'analyste perçoit en lui-même l'inconscient de son patient, je dis alors que c'est de l'analyse, peu importe le dispositif analytique.

Mais à quoi sont dus ces changements dans la durée des analyses et dans la réduction du nombre de séances ?
Je pense qu'il y a deux raisons principales. D'une part la psychanalyse a énormément avancé, elle a mûrit. Aujourd'hui et heureusement, nous ne sommes plus dans la phase du « vedettariat ». Nous sommes dans un état plus adulte, plus mûr, dans un esprit plus calme et dans une plus grande précision dans les formulations et les concepts. Il y a plus de livres. Les gens sont beaucoup mieux formés maintenant, il faut le souligner.
Actuellement, en 2002, la communauté analytique est beaucoup plus informée de la théorie analytique et de la pratique qu'il y a 40 ans !

Et donc cela réduit la durée des cures ?
Je pense effectivement qu'oui car les analystes sont mieux formés. Quand Lacan recevait des patients 3 minutes, il faut savoir que c'était un homme de 60 ou 70 ans qui recevait son patient, c'est-à-dire un homme qui avait 50 années de pratique derrière lui ! Il vrai que moi-même je peux en témoigner : je reconnais beaucoup plus rapidement -car il y a une sorte de phénomène de l'expérience- les perceptions de l'inconscient du sujet. De façon beaucoup plus fulgurante, plus rapide que quand j'ai commencé ce métier.
J'ajoute autre chose d'important que les gens ont tendance à oublier ; il y a un facteur social qui a joué ; la communauté analytique aujourd'hui, la communauté en général des psychothérapeutes, des psychologues s'est énormément multipliée ! La démographie de la communauté est 1000 fois plus importante aujourd'hui qu'il y a 40 ans ! Tout cela joue, il y a plus d'offres de la part des analystes et malgré tout il y a autant de patients. Le nombre de patients s'est aussi énormément développé.

Donc il y a une question d'adaptation « au marché » quelque part ?

Il y a effectivement une plus grande précision dans la théorie, dans la connaissance de cet art qu'est l'écoute et cela je dirais même au-delà des analystes bien qu'ils en soient les fondateurs. Je reçois moi-même de nombreuses personnes en supervision qui ne sont pas des analystes. Ils ont d'autres pratiques et viennent me voir pour avoir une orientation analytique, une supervision analytique. Donc aujourd'hui, au-delà de la communauté analytique, tous les praticiens de l'écoute connaissent mieux la théorie, sont plus formés et mieux informés.

Vous écrivez que généralement, chez vous, les cures psychanalytiques durent environ deux à trois ans. D'autres estiment qu'une cure « doit » durer cinq ans au minimum pour être une « vraie psychanalyse », qu'en pensez-vous ?
J'aurais pensé que ces principes étaient justes il y a 10 ans. Aujourd'hui je ne le pense plus. De plus en plus de patients que je reçois, vont pour la plupart, avec trois ans d'analyse, retrouver ce que j'appelle une relative stabilité dans la vie.
La stabilité qui lui donne le bonheur de vivre…

Est-ce comme vous l'écrivez dans votre livre, la question essentielle du bonheur recherchée dans l'analyse ?
Exactement, je trouve que ç'est ça que je rencontre chez bon nombre de patients. Pas chez tous, certainement pas, mais le nombre de patients qui terminent la cure en trois ans de travail, est beaucoup plus grand qu'il y a quelques années parce qu'ils y retrouvent une part de bonheur.

Même pour ceux qui veulent devenir analystes ?

Vous avez raison de le souligner, pour ceux qui veulent devenir analystes, cela requiert une cure plus longue, c'est vrai. Mais, je le répète, les patients qui ne sont pas dans ce cas, peuvent très bien achever leur propre travail en deux ou trois ans ! J'ajoute un élément nouveau dans le paysage de la pratique de la psychanalyse : l'influence des enfants. C'est très important l'influence du travail avec les enfants !
La thérapie ou la psychanalyse avec les enfants, bien qu'elle ait débutée avec Anna Freud, s'est incontestablement développée, d'une manière foudroyante en 30 ans ! Aujourd'hui le nombre de thérapeutes d'enfants s'est considérablement multiplié. Il est également extraordinaire de voir que les familles – et c'est un phénomène nouveau - font confiance aux thérapeutes et amènent leurs enfants.
Pourquoi je parle des enfants ? Pour vous dire combien dans le travail avec les enfants, on constate qu'il suffit de cures de quelques mois, 6 mois parfois pour améliorer la situation. Je repense à Winnicott, qui disait que 3 ou 4 consultations avec un enfant pouvaient permettre de résoudre les problèmes relativement réversibles.
Ceci a énormément influencé ma pratique avec les patients adultes !

Je le constate également dans ma pratique avec les petits enfants : 1 ou 2 séances peuvent permettre à un enfant de retrouver le sommeil, la sécurité qui lui manquait !
Exact parfois, j'ai dû moi-même apaiser les mères, calmer leur enthousiasme quand elles me disaient : « maintenant il est guérit, Docteur, on peut repartir ».
J'ai du parfois -par soucis de prudence et de rigueur- convaincre des parents qu'il valait mieux revenir encore deux ou trois fois parce que l'amélioration des symptômes ne me paraissait pas encore tout à fait confirmée.
Oui, il est évident que Winnicott avait raison de dire qu'avec une ou deux consultations, le thérapeute pouvait terminer son travail et repasser ensuite le relais aux parents !

Peut-être peut-on se dire que les tout-petits enfants sont les sujets les plus à mêmes de travailler en psychanalyse, qu'ils sont les plus réceptifs là la psychanalyse ?
Je pense – et c'est valable pour les adultes aussi - que comme je l'écris dans mon livre ; un analyste travaille avant tout avec son inconscient, avec ses fantasmes, avec ses émotions, avec ce qu'il est, avec son être, avec son désir – comme on dirait aujourd'hui- et non pas avec son école.
Il y a des thérapeutes qui sont d'excellents cliniciens quelle que soit l'école et il y a de très mauvais thérapeutes dans les meilleures écoles !
Un thérapeute travaille avec son être et c'est ça qui va faire que l'enfant puisse établir un transfert. C'est ce transfert à ce thérapeute, qu'il soit homme ou femme, qui va déterminer incontestablement, l'amélioration ou non de ses symptômes. De quoi dépend le succès du thérapeute ? De son engagement avec l'enfant, du respect qu'il a pour lui et bien entendu de sa formation.
Dolto disait – et je suis d'accord - un bon thérapeute d'enfant est avant tout un bon thérapeute d'adulte. Et j'ajouterai, un bon thérapeute d'adulte est un praticien qui a su étudier beaucoup et constamment. Les études représentent une sorte d'assurance d'une bonne qualité de la pratique.

Qu'auriez-vous envie de dire aux patients qui sont en cure depuis 10 ou 15 ans chez un analyste, je pense à certains patients névrosés ?

Je leur dirais que s'ils sont en cure depuis 15 ans, c'est qu'il doit y avoir des raisons, aussi bien chez eux, que du côté du thérapeute qui conduit la cure pour que la relation se maintienne depuis une si longue durée !
Le thérapeute et le patient vont devoir trouver, ensemble, la manière de conclure cette relation.
Cependant, cela dépend des cas par exemple, certaines cures concernant des personnes qui se destinent à devenir elles-mêmes des praticiens et sont donc souvent plus longues.

Et la question de la dépendance dont vous parlez dans votre livre…
Il est vrai que quelque fois ces cures trop longues sont surtout dues à un attachement mutuel de la part de l'analyste et du patient. Il s'agit alors d'une co-dépendance, l'un pour une raison et l'autre pour une autre, mais il est évident que tous les deux sont alors soudé dans un attachement relativement pathogène. Je ne dis pas pathogène dans tous les sens du terme car il y a des situations particulières. Je pense à une patiente que je viens de recevoir avant-hier. Une dame qui était en analyse depuis 20 ans chez un thérapeute et qui souhaitait le quitter. Quand je vois son état de souffrance, d'inhibition grave qui touche à la psychose, je dirais que cela ne m'étonne pas qu'elle soit restée si longtemps avec son thérapeute…
Il y a des cas très graves, ne l'oublions pas, qui nécessitent parfois une thérapie presque permanente !

Même question : qu'auriez-vous envie de dire aux analystes qui sont dans cette situation ?

Donc, aux analysants, je dirais de travailler avec leur thérapeute sur la meilleure issue à leur travail. Et surtout de ne pas de claquer la porte, car cela serait vécu comme une rupture brusque et violente, comme un poids dans leur histoire et il faut qu'une analyse, même très longue, prenne fin dans les meilleures conditions.
Aux analystes, je préconiserais de prêter attention, de réfléchir à eux-mêmes à leur contre-transfert, sur leurs propres besoins du patient, de ce patient là en particulier et de la nécessité à gérer la fin du travail.
Quand on a une analyse très longue, l'écueil aussi bien pour le patient que pour l'analyste, est toujours de savoir comment gérer cette fin.
C'est comme un avion qui a énormément volé, il faut qu'il atterrisse en douceur ! C'est très important l'atterrissage en douceur !

Justement, quels sont les signaux ou les indicateurs de la nécessité d'une fin de psychothérapie ou de psychanalyse ?
Ces indicateurs sont très clairs. Les thérapeutes qui ont l'expérience de la conduite des cures jusqu'à leur fin le savent pertinemment bien.
Les signes incontestables de fin sont quand le patient dit qu'il n'a plus rien à dire mais qu'il voudrait encore dire, même après plusieurs années de travail.
Je ne parle pas du patient qui dit cela après 6 mois de thérapie. Non, c'est celui qui après des années de travail dit : « je n'ai plus rien à vous dire et je le regrette car j'aimerais bien venir à mes séances et vous dire encore des choses, mais je ne sais plus quoi dire ».
C'est-à-dire, qu'il a le regret du manque de paroles pour nourrir la relation.
A ce moment là, pour le thérapeute, c'est un excellent signe que le lien avec lui est entrain de s'affaiblir.

Pourtant certains thérapeutes disent alors à leurs patients, que justement c'est là que l'analyse commence vraiment car il sera confronté au vide créateur de l'inconscient…
Non. Il est possible de dire cela au moment où le patient marque des temps de silence ; « des silences tendus ». Alors, je veux bien de ce type d'intervention. Ou alors encore quand il s'agit d'un patient en analyse depuis un an. Alors d'accord, effectivement, c'est le signe que l'analyse va ou vient de commencer.
La question du regret, de la peine, est importante car le patient sent qu'il y a quelque chose qui est entrain de se perdre. Cela me rappelle une femme qui avait été trahie par son mari qui s'en alla deux mois avec sa maîtresse. Puis se rendant compte qu'il ne pouvait pas vivre avec elle, il revint à la maison et là sa femme lui dit à son retour : « dommage, il y a un mois j'aurais été ravie de te retrouver car j'étais désespérée. Maintenant c'est trop tard, il y a quelque chose qui s'est rompu et j'ai de la peine de sentir que je n'ai plus d'amour pour toi.
Le manque d'amour crée une peine…

D'après-vous, y a-t-il d'autres indicateurs de la fin nécessaire du travail thérapeutique ?
Non, je dirais que cela est l'essentiel et le plus percutant, le plus patent.

Le but essentiel n'est-il de retrouver sa liberté et son indépendance ?
Non, parce que cela voudrait dire que l'analyse est la prison ou la dépendance. Non, le but de l'analyse n'est pas de retrouver sa liberté car le patient ne l'a jamais perdue !
Il est là, libre, depuis toujours. Je dirais même qu'il est dans la liberté d'aimer.
C'est plutôt l'analyste qui en prison ! C'est lui qui est prisonnier de l'amour, de la haine, des désirs de son patient. Si le patient est prisonnier de quelque chose c'est bien de ses propres pulsions mais pas de son analyste ! L'analyste, lui, est là pour souffrir. Il s'est engagé à se prêter à être l'objet des pulsions de son analysant.
Le but n'est donc pas pour le patient de redécouvrir la liberté comme s'il avait été prisonnier de son analyste. Mais comme je l'écris, la dépendance est pourtant une chose de saine et nécessaire dans l'analyse.

Par rapport à cela, comment peut-on comprendre et intégrer le concept « d'aimance » que vous déclinez dans votre livre ?
Comme je viens de dire, généralement, on dit qu'on aime parce que l'autre nous attire.
Je dis autre chose avec le concept d'aimance. J'aime non seulement parce que l'autre m'appelle mais j'aime aussi et surtout parce que j'ai besoin de décharger ma potentialité d'amour.
C'est donc très différent, c'est quelque chose de nouveau.
Dans le livre que j'ai voulu écrire dans un style très accessible, les propositions nouvelles risquent de passer inaperçues, hors le concept d'aimance en est bien un et je vous remercie vraiment de le souligner, je vois que vous avez fait une lecture attentive et intelligente.
Le mot « aimance », qui a un côté apparemment poétique peut ne pas laisser comprendre un changement très important au niveau de la théorie de l'amour qui est le suivant :
l'amour, il y a plusieurs façons de le définir mais il y en a une qui serait qu'on aime parce que l'autre nous appelle. C'est l'image de Narcisse, par exemple, qui se reflète dans l'eau. Parfois c'est quelque chose de moi-même qui m'appelle ou l'autre qui me ressemble et qui m'appelle pour que je vienne vers lui et je l'aime. Et bien, je ne veux pas nier tout cela mais le compléter :
je dis que l'amour vient aussi parce que nous avons aussi une pulsion qui cherche un objet à aimer. Nous aimons un objet, un être qui veut bien se prêter à se laisser aimer.

Dans le concept d'aimance, n'y a-t-il pas quelque chose qui rappelle l'aimant, quelque chose de l'ordre d'une force irrésistible qui ramène à l'autre comme dans la passion amoureuse ?
Exactement.

Que pensez-vous du rapport entre la psychologie, la psychothérapie, la psychanalyse et Internet ? Savez-vous qu'aujourd'hui la plupart des ados « chattent » tous les jours sur Internet, apprennent à s'y connaître et même s'y dévoilent… Aussi comment percevez-vous l'idée de www.psy.be d'inviter bientôt les ados à venir « chatter », dialoguer avec nous à propos de différents thèmes tels que leur rapport à l'autorité, à la sexualité, aux marques, aux différences entre les générations et « à la psy » ? Ces débats seront à chaque fois encadrés par un psy de notre réseau.

Je trouve que ce dialogue, ce « chat » géré par un psychologue est une très bonne initiative.
Je crois cependant qu'Internet peut être un préalable mais non pas un substitut de la première rencontre avec un autre !
Internet est une excellente condition préalable, d'appel, d'invitation à la véritable rencontre émotionnelle entre deux êtres : rencontre vivante, personnelle et qui est essentielle de par le rapport du face à face de l'un à l'autre, du corps à corps dans l'innocence et l'étonnement.
Ca c'est essentiel ! Le problème d'Internet c'est qu'on perd un peu cet aspect là, mais il est indéniable qu'il y a grâce à ce média, un échange qui prépare à la rencontre mais qui ne s'y substitue pas.

L'autre virtuel ne présente t-il pas moins de risque que l'autre dans la réalité ?
Exactement, quand je parlais d'étonnement c'est parce qu'il y a une dimension comme vous le dîtes, de risque.

Cela laisse beaucoup de place à la part de l'imaginaire de chacun…
Exact !

Oserais-je vous demander si vous vous retrouvez dans l'atmosphère et la philosophie proposée par le site www.psy.be ? Et si oui, en quoi précisément ?

Oui, je crois que nous avons un esprit commun dans lequel je me sens bien reconnu. C'est cet esprit de prendre le sujet, de le saisir, de le capter tel qu'il est, avec ses émotions, avec ses sentiments. C'est ça le côté « humaniste » comme vous avez dit en début d'interview avec cette double précision ; émotions, sentiments tels qu'ils le sont en sachant que le sentiment et l'émotion trompent ! Mais en sachant tout de suite que la tromperie est bénéfique puisque c'est avec elle, c'est-à-dire avec l'amour, que nous créons des êtres réels !
Il n'y a pas une opposition à faire entre virtuel et réel. Le virtuel est bon s'il est à l'origine du réel, voilà tout. Il fait naître le réel. S'intéresser au sujet dans ce qu'il a de sujet qui aime et qui ressent, en sachant que là il se trompe puisqu'il s'agit d'affects et de pensées mais que c'est avec ces mêmes affects et pensées -toutes fausses soient-elles- que nous allons pouvoir créer, agir et produire dans notre vie.

En conclusion, Docteur Nasio, quel message voudriez-vous faire passer aux psychothérapeutes, aux psychanalystes, aux praticiens des techniques à médiations corporelles, qu'ils soient débutants ou chevronnés, par rapport à la relation avec leurs patients ?
Trois mots me viennent à l'esprit :
le premier « étude » c'est à dire avoir une formation, une lecture régulière, assidue et profonde sont les meilleurs antidotes à des difficultés, à des dérapages. Je considère qu'un bon praticien, humain, ouvert à l'écoute est avant tout un praticien de texte. Je le dis parce que souvent on oppose l'intellectuel à l'émotionnel. Il faut beaucoup lire pour prendre du recul et surtout cela permet de sentir qu'on fait partie d'une communauté qui a une histoire.
La psychologie est née dans le 19ème siècle, la psychanalyse au début du 20ème. En assimilant, en faisant sienne une théorie c'est ainsi qu'on entre dans une communauté et c'est très important de s'y sentir identifié !
Le deuxième terme est « identité et intégration à la communauté » ; la filiation avec nos maîtres.
Le troisième mot c'est évidemment « prudence ». Je me l'applique à moi-même, quand j'ai des doutes je préfère fermer ma bouche, me taire et ne rien dire.

Un analyste peut-il dire : « je ne sais pas » ?
Oui, certainement. La modestie de l'analyste est très importante ! Plutôt que d'avancer et de faire des erreurs...

Au nom, de tous les lecteurs de www.psy.be, je vous remercie, Docteur Nasio, de nous avoir accordé cette interview exclusive ! Je rappelle le titre de votre excellent livre : « Un psychanalyste sur le divan ».