Faisons un peu plus ample connaissance. Où êtes- vous né ?
Je suis né à Ath dans le pays vert en 1964. Mais, je dois dire que je n'en ai pas gardé grand chose car à peine sorti de la maternité, je me suis retrouvé à Tournai.
Donc bien que né à Ath, je suis tournaisien de cœur avec leurs qualités et leurs défauts. C'est-à-dire ? Les tournaisiens ont la réputation d'être des gens assez fermés. On dit souvent que si un tournaisien ne connaît pas ce que votre père, votre grand-père, votre grand-oncle ont fait pendant la guerre, il va hésiter à vous serrer la main. C'est sans doute la caricature de gens assez fermés mais qui ont un énorme cœur une fois la glace brisée.
Votre père était aussi avocat. Un papa plutôt absent de par ses activités professionnelles. Vous en êtes fier. Il vous a inculqué les valeurs de la vie. Très tôt, vous avez ressenti le besoin d'être aimé, d'avoir des amis. L'amitié est une valeur essentielle pour vous !
Oh que oui ! On choisit ses amis, on ne choisit pas sa famille ! Malheureusement je trouve que le mot « ami » est devenu un terme terriblement galvaudé dans notre société. J'ai deux Amis. Ca s'arrête là ! J'ai de bons copains, d'excellents camarades mais deux Amis et j'insiste. Il y a une expression qui me heurte : ami politique (gros éclats de rire…). Pour moi, c'est impossible. On peut avoir de la camaraderie selon la couleur ou encore du copinage mais c'est tout.
Prenons un exemple, on se met en situation : j'ai une Cour d'Assises à Mons. Un procès hyper médiatique. Le procès s'ouvre le lundi matin. La presse est là. Tout le monde m'attend. Au même moment, mon ami va me demander d'aller le chercher en Terre de feu. Ca va avoir pour moi des conséquences familiales, professionnelles et financières, mais j'irai le chercher ! Oui, j'y vais !
Et la trahison ?
Ca m'est arrivé une fois. Pour l'instant, pas de rage, pas de haine. J'ai toujours l'espoir que ce ne soit pas une trahison définitive et qu'un jour on puisse revenir l'un vers l'autre. C'était un très bon copain. Je ne désespère pas, l'âge venant, que l'on puisse se retrouver. Que s'est-il passé entre vous? Excusez-moi, mais je préfère que l'on passe à autre chose…
L'émotion est-elle présente chez Maître Rivière ?
Tout le temps ! Je constate que c'est une constante chez les pénalistes. La caractéristique de notre métier : un narcissisme évident et ensuite une énorme sensibilité. Il m'arrive d'étudier des dossiers et d'avoir la nausée. J'ai 18 ans de barreau et parfois, je claque un dossier en disant je ne peux plus lire cette horreur.
Je pense que pour être un bon avocat, il faut faire passer de l'émotion. D'ailleurs, comment faire passer de l'émotion si on n'en ressent pas ? Ca sonnerait faux. Je suis un colosse aux pieds d'argile. Ce n'est pas difficile de me faire pleurer. Il suffit de trouver la corde sensible. Les gens qui me connaissent, le savent !
Pendant tout le procès Dutroux, l'homme Jean-Philippe n'a- t'il jamais envahi l'avocat Rivière ?
Je n'ai montré que la facette de l'avocat encore que…A un moment, c'est devenu carrément impossible. J'ai du faire un effort sur moi-même pour ne pas lui lancer mon pc portable à la figure. Il a eu une réflexion qui ne concernait pas ma cliente, mais Ann et Eefje. Là, l'avocat a failli s'effacer. J'ai du me faire mal. Les ongles me rentraient dans les paumes de la main tant je serrais les poings. J'aurai eu envie de le démolir.
On a l'impression d'avoir face à soi un monstre. Mais toujours avec cette interrogation : ce type- là, ce n'est pas un martien ? Il a un papa, une maman. Comme moi, il est sorti du ventre de sa mère. Comme moi, il fait partie de la même race : ça s'appelle un humain. Alors, on s'interroge comment est-il possible qu'on en arrive à de tels actes ? J'avoue ne pas encore avoir compris le personnage !
On en sort comment d'un procès comme celui-là ?
Usé nerveusement et moralement. Je suis abîmé.
Un avocat peut-il mentir ?
S'il le fait, ce n'est pas intelligent. Les gens oublient toujours que l'on plaide devant un magistrat. Les magistrats ne sont pas des machines, ce sont des êtres humains mais ils ne sont stupides.
Si vous mentez à un juge, ça passera peut-être une fois ou deux, si vous avez du bol.
Mais le jour où le juge tombera là- dessus et ce sera le cas, puisqu'il n'est pas idiot, il s'en rendra compte et là vous serez grillé. C'est ce qu'on appelle perdre l'oreille d'un magistrat. Le magistrat ne vous écoutera plus !
La part de psychologie a t'elle une importance dans votre travail ?
Pour moi, c'est déterminant Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi le droit pénal et la famille. Je fais énormément de divorce et c'est là que je touche profondément à l'humain.
La plus belle chose pour un avocat, c'est de faire avouer son client ; là où le juge d'instruction, la police, le parquet ont échoués. Et dans mon bureau, il passe aux aveux. Cela suppose qu'on ait étudié le dossier avec honnêteté. Cela suppose aussi qu'on arrive à démontrer à son client qu'il n'y a pas d'autre solution que la culpabilité, particulièrement dans les dossiers de mœurs. De lui faire vomir sa vérité. Même si on est tenu au secret professionnel. Encore faut-il le convaincre qu'il avoue à la justice mais aussi à ses proches. En arriver là vaut tous les honoraires du monde. C'est une réussite extraordinaire.
Vous avez du mal à vous comprendre le matin ?
Tout à fait. Il y a toujours la différence entre la manière dont on se voit et la manière dont on est. Ce que l'on voudrait être et ce que l'on est effectivement. C'est ce qui fait vivre l'être humain parce que si j'étais ce que je voudrais être, je n'aurais plus la quête, la volonté d'être autre. Heureusement donc que mes paroles, mes actes ne sont pas toujours en conformité avec ce que je considère comme le moi idéal.
Elle court, elle court la rumeur, comment lui tordre le cou ?
On ne le fera jamais et de moins en moins dans notre société qui est hyper médiatisée. Et vous êtes très médiatisé ! A chaque jour, il faut son scoop. Et comme tous les jours il n'y en a pas, c'est la fameuse phrase « quand il n'y en a pas, on en invente ».
Ce ne sont pas les professionnels des medias que je vise mais les conversations de café du commerce. T'as vu un tel ? Tu connais la dernière ?
Il en est une pour l'instant qui dit « que je vivrais en ménage avec Sabine Dardenne ! » Qu'on ne vienne jamais me dire cela devant moi, parce que je perdrai mon sang froid, et je volerai devant le tribunal correctionnel pour coups et blessures volontaires.
Comment peut naître une telle énormité ?
J'ai une réflexion : ne vit-on pas dans une époque tellement sombre où les gens ne peuvent plus imaginer qu'il puisse y avoir quelque chose de sain ? J'ai une expression pour expliquer cela : il faut taguer la Joconde. Ce n'est pas possible qu'elle soit si belle, si parfaite. Et puis, ce sourire qui doit cacher quelque chose !
J'ai eu avec Melle Dardenne une relation professionnelle intense pendant presque 10 ans, saluée par toute la presse. Et donc au café du commerce, on doit se dire « oui, mais il doit y avoir quelque chose là dessous ».
C'est ignoble ! On s'attaque là humainement et psychologiquement au plus grand souvenir, au plus grand succès professionnel de ma carrière.
Quels conseils donneriez-vous aux futurs magistrats qui lisent en ce moment www.psy.be ?
Les clients passent, les magistrats et les confrères restent.
Quelque soit la cause, il faut se battre, il faut la défendre mais en utilisant des moyens loyaux pour garder l'estime de la profession. L'avocat n'est en aucun cas la pute de son client ! Le jour où un client vous dit : « Maître, vous allez plaider ça ! Et que moi j'estime que je ne peux le faire. Même si le client vous rétorque : « Maître, je vous paie pour ça ! ». Alors si vous acceptez, vous devenez une pute, ni plus ni moins qu'une pute. Un avocat ne peut devenir la prostituée de son client.
Qu'est ce qui vous fait courir ? (Rires)
Une certaine image de la justice qui est en train de disparaître. Je suis effondré de voir la justice médiatique, la justice show à l'américaine. Cela me consterne. L'image de la justice se donne dans un prétoire, pas devant les caméras.