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L’Interview du Moi : Stéphanie Degrave, auteure du livre « Je me sépare, que faire… »

L’Interview du Moi : Stéphanie Degrave, auteure du livre « Je me sépare, que faire… »

Stéphanie, vous êtes avocate et médiatrice, pour quelles raisons avez-vous pris l’initiative d’écrire ce livre ?
J’ai fait le constat que des livres existent pratiquement sur tous les sujets qui touchent les gens dans leur quotidien, alors que sur la séparation –qui est un évènement majeur dans une vie-, on ne trouve presqu’aucune littérature. J’ai donc voulu combler ce vide et partir de ma pratique d’avocate et de médiatrice familiale pour donner une vision à 360 degrés des questions qui se posent dans le cadre d’une séparation ou d’un divorce, tant sur les aspects psychologiques que juridiques : Comment annoncer la séparation ? Comment présenter un nouveau conjoint ? Quels sont les besoins de l’enfant quand les parents sont séparés ? Que prévoit la loi en matière d’hébergement ? Comment se calcule une contribution alimentaire ? Qui peut rester dans la maison familiale ?  Quels sont les impacts au niveau fiscal ? etc…
J’y explique également comment se déroule une procédure judiciaire (coût, durée, est-ce que l’enfant va être entendu dans la procédure ? etc), et comment l’éviter. Il existe en effet des alternatives au procès qui doivent, à mon sens, être envisagés en priorité, tels que: la médiation, la négociation, le droit collaboratif et la chambre des règlements amiables. Ces alternatives sont appelées des « modes amiables de règlement des conflits (les « MARC »).

Quels sont les principaux messages de votre livre ?
J’ai avant tout voulu écrire ce livre pour que les séparations puissent se passer de la manière la plus sereine possible et ce, surtout pour protéger les enfants. 
Pour y arriver, j’ai souhaité faire passer plusieurs messages, dont les principaux sont sans doute de veiller à recréer le dialogue, de mettre les enfants « en congé » du conflit parental, et de permettre aux personnes de trouver elles-mêmes des solutions satisfaisantes, malgré la situation difficile. A cet égard, il me paraît essentiel de favoriser la médiation, et d’une manière plus générale, les  « MARC ». 
Comme la médiation reste encore trop peu un « réflexe » chez la majorité des personnes, j’ai voulu essayer de les y sensibiliser.
Avec les moyens que j’avais, j’ai souhaité écrire ce livre pour tenter de faire évoluer les mentalités. Je constate malheureusement que trop d’avocats sont encore frileux à envoyer leurs clients en médiation, soit parce qu’ils veulent réduire les séparations à des questions juridiques indépendantes des émotions, soit parce qu’ils ont peur de « perdre » le client et les honoraires qui en découlent. Je suis personnellement convaincue que les problèmes juridiques sont systématiquement teintés d’émotions qui doivent être traitées et que la médiation permet d’y arriver, sans pour autant verser dans la thérapie. 

Justement, comment votre livre a-t-il été reçu par vos confrères ?
Si les magistrats et les médiateurs saluent généralement l’ouvrage, la réaction est plus mitigée au sein des confrères. Comme je viens de l’expliquer, certains avocats sont hésitent encore à envoyer leurs clients en médiation et mon livre peut dès lors heurter leur manière d’envisager leur métier.

Que conseillez-vous vis-à-vis des enfants ? Que leur dire ? Y a-t-il des erreurs à ne pas commettre ?
Je donne différents conseils dans mon ouvrage, tant par rapport à l’annonce de la séparation, que d’une manière plus générale par rapport à ce qui est important que l’enfant entende ou n’entende pas tout au long de la séparation de ses parents. 

Au niveau de l’annonce de la séparation, on peut dire en synthèse qu’il importe bien entendu d’en informer les enfants que lorsque les conjoints sont vraiment certains de leur décision. Je conseille toujours aux les parents de bien préparer ce moment et de veiller, dans la mesure du possible, à l’annoncer ensemble, devant toute la fratrie, quel que soit l’âge des enfants. Je suggère aussi de plutôt privilégier un début de week-end car c’est un grand bouleversement dans la vie de l’enfant et qu’il faut lui laisser le temps d’intégrer l’information. Par ailleurs, il importe de pas trop questionner le ressenti de l’enfant au moment de l’annonce pour lui laisser le temps nécessaire de faire avec cette nouvelle réalité. Les parents doivent pouvoir accueillir toutes les émotions spontanées de l’enfant, qui peuvent être parfois déstabilisantes pour les parents qui s’attendaient à autre chose.

Au niveau du contenu, il ne faut pas vouloir tout expliquer aux enfants. Il est sain qu’une part de mystère subsiste. Comme il est difficile d’expliquer pourquoi on tombe amoureux, il est compliqué d’expliquer aux enfants les raisons pour lesquelles les parents ne sont plus amoureux et se séparent. Ce qu’il faut surtout, c’est éviter de victimiser l’un et de culpabiliser l’autre. On évitera donc de dire « Papa m’a trompé. Il nous abandonne pour une autre femme », mais on veillera plutôt à dire : « Papa est tombé amoureux d’une autre femme, je suis triste mais cela va aller, cela arrive dans la vie. On ne peut pas forcer quelqu’un à rester amoureux ».
Il ne faudrait jamais dire à un enfant qu’on se sépare « pour son bien » car chez l’enfant, cela induit une responsabilité indirecte, lui qui a déjà tendance à se responsabiliser.
Il convient aussi de rassurer l’enfant sur ce qui va se passer concrètement dans la suite de sa vie (son lieu de vie et le rythme de l’hébergement principalement) et lui rappeler tous ses autres repères qui subsisteront au-delà de la séparation (habitat, école, amis, familles …).

Quelques autres conseils ?
Ce qui est difficile pour l’enfant, ce n’est pas la séparation en elle-même mais les conflits, les clivages, les critiques d’un parent contre l’autre et le manque de communication.
Même dans la tempête d’une séparation, il faut apprendre à protéger la figure paternelle ou maternelle quand elle est exposée à la critique ; il faut s’abstenir de faire des critiques de la vie de l’autre parent ; il faut parler de l’autre parent en termes respectueux. Ces pistes sont la meilleure garantie pour aider l’enfant à faire son deuil du couple parental et à bien grandir. 
Ne faites pas de votre enfant, votre confident. 
Ne confondez pas réalité et ressenti. Si les parents sont généralement conscients qu’il ne faut pas traiter l’autre de tous les noms, ils ont en revanche tendance à confondre réalité et ressenti. Ils ont l’impression que s’ils ne font qu’énoncer à l’enfant un fait objectif (une « réalité »), ils ne font qu’aider leur progéniture à réaliser qui est l’autre parent. Des phrases comme : « ta mère n’a jamais penser su qu’à elle », « ton père n’a jamais su s’occuper d’un enfant. », ou « ton père a détruit notre famille » sont inutiles à entendre et douloureuses pour un enfant.
Ne prenez jamais votre enfant, comme complice, comme messager ou comme allié dans le cadre d’une séparation. Ce n’est pas sa place. Il faut éviter les communications indirectes du genre : « n’oublie pas de demander à papa de payer la moitié de ta cotisation de hockey », « Ne lui dis qu’on est allés au restaurant », « Tu me diras si le copain de maman était là cette semaine ». 
Il ne faut pas donner l’impression à l’enfant de devoir faire un choix car cela l’emprisonnerait dans un conflit de loyauté et dans la souffrance. Au contraire, il faut pouvoir lui dire combien on est heureux qu’il ait passé une chouette semaine avec l’autre parent. 
Il importe aussi de valoriser les actions positives de l’autre parent et de dire « c’est super que papa t’ait acheté des vêtements », plutôt que « décidément, il ne sait pas quoi faire pour t’acheter ». 
De même, il faudra respecter les choix des nouveaux conjoints et les choix de vie dans le cadre des reconstructions de chacun. Le parent essaiera donc de dire « Maman a un nouvel amoureux. Tu n’es pas obligé de l’aimer, mais ce serait chouette que tu t’entendes avec lui ». Je sais que c’est terrible à dire pour le parent qui a été quitté et qui se sent victime de la séparation, mais il s’agit du prix à payer pour protéger l’enfant, pour lui permettre de grandir en paix et de continuer à se construire avec ses deux parents.

Comment rétablir une co-parentalité adulte et positive quand on est dans la colère et la rancœur ? 
Plusieurs pistes doivent à mon sens être envisagées.

Sur le plan personnel, tout d’abord, il est indispensable de de sortir de sa position de victime, qui est une position « normale » au début d’une séparation mais à laquelle il ne faut pas rester accroché sous peine d’engendrer une situation destructrice pour toute la famille. En synthèse la victime se dit « Je suis victime. Je souffre. Mes enfants doivent savoir la vérité. J’ai droit à tout puisque que je n’ai pas choisi la séparation et que je ne suis responsable de rien. »  Au contraire, il faut le plus rapidement possible essayer de passer à la phase de responsabilisation et se dire « C’est dur. Je souffre, mais je vais m’en sortir. Je ne vais pas faire payer cela à mon ex. Je vais comprendre en quoi ne suis aussi responsable et me relever. »  En passant à ce nouveau positionnement, on évite de rester englué dans sa souffrance. On n'est ni faible, ni lâche. On se prend en main pour soi et pour ses enfants.

Ensuite, au niveau de la manière de régler la séparation, il faut sortir de la croyance que la justice avec un grand « J » existe et qu’elle va réparer notre souffrance. Au contraire, une procédure judiciaire est longue, très couteuse et émotionnellement très lourde à porter... avec un résultat généralement bien en-deçà des espoirs qu’on y avait mis. Une procédure ne fait qu’exacerber la conflictualité et réduit la collaboration parentale, au détriment de l’enfant. Dans mon approche, je privilégie donc les MARC (Modes Alternatifs de Règlement des Conflits) car ils vont permettre de pouvoir « vider son sac », de traiter les émotions - ce qu’on ne peut pas faire en justice -, et de trouver des solutions sur mesure qui nous conviennent, alors que les juges en quelque sorte font du prêt-à-porter avec de solutions toutes faites. Dans un tribunal, il n’y a pas de place pour créativité et pour l’écoute des besoins et des émotions de chacun.
 
Enfin, pour restaurer la communication, il existe des outils performants comme la guidance parentale et les ateliers de communication pour parents séparés (http://www.parlonsnous.org et http://parentsandcom.be). Ils permettent d’apprendre à communiquer correctement avec l’autre.

Que pensez-vous des modalités d’hébergement des enfants ? La garde alternée 50-50 est-elle la solution la plus équitable et fonctionnelle ?
L’hébergement égalitaire a été prôné dans l’intérêt de l’enfant mais dans la vie des familles, il ne constitue pas toujours la panacée lorsqu’il ne tient pas compte de la réalité de chacun. Il peut alors générer de souffrances.
Je suis convaincue qu’il n’existe pas de système idéal qu’il serait bon d’appliquer à toutes les familles. Pour les enfants, le meilleur système d’hébergement est un système qui convient aux deux parents (quel qu’il soit : égalitaire, majoritaire pour la mère ou pour le père, morcelé en petites périodes ou fractionné en périodes plus longues, …), un système qui fixe un cadre suffisamment clair et cohérent pour que l’enfant puisse s’y repérer, un système qui  tient compte des réalités de vie de l’enfant et des parents. En synthèse et dans l’idéal, un cadre où l’on garde une certaine souplesse. Dans ce sens, le recours aux « MARC » est une option à privilégier puisqu’elle permet aux parents de créer du sur-mesure.

Interview réalisée par Dimitri Haikin, Psychologue, Psychothérapeute et Directeur de www.psy.be

Stéphanie Degrave est avocate au barreau de Bruxelles depuis 2002 où elle pratique le droit de la famille. Formée aux outils de psychologie systémique, elle est également médiatrice agréée (familial, civil et commercial, social). Elle est l’auteure du projet de loi relatif à la création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse (voté par le Parlement et en vigueur depuis le 1er septembre 2014) et également de diverses publications juridiques (droit familial). Elle participe activement à des colloques nationaux et internationaux, ainsi qu’à des émissions radio et télévisées, et intervient dans la presse écrite.