Barbara Abel, bienvenue ! Je suis un lecteur passionné par vos romans depuis plusieurs années. Vous arrivez à faire vivre chacun de vos personnages dans des structures de personnalité très typées et particulières, dans lesquelles, les lecteurs peuvent aisément se projeter. De rebondissements en rebondissements, il devient presque impossible de s’en détacher !
A partir de quel âge, vous est venu l’envie d’écrire ?
J’ai toujours été une lectrice boulimique. Adolescente, je lisais énormément et mes grandes émotions passaient par la lecture. Cependant, je me destinais à être comédienne de théâtre ou actrice de cinéma. De par mon amour pour la lecture, je me suis dirigée vers des études de lettre pour ensuite essayer de percer dans le théâtre. Malheureusement, cela ne fonctionnait pas tellement à l’exception que j’ai écrit une pièce de théâtre avec mon compagnon. Et je dirais que c’est à ce moment-là que tout a commencé : nous avons monté la pièce, je l’ai jouée, … Et c’est par après que je me suis fait la réflexion que j’avais pris autant de plaisir à écrire cette pièce qu’à l’interpréter. C’est ainsi que je me suis mise à écrire tout en essayant de percer dans le théâtre. Est ensuite arrivé un éditeur qui s’est intéressé à moi avant qu’un metteur en scène ne le fasse. Il m’a fait part de son intérêt pour une petite nouvelle que j’avais écrit et nous avons ainsi pu collaborer. C’est important de noter que si un metteur en scène s’était intéressé à moi avant un éditeur, je ne serais pas du tout devenue romancière !
On peut appeler ça le destin ! Ou l’intelligence de l’éditeur…
C’est ça ! Et donc, c’est en forgeant qu’on devient forgeron. J’ai écrit un premier roman qui a assez bien marché : « L’instinct maternel » en m’appuyant sur mon thème de prédilection : la maternité.
C’était un thème lié à votre histoire personnelle ?
Pas vraiment en réalité. En fait, au risque de vous décevoir, je suis très mauvaise en enquête policière, je déteste les serials killers, je suis incapable d’écrire une histoire d’espionnage, et ainsi me restait le thriller domestique. Je pense que le thème de la maternité est l’un des plus gros thèmes dans la vie, avec les relations interpersonnelles. Nous avons tous une relation avec une mère, bonne ou mauvaise, présente ou non, ... On a tous ce rapport également aux enfants, que l’on en ait ou pas. A moins d’écrire sur les relations entre amis qui finissent mal, il m’était inévitable de passer par ce thème central de la vie.
Il y a toujours des relations très intimes entre vos personnages, comme un univers clos de relations et cela permet ainsi d’aisément s’y projeter. Construisez-vous votre scénario au fur et à mesure que vous avancez dans votre roman ou avez-vous la structure – rebondissements compris – au moment de vous lancer dans l’écriture ?
Quand je commencé à écrire, je n’ai rien d’autre qu’un point de départ. Parfois, je mets 80-100 pages à amener cette introduction pour qu’elle acquiert toute sa dimension. Si je commençais simplement mon roman avec un petit chapitre d’introduction parlant d’un enfant qui tombe d’une fenêtre, cela serait triste, certes, mais le lecteur serait beaucoup moins impacté car il ne connaîtrait peut-être pas autant la famille, l’enfant, le contexte,… Ainsi en les présentant bien, cela devient des personnes que l’on connaît, ce qui engendre vraiment un drame. C’est le même principe pour un autre de mes romans où une femme dans le coma accouche d’un enfant qu’elle a eu en se faisant violée : si je ne présentais pas d’abord sa famille, leurs points de vue, il n’y aurait pas toute cette crainte et cette connaissance de tout ce que cette nouvelle va engendrer.
Sur ce point de départ, vous y retrouvez ainsi des échos émotionnels en vous ?
C’est clair que j’essaye toujours de partir de chose que je connais et quand je dois décrire une émotion, l’attitude d’un personnage, j’essaye toujours de rester proche de mes propres émotions. J’essaye de décrire la façon dont ces émotions se sont transcrites en moi.
Et qu’en est-il du pouvoir d’un père omnipotent tellement bien dépeint dans votre roman : « Et les vivants autour » ?
Alors en réalité ce n’est pas très proche de mon histoire, j’ai personnellement eu un père plutôt absent donc, tout l’inverse. Pour ce personnage, il est apparu en réponse au personnage de la mère que je voulais transformer en femme soumise. Et évidemment, pour arriver à ce personnage de femme soumise, il faut un mari omnipotent et tyrannique. Cependant, il a ensuite pris forme, a acquis une vraie existence. Je ne vais pas dire que je l’aime bien parce que cela reste un personnage assez controversé mais je trouve que parmi tous, il reste le plus honnête, le plus droit. Il est bien sûr très con mais il est authentique.
Finalement, l’articulation de vos personnages dans l’histoire se crée au fur et à mesure de l’écriture.
J’aime effectivement bien partir sans réellement savoir où je vais. Je pars du principe que pour surprendre le lecteur, il faut avant tout que je me surprenne moi-même. Si je pars dans un roman en sachant déjà tout, je ne l’écrirai pas de la même façon que ce que je fais maintenant. Alors bien sûr, cela m’amène parfois à des moments compliqués où, par exemple, après avoir écrit 200 pages, je ne trouve pas de suite assez efficace.
Vous pouvez rester bloquée combien de temps comme ça?
Cela peut durer des jours, voire des semaines. C’est assez inquiétant sur le moment mais force est de constater que cela me convient assez bien, je finis toujours par trouver la suite heureusement. Ainsi, cela me force vraiment à aller chercher la suite au plus profond de moi.
Vous savez, ce que vous nous décrivez là, cela porte un nom en psychologie : le désespoir créatif.
Eh bien, ce mot correspond vraiment bien. Quand je suis dans ce désespoir créatif et que je me se vraiment angoissée, je suis très heureuse de pouvoir lire souvent des messages très chaleureux de lecteurs qui me disent avoir adoré mon précédent roman, qu’ils attendent le prochain !
Comme de petites vitamines mentales finalement. Cela vous arrive à chaque fois ce sentiment de désespoir ? Faites-vous parfois « appel à un ami » ?
J’ai ce ressenti quasiment à chaque livre, oui. Je me fais par ailleurs souvent aidée par mes amis lors de discussions que je peux avoir avec eux, où ils parlent de l’histoire d’une manière et d’un point de vue qui m’étaient encore inconnus. Et grâce à eux, je me dis, « ah tiens c’est intéressant, je partirais bien par-là, … ». Par exemple, je me fais souvent aidée par un capitaine policier pour ce qui est des détails sur les enquêtes policières notamment car cela m’est difficile à comprendre, je dirais que cela m’ennuie. Quoi qu’il en soit, cela me permet de savoir comment se passe une perquisition, une garde à vue, … Cela me permet d’être crédible pour que le lecteur continue à y croire, pour rester dans une réalité tangible. Je joue sur l’empathie bien entendu et sur l’identification au personnage.
J’essaye bien sûr d’aller le plus loin possible car mon roman reste un thriller, une fiction, quelque chose de ludique, où on essaye de se faire peur. Cependant, il faut que le lecteur continue à y croire.
S’il y a quelque chose par contre où l’on n’a pas l’impression que vous devez vous faire aider, c’est bien la psychologie ! Avez-vous appris cette lecture des comportements ? Avez-vous rencontré ces personnages, repris des morceaux ?
A vrai dire je n’ai pas réellement appris la psychologie. Je dirais effectivement que ce sont des morceaux. Je tente de ne pas créer des « personnages clichés » mais d’y apporter quelque chose de très personnel inhérent à chacun d’entre eux. Je fais en sorte de peaufiner les personnages afin que l’on passe d’une sorte d’archétype de personnage à quelque chose de vrai.
Si vous êtes d’accord d’aborder le sujet, nous avons parlé en début d’interview du thème de la maternité, voudriez-vous nous dire quelques mots sur votre mère ?
En réalité j’ai une très bonne relation avec ma mère. Nous sommes très proches l’une de l’autre. Mon père est parti très tôt et ma mère m’a en fait eu très jeune. On s’est vraiment serré les coudes même si elle a fini par refaire sa vie avec quelqu’un de très doux. J’ai au final vécu une enfance assez classique aux côtés de frères et sœurs très bienveillants. C’est vrai qu’au début, ma mère était très étonnée du type de roman que je produisais, elle se demandait si elle n’avait pas fait une erreur *rires*. Mais oui, j’ai grandi dans beaucoup d’amour et il y en a toujours beaucoup entre nous. J’essaye par ailleurs de développer ça avec mes enfants.
Vous êtes alors l’ainée d’une fratrie de combien d’enfants ?
Je suis donc l’enfant unique d’un premier cru et j’ai ensuite un frère et une sœur du côté de ma mère et un frère du côté de mon père. En sachant que mes parents m’ont eu très jeunes, à 20 ans et ils ont donc ensuite un peu attendu avant de refaire des enfants. L’écart entre moi et le reste de ma fratrie s’étend à une dizaine d’année.
Concernant le décès de votre père, cela a eu un impact dans votre domaine professionnel ?
Pas forcément. J’étais en fait assez jeune, 23 ans, et je n’avais pas encore fait grand-chose dans ma vie professionnellement parlant. Alors bien sûr, je ne l’avais pas beaucoup connu du fait qu’il a été très absent. Ainsi, il ne m’a pas forcément manqué au quotidien bien que j’étais très triste.
Vous n’avez jamais écrit dans un de vos livres le récit d’un père absent ?
Non, pas vraiment. Je pense avoir bien cicatrisé ce deuil. Quand je suis devenue jeune adulte, je suis venue habiter à Paris deux ans avant sa mort pour me rapprocher de lui. Cependant, la rencontre ne s’est pas faite, n’a pas eu lieu. Mais du coup, en rentrant à Bruxelles, je me suis dit que c’était comme ça, que j’allais continuer ma vie. Bien sûr, cela s’est un peu compliqué car il est décédé juste après mais le fait d’avoir essayé de me rapprocher m’a permis de ne pas avoir de regrets. Bien entendu, il m’a eu très jeune, c’était un bon vivant et peut-être qu’il avait simplement envie de vivre sa vie, sans se charger d’un poids que peut être un enfant. Maintenant que je suis adulte, je peux le comprendre donc je ne lui en veux pas. Et je sais par ailleurs qu’il m’aimait, à sa façon. Quoi qu’il en soit, je pense m’être bien débrouillé.
Eh bien mille mercis pour cette interview, c’était très agréable.
Merci à vous !
Interview réalisée par Dimitri Haikin
Psychologue clinicien
Directeur de www.psy.be