Je souhaite...

Notre invité : Ariel Jacobs, Entraîneur de l’année 2010 (RSC Anderlecht)

Notre invité : Ariel Jacobs, Entraîneur de l’année 2010 (RSC Anderlecht)

Ariel Jacobs, merci avant tout d'accepter de vous coucher sur le divan de Psy.be et de répondre à nos questions ! Nous avons choisi de vous inviter sur Psy.be car vous avez la réputation d'être avant tout un « Entraîneur Formateur » non pas seulement de « Footballeurs » mais surtout « d'Hommes Footballeurs ». Pouvez-vous nous expliquer cette nuance ?
C'est simple à expliquer. Avant de s'adresser à un joueur de foot quel que soit son âge, sa maturité ou son origine, j'ai affaire à un être humain, dans toutes ses dimensions.
Que l'on parle des aspects purement sportifs, physiques ou tactiques, en final, ce sont les paramètres humains qui seront déterminants dans la performance.
Le rôle d'un entraîneur est de donner le goût au joueur de développer sa volonté de bien faire, de se surpasser et d'avoir l'envie de se mesurer à soi-même et à son adversaire.
C'est donc bien la dimension humaine et psychologique qui fera la différence.
Certains joueurs sont décontenancés par cet aspect et préféraient ne parler que de foot. Or, pour progresser, cette prise de conscience est fondamentale !
Nous avons aussi, nous entraîneurs, la mission de faire prendre conscience aux jeunes des valeurs essentielles du sport. Ce n'est pas toujours facile dans une société où les valeurs sont en perpétuelle mutation... Finalement, est-ce bien aux entraîneurs d'éduquer les jeunes par rapport à certaines valeurs ? Ce n'est guère évident. Il faut souvent retaper sur le clou mais jamais aucune garantie. Mais si nous avons ne fusse qu'1% de bénéfice, alors cela vaut la peine !

Ariel, souvent la presse vous qualifie de « fin psychologue ». Comment recevez-vous ce compliment ?
Je ne lis pas la presse. Sur base de quoi juge-t-on les personnes ? En sport, si les résultats se soldent par un titre, les qualificatifs les plus élogieux sont décernés aux joueurs et aux entraîneurs qui deviennent d'excellents psychologues ! C'est donc très variable et subjectif.
Ma psychologie tient surtout dans ma capacité de pouvoir avoir des discussions franches et sincères avec un joueur ou d'être disponible pour écouter certains de leurs problèmes psychologiques. Par exemple quand un joueur est écarté de l'équipe, être à l'écoute de sa frustration ou de son sentiment d'exclusion me paraît important.
A chaque fois, j'essaie de me mettre à la place du joueur pour comprendre ses émotions. L'ouverture et la volonté de se montrer dans sa vulnérabilité sont des principes importants.

Racontez-nous l'un ou l'autre truc que vous avez utilisé pour motiver mentalement vos troupes ?
Il ne s'agit pas de l'une ou l'autre technique. Je ne propose rien de révolutionnaire. Il n'existe jamais de recette miracle pour aboutir. L'essentiel dans le métier d'entraîneur est de sentir la réceptivité du groupe et de ses individualités, leurs besoins, leurs attentes et comment susciter la volonté de se surpasser.
Je fais donc appel à la motivation intrinsèque de chacun. Souvent, je rappelle à mes joueurs la chance qu'ils ont de faire de leur hobby, un métier à part entière. C'est une chance extraordinaire et rare.
La motivation passe aussi par des entraînements les plus agréables possibles.
Quand on travaille dans un climat positif et enthousiasmant, cela motive chacun individuellement et cela porte le groupe vers la cohésion.
Cela se travaille aussi via les progrès physiques ou alors en amenant le joueur à un niveau technique supérieur. Tactiquement aussi quand ça marche, les joueurs se sentent bien et automatiquement la confiance augmente.
Au quotidien, c'est passionnant aussi de sentir qui faire travailler avec qui (ou contre qui) pour augmenter les synergies et la motivation.

Et pour les matchs, comment motivez-vous vos troupes ?
En match, on tient compte de l'adversaire et on repositionne son groupe.
Si l'équipe adverse est plus mal classée, la mise en garde contre les qualités de l'adversaire permet de ne pas se surestimer. De temps en temps, mettre en évidence certains souvenirs ou échecs du passé est une bonne stratégie.
Lorsqu'un joueur est attaqué dans la presse par un adversaire ou un club adverse, le confronter à certains extraits de presse peut permettre d'augmenter sa motivation. Cependant, je veille toujours à ce que son agressivité reste saine et sportive !
Il faut pouvoir aussi profiter de l'enthousiasme d'un groupe qu'on sent vouloir aller au bout de son challenge. C'est dans la constance de l'effort et des performances qu'on devient une grande équipe.
Pour travailler la motivation de mon groupe, je me sers aussi beaucoup de ce que je perçois durant la semaine dans le vestiaire. J'utilise alors ces éléments informels dans mon discours en fin de semaine, la veille du match. Là, les joueurs se disent : il pense la même chose que nous.
Il faut donc pouvoir jouer avec tous les éléments de la vie du club. Ce n'est pas que mon rôle mais bien celui de tout un staff : entraîneurs, kinés, préparateurs physiques et même la direction du club.

Concrètement, quelle place attribuez-vous à la dimension psychologique dans votre métier d'entraîneur ?
Une place très importante dans la gestion individuelle et de groupe. J'ai eu le privilège d'entraîner toutes les catégories d'âges, à tous les niveaux des amateurs aux pros.
Je me suis toujours fait la réflexion que même si un match se prépare sur base des entraînements physiques, techniques et tactiques, qu'il y avait des limites à ces trois éléments.
Beaucoup de choses se jouent à travers un domaine finalement assez peu exploité dans notre milieu car méconnu et obscur : l'extrasportif, le mental, le psychologique. La façon dont on approche le joueur, le groupe, la gestion des émotions, le contrôle de la frustration. Oui, j'ai davantage un rôle d'enseignant plutôt qu'entraîneur.

Faites-vous appel à des psychologues au Sporting d'Anderlecht ? Dans quelles circonstances ?
Les vécus sont différents selon les joueurs. Pour certains la présence d'un intervenant externe viole l'intimité du groupe. Nous travaillons plutôt à la demande. Je n'hésite pas à encourager celui qui aurait besoin d'une aide externe à consulter discrètement un psy ou un membre du staff de médical du club si son problème dépasse nos compétences.
En Belgique, l'appel à des psychologues du sport n'est pas coutumier. Ce n'est pas dans l'éducation sportive du footballeur. Les joueurs sont éduqués à s'occuper du corps et peu de la tête. Autrement dit, s'il a mal à la cheville, il ira naturellement consulter un ostéopathe ou un kiné mais s'il a peur de mal faire, des problèmes de concentration ou de confiance ou encore trop de stress, il ne pensera pas à consulter un psychologue.

Que pensez-vous de l'évolution des jeunes sportifs depuis 20 ans ? Quels sont les changements majeurs que vous percevez ?

Je ne veux pas tomber dans le piège des généralisations mais il est vrai que les mentalités évoluent. L'impact de l'argent facile influence la carrière car les sportifs deviennent moins patients. Quand un jeune joueur peut gagner en un an ce que ses deux parents ont gagné laborieusement sur toute une vie, on comprend qu'ils sont parfois impatients. Ils sont souvent plus exigeants à court terme. Ils ripostent plus vite qu'avant par rapport à l'autorité. Jean-Jacques Rousseau disait que l'enfant naît bon par nature mais que c'est la société qui le pervertit. C'est pareil dans le milieu du foot.

Et par rapport au sens de l'effort et de la saine combativité ?
La volonté de se surpasser n'est plus un phénomène propre au joueur. On doit le pousser dans cette direction, le guider. Dans notre société on obtient très vite ce que l'on veut de nos jours. On recherche une satisfaction immédiate. Or, la suffisance est un frein majeur à la progression.

Ariel, êtes-vous un entraîneur proche de vos joueurs ?
Cela dépend de mon feeling. Je dois sentir quand je dois être présent dans mon groupe que cela aille bien ou mal. Communion à certains moments comme lors de la satisfaction du travail. Il y a des moments où on perd et que la façon y était à cause d'un fait de jeu => entraîneur doit être dans son groupe.
Prendre ses distances quand on sent que cela tourne ou si on sent une forme de suffisance en provoquant la prise de conscience.
Ce que je n‘admets pas c'est quand le groupe ne va pas jusqu'à la limite de ses possibilités. Alors, je prends mes distances pour mettre le groupe face à ses responsabilités. Surtout si le staff avait tout fait pour mettre le groupe en garde.

Ariel, existe-t-il des leaders naturels dans chaque groupe ?
C'est une notion assez vague. Quand une équipe perd, qu'elle est amorphe sur le terrain, on dit qu'elle manque de leader. Quand elle gagne, on dit l'inverse.
Le leader n'est spécialement pas le capitaine qui porte son brassard. Dans un groupe, il faut tenter de multiplier le nombre de leaders. Des gars qui gardent leurs coéquipiers en éveil, surtout dans les moments difficiles. A l'entraîneur de créer une harmonie entre les « serviteurs » du groupe et les leaders du groupe. Souvent, j'utilise cette distinction que l'on retrouve dans la langue néerlandaise : il y a les « leiders » c'est à dire les meneurs et les « lijders » c'est à dire les pleurnicheurs.


L'image des jeunes footballeurs belges n'est pas spécialement reluisante auprès de l'opinion publique ; casque sur les oreilles, sac Louis Vuitton, casquette à l'envers...
Accordez-vous beaucoup d'importance à la « tenue » de vos joueurs ? Quelles sont les règles ?
Le joueur appartient à une société. Je comprends qu'il suive un peu la mode par rapport à ses copains mais nous lui rappelons sa position et son statut de joueur professionnel exposé aux regards des jeunes et des supporters.
Mais je ne sais pas jusqu'à quel point un club a-t-il le droit de limiter les attitudes individuelles ? Moi, je joue la carte du joueur lui-même, je lui parle de l'image que les gens auront de lui. Je joue sur son ego mais aussi le bon sens du joueur.
Il y a bien-sûr aussi des moments contractuellement où les joueurs doivent être habillés du costume officiel offert par le sponsor du club.


Pour se développer au plus haut niveau, de quoi un jeune sportif a-t-il le plus besoin ?
Avant tout d'une formation mentale. Même si on a des qualités de virtuose à 6 ans ou à 8 ans, cela ne suffit pas si on n'a pas les qualités mentales comme : la volonté de progresser, de se faire mal, de se dépasser, la concentration avant d'aborder un match, le relâchement, la capacité à gérer ses déceptions et ses émotions.
La moindre défaillance dans un de ces domaines peuvent faire échouer même un jeune très prometteur.
D'où l'importance des formations des formateurs de jeunes. Il doivent être exemplaires au bord du terrain (ex : respect de l'adversaire ou de l'arbitre) pour être crédibles et pour transmettre ces valeurs essentielles aux jeunes.
Je crois qu'il faudrait spécialiser les entraîneurs de jeunes en fonction de certaines tranches d'âge. C'est comme dans l'enseignement. Un professeur peut être très compétent à enseigner en 4ème avec des enfants de 10 ans mais pas avec des jeunes de 14 ans.

Est-ce que le vedettariat est difficile à gérer pour un jeune joueur pro ? Quels conseils donnez-vous par exemple à Romelu Lukaku ?
Protéger un joueur très exposé est le travail de tout un staff et de tout le club. Que ce soit en modulant l'intensité de ses entraînements, sa participation au match, la gestion de ses contacts extérieurs. Parfois, vis à vis de Romelu, on a dû prendre des décisions pas toujours très populaires. Par exemple, lui interdire de parler à la presse car un jeune joueur qui marque des buts comme lui pourrait donner 4 interviews par jour. Il y perdrait en concentration et en assiduité. Ce n'est pas simple car un jeune joueur veut jouer tout le temps et ne connaît pas ses limites personnelles. Parfois, il était déçu mais je lui expliquais que moi, son entraîneur, je voulais qu'il soit performant jusqu'au 9 mai sans le brûler avant cela.
Physiquement, la morphologie de Romelu demande à certains moments une gestion individuelle qui doit s'opérer hors du groupe. Il doit le comprendre et le groupe aussi. C'est pour son bien. En règle générale, un joueur qui ne participe pas au dernier entraînement a peu de chance d'être aligné au match. Or avec lui on a parfois procédé comme cela et il jouait le week-end quand même. Cela doit se gérer au sein du groupe !
Notre avantage avec Romelu est que nous avons toujours été sur la même longueur d'onde que son entourage (ses parents). Quand on tient le même langage et que le joueur sent que c'est pour son bien, il comprend mieux les choses..
Vous savez, après un ou deux bons matchs les jeunes joueurs sont encensés dans la presse. La médiatisation et les contrats publicitaires sont des réalités que nous devons intégrer en tant que club. Même si nous avons les meilleures intentions du monde avec nos bonnes valeurs et notre volonté de protéger le jeune, nous sommes impuissants quant à ses choix. Notre but est la performance collective mais nous avons affaire à 25 joueurs qui sont là pour augmenter leur valeur marchande ou individuelle.

Et votre vedettariat ? Les sollicitations quotidiennes de la presse ? La reconnaissance comme meilleur entraîneur de l'année ?
Cela ne m'affecte pas. Cela me fait plaisir mais cela ne monte pas à la tête. Cela me met même mal à l'aise ce titre de meilleur entraîneur de l'année car dès le premier entraînement je mets toujours l'accent sur le collectif, sur l'esprit d'équipe.

Ariel, je vous ai vu au bord de la démission lors de l'affaire Witsel-Wazilewski. Vous étiez émotionnellement dans le dégoût car vos valeurs humaines les plus profondes ont été touchées de plein fouet. Qu'est ce qui vous est passé par la tête à ce moment-là et dans les jours qui ont suivi ?
Je continue à croire à la bonté des gens. Je ne crois pas qu'un joueur puisse monter sur un terrain pour blesser intentionnellement un adversaire.
Qu'il veuille se montrer sur un terrain avec une saine agressivité, cela fait partie du sport. Cependant, je crois que les joueurs doivent prendre conscience que les conséquences de leurs gestes peuvent être très grave.
Ce qui m'a le plus choqué ce sont les attitudes de certaines personnes soi-disant « adultes » une fois l'incident passé. On aurait dû filmer leurs réactions et leur soumettre quelques heures plus tard. Ce que je ne supporte pas c'est que l'aspect sensationnel l'emporte face au fond et à la gravité de la chose. Souvenez-vous de l'antagonisme entre l'explosion de joie et la mort de 39 personnes au Heysel ; cela me choque, cela me heurte.

Où avez-vous trouvé la force de continuer ?
Le contact avec la jeunesse qui persiste au long des années. Et puis, le foot est une passion depuis tellement longtemps.
Mon entourage familial et sportif m'a amené à réfléchir. Des messages de personnes que je n'attendais pas du tout m'ont soutenu. Et puis, je me suis dit que ce n'est pas en quittant une difficulté qu'on peut résoudre quoi que ce soit.

Les plus beaux moments de votre carrière ?
Assez paradoxalement je ne parlerai pas de mes succès ou de mes trophées. C'est bien davantage, la satisfaction du travail accompli dans la durée, que ce soit avec La Louvière, Mouscron ou Anderlecht.

Pas votre premier titre, cette année ?
Bien-sûr que ce titre me touche mais c'est surtout l'évolution à travers toutes les étapes difficiles que nous avons traversées depuis le début de saison (Lyon, la blessure de Wasyl) que je retiendrai !

Et en dehors du foot - malgré que votre famille soit très ancrée dans le foot - quels sont vos loisirs d'homme ?
Je n'ai pas le temps pour autre chose mais c'est un choix. Mon métier demande d'investir beaucoup d'énergie et d'attention mais il reste une passion. Les sacrifices ce sont surtout mon épouse et mes proches qui les ont consentis.
Je n'ai pas eu beaucoup de temps à consacrer à l'éducation de mes enfants. Aujourd'hui, je suis grand-père de trois enfants de 4, 2 et 1 an et demi. J'essaye de prendre de temps en temps un peu de temps pour eux, peut-être celui que je n'ai pas consacré à mes propres enfants. Mon inconscient cherche-t-il peut-être à réparer cela ?
Le métier que j'exerce est tout le temps avec moi. Je n'ai jamais trouvé le moyen de prendre un peu de distance avec le foot...

Ariel, aurez-vous une vie après le foot ?
Je ne sais dans quelle forme. Peut-être pourrais-je enfin prendre le temps de vivre au quotidien et de faire des choses sans avoir à les bâcler : mon jardin, par exemple.
Oui, prendre le temps pour des choses élémentaires...

Dernière question, Ariel, quel est votre favori pour la Coupe de Monde de football qui démarre le 11 juin prochain ?
L'Espagne mais je suis plutôt mauvais pronostiqueur en règle générale !

Merci Ariel !