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Pierre Marcolini, l'homme-chocolat.

Pierre Marcolini, l'homme-chocolat.

Pour le plaisir des yeux, c’est indéniable, mais surtout pour le plaisir des sens, ce passionné belge taquine la fève et fait fantasmer nos papilles gustatives. Les pays du monde sont sa source inspiration.

Pierre Marcolini aime le chocolat. Il a la chance d’avoir fait de cette passion un métier.
17 magasins dans le monde dont 9 en Belgique, 6 au Japon. 350 collaborateurs. Depuis qu’il a décroché le titre de premier pâtissier glacier de Belgique en 1991 et celui de champion du monde de pâtisserie en 1995, il n’arrête plus de créer des douceurs glacées ou parfumées. De Bruxelles à New York, de Namur à Tokyo, ses fondants se dégustent. Cet artisan du bonheur nous fait découvrir des saveurs comme on n’en a jamais connues. Aujourd’hui, le monde entier se laisse délicieusement surprendre par ses innovations. Certains disent que porter une création de Pierre Marcolini à la bouche est une expérience qui confine souvent à l’absolu. La traduction de son talent sera votre plaisir !
www.psy.be vous invite dans l’univers Marcolinien. Entretien.
 
D’où venez-vous ?
Marcolini vient du Nord de l’Italie, du côté de Vérone, la ville de Roméo et Juliette. Cette famille a émigré juste après la guerre, comme un peu 200.000 Italiens arrivés en Belgique. Un jour, avec une de mes tantes, je me posais une question : « Pourquoi Nono (grand-père en italien) n’est pas allé jusqu’à Liège où il y a le plus grand nombre d’italiens ? » Elle m’a répondu: « Tout simplement, parce que nous n’avions pas les moyens d’aller jusque-là ! ». Je viens donc de Charleroi, né en 1964. J’y suis resté 6 mois. Maman a ensuite décidé d’aller seule, sans mari, vers Bruxelles, vers la capitale. Je dis toujours avec beaucoup d’humour, et c’est la preuve que j’en ai fait mon deuil : « Le père a oublié de se présenter, on lui avait envoyé un carton d’invitation et il n’est jamais venu ! ». J’admire beaucoup maman. Nous sommes en 1964. Il lui a fallu beaucoup de courage et de temps pour se faire accepter dans cette énorme ville. Elle avait un enfant en bas âge et, envers et contre tout, elle a fait son petit bonhomme de chemin.

Vous adorez votre maman. C’est elle qui vous a inculqué la force et le respect. Son courage est-il un moteur dans votre vie ?
Aujourd’hui, si je regarde la capacité de travail que j’ai, oui ! C’est une énergie qui a toujours été omniprésente au niveau familial. J’ai un fils de 18 ans qui a d’ailleurs la même façon de fonctionner. Malgré les coups et les difficultés de la vie, elle était d’une extrême tolérance, n’était pas rancunière. Elle trouvait des arguments à toutes choses. Maman a eu cette vision de la vie qui me séduit énormément et me permet de traverser positivement beaucoup de situations négatives.
Une entreprise comme la nôtre se fait au regard du succès mais aussi à celui de la jalousie. On a connu énormément de gifles, parfois trahis par ceux qu’on apprécie, par vos proches collaborateurs. Ma mère m’a appris la tolérance. Aujourd’hui, j’ai 43 ans, mon fils en a 18. De 6 à 15 ans, de vous à moi, c’est un grand trou noir entre nous, remplacé par le dévouement, la passion dévorante de mon entreprise au détriment de la cellule familiale. Les chefs d’entreprise qui liront ce message comprendront de quoi je parle. On oublie que pour réussir, il y a une acceptation de l’autre. La plus proche, c’est votre femme qui vous dit: « Vas-y, go ! ». Après ce sont les enfants. Sacha ne m’en a jamais voulu, heureusement.

Vous avez grandi les poings serrés. Très tôt, vous vous êtes rendu compte que la vie n’était pas un long fleuve tranquille. Déterminisme, jusqu’au-boutisme et fierté de soi ont été les mots qui vous ont toujours guidé. Est-ce un bon constat ?
C’est le fait de tout ce que j’ai vécu pendant mon enfance. Je ne vais pas faire du Zola, ce n’est fondamentalement pas nécessaire. C’est une soif de réussir. J’ai un enthousiasme fou pour mon métier. Je suis fondamentalement heureux d’être le plus souvent possible dans mon atelier. Je suis ravi de notre évolution. Ce ne fut pas tous les jours facile. Je me suis toujours accroché à une phrase : « Entre le rêve et la réalité, la seule porte qui les sépare, c’est le courage ».
La réussite est tellement infime. Elle ne tient pas à grand chose. Vous pouvez vous trouver à 50 mètres du bon emplacement commercial, vous pouvez ne pas être compris de la façon avec laquelle vous faites vos chocolats et puis c’est bardaf ! Il y a beaucoup de jeunes qui connaissent ça. Je connais des gens bourrés de talent, méconnus et qui mériteraient de l’être. Je suis conscient de chaque jour qui passe et de la difficulté de réussir. C’est très fragile.

On le dit souvent, Pierre Marcolini, c’est la haute couture du chocolat. Ou encore : on croyait tout savoir sur le chocolat… C’était avant de rencontrer Pierre Marcolini. Comment le chocolat est-il entré dans votre vie ?
A l’âge de 14 ans, par gourmandise ! Quand les gens autour de moi mangeaient un dessert, j’en étais déjà à 2 ou 3. En boutade, je dis souvent : « Je vais faire ce métier là, sinon ça va me coûter une fortune, si je continue à en manger autant ». C’est surtout une vraie passion. Depuis mes 14 ans, je voulais être chocolatier. Ma carrière s’est construite au fur et à mesure. D’abord acquérir les bases du métier et ensuite voyager. Cela m’a permis de bousculer toutes les idées préconçues.

Du chocolat à la pâtisserie, en passant par les glaces et sorbets, toutes vos trouvailles deviennent de véritables histoires de délices. Vous êtes un leader, un winner. Comment gérez-vous votre foudroyante réussite ?
On essaie de garder les pieds sur terre. En 2001, quand on a ouvert notre première boutique à Tokyo, un japonais m’a demandé mes impressions. Je lui ai répondu: "C’est surtout d’y être ! " C’est le rêve d’un gosse qui se dit : on va ouvrir une boutique et au lieu de le faire dans la région de Bruxelles, on se retrouve à 10.000 kms de là.
La réussite (et je n’aime pas ce terme) est d’être attentif à son environnement, de faire « bouger » le monde du chocolat, de redéfinir le lieu dans lequel on accueille les clients, d’apporter des lettres de noblesse à l’emballage, au chocolat. Pourquoi le vin a-t-il un Bordeaux supérieur et de très grands crus ? Pourquoi le chocolat ne pourrait-il pas avoir cela ? La Belgique est ambassadrice du chocolat.
La réussite, c’est aussi un ensemble de gens qui peuvent s’épanouir. Quand je regarde mes collaboratrices et mes collaborateurs et les vois heureux, c’est aussi bien que de réussir le chocolat. C’est beau de faire grandir des jeunes, la transmission du savoir faire, la pérennisation de nos créations. J’aime pouvoir concrétiser la transformation de cette fève de cacao jusqu’à la tablette de chocolat, comprendre l’étape de la fermentation, de la cueillette, du séchage, de la torréfaction développant un maximum d’arômes et puis amener la touche finale et personnelle : « Ce n’est pas la recette qui fait l’homme, c’est l’homme qui fait la recette ! ».
Je vais vous raconter une anecdote. Il est passé dans ma vie, trop vite, une belle âme. C’était le papa de Nicolette Regout, mon ex-épouse, à qui je rends hommage. Quand je me suis installé en 1994, avec mes 30m2 , tous les jours, sa promenade était de me rendre visite. Il s’asseyait, prenait son café, me regardait. Un jour, j’ai négocié avec le propriétaire pour disposer du local à côté, séparé d’une porte mitoyenne. Je remporte l’affaire. Quand je reçois la clé, j’ouvre la porte, il est juste à côté de moi, voit ces 30 m2 supplémentaires et me dit : « N’as-tu pas vu un peu trop grand ? » Nous en sommes aujourd’hui à 3.000 m2, je pense souvent à lui.

Vous avez décroché le titre de premier pâtissier glacier de Belgique en 1991 et celui de champion du monde de pâtisserie en 1995. Tout est allé très vite, pour vous ?
C’est drôle la perception des choses. Personnellement, je trouve que cela n’a pas été assez rapide ! Je pense qu’on est arrivé au bon moment. En même temps, dans le monde du chocolat, il y avait ce côté passif des choses, ce qui nous a permis de faire notre petit bonhomme de chemin. Le public a suivi. Les media ont souligné notre dynamisme et notre volonté de faire bouger les choses. Toute cette énergie exprimait un nouvel esprit, le renouveau du chocolat. De plus, un des plus grands groupes au monde a fait confiance à notre société, en reconnaissant notre savoir-faire : c’est le groupe Nestlé, l’inventeur du chocolat au lait depuis 150 ans. Il veut mettre en avant notre capacité créatrice.

Votre démarche s’inscrit dans une recherche gustative permanente. Avec vous, nous sommes dans l’univers du plaisir, de la magie des sens, des saveurs parfois audacieuses, de la sensualité et du délicieusement bon. Y voyez-vous une connotation sexuelle ?
Le chocolat est universel et asexué. Il y a aussi des souvenirs d’enfance, ce plaisir égoïste de manger un carré de chocolat. Au niveau gustatif, il est une véritable charpente avec son côté tannique et puissant. La magie du chocolat existe parce que mystérieuse. Ne dit-on pas, que lorsque vous expliquez à l’être aimé pourquoi vous êtes amoureux, vous l’êtes déjà moins ! Il y a des parts de mystère qu’il faut laisser mystérieuses…
Le chocolat peut être terriblement masculin quand, le matin, vous mangez un carré de Madagascar à la véritable puissance virile. Et puis, le soir, lorsque vous êtes sur des notes de Java, vous êtes dans la féminité absolue.

Je vous propose un petit jeu : le tac au tac. Je vous soumets des mots et, sans trop réfléchir, vous me répondez. Si je vous dis :
Amour :
force de l’invisible, pas palpable mais qui se ressent. Une des grandes choses à connaître dans la vie. Je connais et j’en apprécie chaque minute et chaque miette.
Jalousie : (wouf…) Je connais aussi (rires…). Dans mon chef, c’est plutôt l’incompréhension. Je suis tellement heureux du succès de l’autre, d’un jeune qui se met en place. Le soleil brille pour tout le monde. Si je peux même donner un coup de main, je le fais bien volontiers. Je réponds présent dans ces cas-là.
Amitié : C’est primordial et essentiel mais je suis souvent peiné de n’avoir pas assez de temps pour revoir mes amis.
Rêve : Encore beaucoup à assouvir ! Ouvrir une boutique en Inde ou pouvoir rencontrer l’homme qui me vend ses épices, ses pistaches. Pouvoir connaître son histoire et la communiquer dans des créations. Je suis très humaniste dans le soutien commercial aux petits producteurs de grande qualité. J’ai en moi une détermination à mettre en œuvre une véritable démarche de commerce équitable. Ma coopération, par exemple, avec une exploitante mexicaine qui, depuis des années, se bat pour que sa fève d’exception, la « porcelana » ne disparaisse pas.
Cauchemar : la page blanche ! Comment associer tel produit avec tel goût ? Que le chocolat ne soit pas bon !
Femme : Je suis un amoureux inconditionnel.

Je vous laisse la conclusion de cet entretien.
Pouvoir donner encore beaucoup de plaisir aux gens, les étonner toujours plus avec un simple carré de chocolat.
En tant que Belge, ne gâchons pas la fascination et la beauté de notre pays.