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Psy.be reçoit Olivier Maurel, auteur engagé dans la lutte contre les violences éducatives

Psy.be reçoit Olivier Maurel, auteur engagé dans la lutte contre les violences éducatives

Olivier Maurel, vous luttez depuis plusieurs années contre les violences éducatives mais pensez-vous vraiment que nous en sommes encore au moyen-âge en cette matière ?

Non, il y a eu une évolution sensible dans la plupart des pays européens dans le sens d'un adoucissement de la violence éducative. Une vingtaine de pays européens ont d'ailleurs interdit toute forme de punition corporelle depuis 1979 où la Suède a été la première à le faire. Mais dans un pays comme la France, d'une part les punitions corporelles n'ont pas été interdites, d'autre part il y a encore environ 80% des parents qui pratiquent la gifle et la fessée. Les évolutions sont toujours très lentes dans ce domaine. C'est au XVIe siècle que des personnalités comme Erasme, Montaigne et Rabelais ont commencé à contester les châtiments corporels et ont surtout commencé à être entendues. Mais il a fallu attendre la fin du XIXe siècle et le début du XXe pour qu'en France, on ne trouve plus normal de frapper les enfants à coups de ceinture ou de baguette. Et on frappe encore les enfants à coups de bâton dans beaucoup de pays du monde, ou on leur inflige d'autres punitions douloureuses et humiliantes. 

Qu'entendez-vous au juste par violence éducative ?

J'entends par l'expression "violence éducative ordinaire" toutes les formes de violences, si légères soient-elles, qu'on inflige aux enfants dans un but éducatif, pour les faire obéir, les soumettre à l'autorité des parents, et qui sont considérées comme tolérables et peuvent même être préconisées par des proverbes (comme "Qui aime bien châtie bien"), ou des formules toutes faites : " Une bonne fessée n'a jamais fait de mal à personne"). Font aussi partie de la violence éducative, les propos humiliants, les insultes, les jugements négatifs : "Tu es nul !", ou prédictifs : "Tu feras le trottoir !". Ou encore la privation d'affection ou d'attention.

Le meilleur moyen de juger ce qu'on est parfois tenté de faire à un enfant est de se demander si on l'admettrait soi-même d'un supérieur hiérarchique ou, mieux encore, de quelqu'un que nous aimons et qui est censé nous aimer.

Quelles en sont les conséquences sur l'enfant ?

Elles sont multiples parce qu'elles font partie du lien vital qui nous unit à l'enfant, exactement comme le cordon ombilical unit le foetus à la mère qui le porte. Les effets de la violence se diffusent dans toute la personnalité de l'enfant et peuvent altérer sa santé physique, via les effets des hormones du stress, comme sa santé mentale (altération de la confiance en soi, de l'estime de soi), ainsi que son comportement futur. L'enfant est un imitateur-né : le frapper, c'est lui apprendre à frapper, et, dans ses relations futures, c'est lui apprendre qu'il est normal de résoudre les conflits par la violence. Ou bien, ce qui n'est pas mieux, lui donner l'habitude de se soumettre à la violence.

Pourtant de nombreux adultes défendent avec vigueur les fessées de leurs parents ? « J’ai été frappé et je ne m’en porte pas plus mal »

Oui, c'est là un des effets les plus délétères de la violence éducative. L'attachement vital que tout enfant a à l'égard de ses parents, de quelque façon qu'il en soit traité, fait que, sauf si nous avons des points de comparaison avec d'autres enfants traités différemment, nous sommes portés à interpréter en bien la façon dont nos parents nous traitent. Même la plupart des enfants qui ont été frappés à coups de bâton dans les sociétés où cet usage est courant considèrent qu'ils ont été "bien élevés" et que c'est grâce à cela qu'ils ne se sont pas drogués ou qu'ils ont fait des études.

Mais comme je l'ai dit plus haut, la première chose qu'un enfant apprend en étant frappé, c'est à considérer qu'il est normal de frapper les enfants. Pourtant, ceux qui pensent cela pensent aussi en général qu'on ne doit pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'il nous fasse, et qu'il est lâche de la part d'un être grand et fort de frapper un être plus petit et sans défense. Alors, je me pose la question : considérer comme normal de frapper les enfants, est-ce vraiment "bien se porter" ?

Comment l'enfant victime de ces violences peut-il s'en sortir ?

Si l'on entend l'expression "s'en sortir" au sens de ne pas reproduire ce qu'on a subi, c'est le plus souvent grâce à la rencontre de quelqu'un qui, par son attitude, nous permet de comprendre que nous n'avons pas été traités normalement. Je conseille à ce sujet de lire ou relire le début du livre de Jules Vallès, L'Enfant, où il raconte que sa mère le battait tous les jours et qu'il a compris que ce n'était pas normal quand une voisine lui a manifesté de la compassion. Il s'est opposé ensuite aux punitions corporelles et il a dédicacé son livre "à tous ceux qui furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents". Ce peut être aussi par identification à une victime de ces violences. Je pense aux enfants qui ont été maltraités et qui ne supportent pas de voir leur petit frère ou petite soeur traités comme ils l'ont été eux-mêmes. 

Comment prévenir la violence sociétale ?

Même si, bien sûr, il y a d'autres facteurs qui jouent, je pense que réduire autant qu'il est possible la violence éducative est un des meilleurs moyens de réduire la violence générale dans la société, parce que la violence commise est en général proportionnelle à la violence subie. Au XIXe siècle, en France, où les punitions corporelles infligées aux enfants étaient encore du niveau de la bastonnade aussi bien à l'école qu'à la maison, les adultes qui avaient subi cela étaient habitués à un très haut niveau de violence et les émeutes, les conflits sociaux, les conflits civils (je ne parle pas des guerres internationales) pouvaient se terminer par des centaines, voire des milliers de morts (je donne les chiffres dans mon livre).  

Par comparaison, les manifestations de Mai 68 (25 jours d'echauffourées) : 6 morts - de trop ! - mais rien de comparable aux massacres du XIXe siècle. Entre temps, la violence éducative avait beaucoup baissé d'intensité.

Mais aujourd'hui encore, dans les pays où elle est d'un niveau très élevé, les bilans des conflits internes peuvent être encore de centaines et de milliers de morts.

Quelles sont  les capacités relationnelles innées des enfants dont vous parlez dans votre livre ?

Ce sont les capacités relationnelles qui existent déjà chez tous les animaux sociaux dont nous faisons partie.

Les trois principales me semblent être :

l'attachement par rapport à la mère puis aux autres personnes nourricières, qui, s'il est respecté et encouragé, peut s'élargir bien au-delà du cercle familial ;

-  l'imitation, par laquelle l'enfant apprend la majeure partie de ses comportements ; 

- et l'empathie par laquelle il ressent ce que ressentent ses semblables à travers leurs comportements et leurs mimiques, et qui est la base de la compassion qui est elle-même le frein le plus efficace à la violence. L'empathie est aussi la base du principe le plus élémentaire de la morale : "Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse". 

Avec ces trois "compétences", si elles sont respectées par ceux qui ont la tâche de s'occuper de son éducation, l'enfant peut devenir un adulte à la fois autonome et altruiste.

Des expériences récentes ont montré que des bébés de dix-huit mois ont spontanément des comportements d'entraide et de consolation.

Un des principaux dangers de la violence éducative est qu'elle peut interférer avec ces capacités innées et les altérer. Quand on a mutilé un enfant de sa capacité naturelle de compassion en l'obligeant à se blinder pour ne pas trop souffrir, il est vain de s'étonner ensuite d'avoir du mal à lui enseigner la morale ! 

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Quand on essaie de répondre brièvement aux questions d'un interview, on risque de prêter à de multiples malentendus. J'invite donc les lecteurs de cette interview à ne pas hésiter à me faire part de leurs réactions positives ou négatives. Je leur répondrai.


Interview réalisée par Dimitri Haikin, Psychologue et Dircteur de www.psy.be