/ Par Dimitri Haikin / Vivre ensemble
« Avec ces écrans, on ne s’en sort plus »
Mardi 15 février 2011. Interview de Philippe De Boeck - Le Soir
La formule 3-6-9-12 du psychiatre français Serge Tisseron peut aider parents, enfants et grands-parents à y voir plus clair dans la jungle des nouvelles technologies.
3 : pas d’écran avant 3 ans.
6 : pas de console de jeu avant 6 ans.
9 : pas de GSM avant 9 ans.
12 : pas de réseau social avant l’âge de 12 ans.
ENTRETIEN
Psychologue et psychothérapeute, Dimitri Haikin anime aussi www.psy.be, un site pointu très sollicité qui attire plus de 45.000 visites par mois. Il est tout à fait d’accord avec le 3-6-9-12 qu’il recommande lors de ses consultations.
Toutes sortes d’écrans ont envahi les foyers, problème ?
La question à se poser, c’est de savoir si on les ferme à un certain moment ou pas, tous ces écrans. Conserver du temps en famille, c’est indispensable. Et pour y arriver, il n’y a pas d’autre choix que de tout couper. De plus en plus de gens me consultent, notamment des femmes, en se plaignant de leur conjoint qui plonge dans ses occupations numériques (e-mails, Facebook) dès qu’il rentre du boulot. Les gens se sentent de plus en plus isolés, voire transparents dans leur propre famille à cause de ces outils. Ce qui génère aussi des problèmes de couple et des relations extraconjugales. Des personnes qui se retrouvent sur les réseaux sociaux entament des relations de ce type parce qu’il y a eu intrusion de ce genre de média dans leur foyer.
Et pour les enfants ?
L’omniprésence de ces écrans crée aussi des problèmes de communication verticale avec les enfants. Le rôle d’un parent, c’est de leur transmettre des choses. A partir du moment où l’on n’est plus en lien avec le jeune, lui, il est dans quelque chose de très horizontal dans sa communauté. Il va avoir un sentiment d’appartenance beaucoup plus grand à cette communauté-là qu’à sa propre famille. Quand je passais sur NRJ pour répondre aux questions en direct, beaucoup d’ados expliquaient qu’ils ne parlaient plus ou si peu avec leurs parents. L’écart ne cesse de grandir.
Inquiétant ?
Ce qui m’inquiète, c’est quand je vois des jeunes qui s’envoient des messages ne voulant rien dire du genre : « Ça va ? »… « Ça va ! » ; « Qu’est-ce que tu fais ? »… « Rien », etc. C’est comme si on ne pouvait plus exister que dans la communication virtuelle. On est comme capturé par les écrans.
Face à cette avalanche de nouvelles technologies, les parents ont l’air désemparés, dépassés…
En fait, ils sont ambivalents. D’une part parce que la plus grande peur dans notre société d’aujourd’hui, c’est l’échec des enfants. Les parents se disent donc que les leurs doivent être à la pointe des technologies au risque de devenir des handicapés sociaux. D’autre part, il y a la conscience de l’existence de certains dangers (notamment sur le Net). En général, les parents ne savent pas qui appartient à la communauté du jeune sur le web. Et quand il répond à ses parents qu’il connaît untel de l’école, ils sont rassurés. Mais c’est souvent une réponse de facilité. Si les parents ne mettent pas des limites très claires à l’utilisation de ces objets, le jeune risque de basculer vers la cyberdépendance. Ce sont des objets de pseudo-reliance sociale parce qu’ils sont virtuels.
On ne peut pas non plus tout interdire ?
Non et puis qui pourrait prétendre s’y tenir… Des règles de base très simples comme : pas d’ordinateur ni de télé dans la chambre, l’ordi au centre d’une pièce où tout le monde peut passer, etc., sont des moyens pour contenir les dérives ou les excès d’utilisation. Avec la 3D, c’est encore pire parce qu’on rentre dans l’écran, on devient acteur du jeu ; ce qui ne fait que reculer encore un peu plus la frontière entre le réel et le virtuel. Chez des jeunes plus fragiles, cela peut créer un état de confusion mentale entre le réel et l’imaginaire. Avant, les barrières entre les deux étaient beaucoup plus claires… Les parents doivent parfois imposer des choses à leurs enfants parce qu’ils sont responsables de leur bien-être.
Beaucoup de parents optent pour la facilité quand ils sont débordés : va voir la télé ! Démission parentale ?
C’est vrai que les gens sont très stressés, très occupés. Mais en attendant, ce n’est pas une voie à suivre. Ils ont une responsabilité très importante dans le choix des jeux, par exemple, de contrôler ; même si un adolescent n’a qu’une seule envie : être autonome et indépendant. Françoise Dolto parlait d’un mur dur, pas doux pour nos parents. C’est ça qui l’arrête, le recadre. On n’est pas là pour être le copain de ses enfants. Une partie de Fifa 2010 sur une console, de temps à autre, pourquoi pas, mais il faut surtout éviter de devenir le copain de jeu de son enfant.
Pourquoi pas d’écran avant l’âge de 3 ans ?
J’ai fait de la supervision d’équipes en crèche et entendu des puéricultrices se plaindre d’enfants mis devant la télé le matin. Ce qui crée des sources d’excitation sur le cerveau qu’on peut penser comme étant toxiques. La télé n’est pas du tout nécessaire à un enfant. Il est très captivé par tout ce qui bouge, il est dans une découverte permanente. A 6 ans, il va explorer des tas de compétences à partir de son corps qui pourraient être bloquées par la passivité qu’entraînent les jeux vidéo. A 9 ans, on peut commencer à l’accompagner sur le web. A 12, il est en principe capable de l’utiliser seul. Je pense qu’on n’a pas mesuré l’effet qu’internet pouvait avoir sur les jeunes. Le rôle des parents est essentiel, vraiment. Si on « checke » son GSM ou ses mails toutes les 3 minutes, on n’est pas du tout crédible.
Une idée pour se déconnecter ?
Une petite réunion « coussins au coin du feu » une fois par semaine. Ou alors partir une semaine dans le désert. J’en organise depuis trois ans. Les gens viennent parce qu’ils savent qu’ils seront coupés de toute matérialisation. Il reste juste le contact humain et social. Quand on met les enfants dans un environnement pareil, ils sont très créatifs. Là, les gens se posent et se parlent.
Les 5 conseils du psy
1. Décréter des moments où tous les écrans sont éteints. Il ne faut pas oublier que regarder un écran trop longtemps n’est pas bon pour la vue.
2. Prendre du temps pour de vrais loisirs, sans téléphone, sans ordinateur, sans console de jeux et sans télévision.
3. Se fixer des limites très claires pour l’usage des différents écrans.
4. Quand on est à table, éviter de consulter ses mails ou répondre au téléphone.
5. Protéger les ordinateurs avec des outils adéquats pour éviter que les enfants tombent sur des sites dangereux ou illicites.
Dimitri Haikin, Psychologue, Psychothérapeute
Dimitri Haikin
Avenue Oscar de Burbure, 151 - 1950 Kraainem
Articles publiés : 108
Type :
Psychologue , Psychologue clinicien(ne) , Psychologue conventionné (INAMI) , Psychothérapeute
Spécialités :
Cohérence cardiaque , EMDR , Psychologie positive , Relaxation , Thérapie en marchant
Problématiques :
Problèmes d’éducation , Problèmes liés au travail , Stress , Traumatismes , Problèmes de couple , Phobie , Mésusages de l'alcool , Dépression , Angoisse d'abandon , Angoisses , Anxiété , Assertivité , Burn-out , Confiance en soi , Deuil , Pervers narcissiques , Emotion , Estime de soi , Jalousie pathologique , Manipulation mentale
Publics :
Adulte , Ado , Couple , Groupe
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