/ Par Sophie Buyse / Enfants
Deuils d'enfants et rituels thérapeutiques dans la nature
Travail avec les enfants en deuil, en individuel ou en groupe.
Il m'arrive, lorsque le climat bruxellois le permet, d'amener les enfants en deuil dans le bois de la cambre qui se trouve près de mon cabinet de consultation. J'y ai repéré quelques lieux sacrés au cœur de la nature pour effectuer avec eux des rituels. Je leur propose une sorte de jeu de piste avec des épreuves ou des étapes à franchir tout au long du parcours.
Il y a d’abord une souche d’arbre creuse qui va accueillir toutes les choses déplaisantes et désagréables qu’ils auront préalablement rédigé sur des bouts de papier. Ils devront les rassembler au sommet de la souche et les brûler.
Puis, ils traversent un ravin à l’aide d’un arbre tombé par-dessus et durant cette épreuve, je leur précise qu’ils vont faire face au danger du vide en dessous de l’arbre et doivent affronter leur peur en gardant bien l’équilibre pendant la traversée.
Plus loin, nous choisirons des armes bâtons pour simuler un combat et sortir les colères en frappant de toutes nos forces avec les bâtons contre les arbres. De préférence en criant notre rage comme au karaté et le plus fort possible.
Il y a aussi un moment où l’enfant peut se défouler en cassant les bâtons, en sautant dessus. Il a le droit de détruire les bois morts alors que dans mon cabinet, il ne peut pas détruire le matériel.
Ces attaques et destructions peuvent aussi représenter les combats, les rages qu’ils ressentent à l’intérieur d’eux et le vécu de destruction après la mort. En forêt, ils peuvent se contrôler et décider de détruire sans faire de mal ni à eux-mêmes ni à quelqu’un d’autre.
L’enfant pourra aussi créer un mandala avec ce qu’il trouve dans la nature : cailloux, feuilles, marrons, châtaignes, faînes, feuilles, graines, pommes de pin, plumes etc… Il emportera le matériel et créera le mandala dans mon bureau, le déposera dans la nature ou sur la tombe du parent. C’est un moment de calme, d’apaisement et de concentration, telle une méditation.
Souvent, nous ramenons de nos sorties au bois des châtaignes, des glands et des marrons pour les transformer en personnages avec des cures dents. Je préfère que les enfants inventent et créent avec des matériaux naturels comme des coquillages, des pierres, des végétaux, des noyaux de fruits. La pâte à modeler nous permet de fixer ce matériel pour en faire des êtres animés, des monstres, des familles de terre, de mer, d’air ou de feu avec les allumettes et des bougies.
Dans le bois, il y a un arbre qui a été foudroyé et dont le cœur a été complètement évidé. Il est donc comme une petite hutte dans laquelle l’enfant peut entrer. Je propose à l’enfant de fermer les yeux et de sentir l’énergie venir du sol et monter au travers de ses jambes jusqu’au ciel. L’écorce de l’arbre l’entoure et l’enfant entre en contact très facilement avec les éléments pour les ressentir dans son corps. C’est assez étrange car cet arbre frappé par la foudre donne une sensation de grande force et de puissance. On ressent comme des picotements d’énergie circuler dans nos membres.
Ma chienne, au moment où nous nous adossons à un arbre pour recevoir son énergie ou quand nous rentrons dans l’arbre foudroyé se met toujours à creuser le sol au pied de l’arbre. J’ai l’impression qu’à ce moment là, elle aussi se relie avec les racines de l’arbre et la source d’énergie.
Sur la grande pelouse, il y a plusieurs grands chênes et l'un d'eux a un trou en forme de cœur très profond. Cet arbre devient l’arbre à « secrets » et il peut entendre les secrets ou les recevoir à l’intérieur de lui en petits messages de papier.
Lors d’une séance, un enfant orphelin de mère avait souhaité que son père participe à la sortie « rituelle » en forêt et fasse aussi tout le parcours avec nous. Il a donc aussi brûlé les choses désagréables inscrites sur un papier, il a également ôté ses chaussures sur la pelouse pour entrer en contact avec l’herbe et la terre, puis il a grimpé sur un arbre abattu avec son fils qui se réjouissait de partager ces moments avec lui et de montrer à son père l’arbre qui le reliait à sa mère.
Le garçon a voulu ramener chez lui un morceau d’un arbre abattu par le vent qui avait la forme d’une tête de dragon. Il a transporté la grosse branche car il voulait la peindre et l’installer dans sa chambre. Ce morceau de l’arbre mort pouvait symboliser une partie du disparu qu’il retrouve et qu’il veut transformer en objet d’art.
Les enfants choisissent un grand arbre qui sera le lien avec le disparu, ils se dirigent souvent vers un arbre très fort, très majestueux. Je leur propose alors de marquer l’arbre de leur choix soit en gravant leurs initiales et celles du défunt sur le tronc avec un petit canif ou en enfonçant des petits clous dans l’écorce avec un marteau. L’enfant enlace l’arbre, il monte sur ses racines, et reçoit l’amour du parent au travers de l’arbre qui relie le terrestre au céleste. Tous les enfants sans exception prennent très au sérieux cette « cérémonie » et sacralisent cet instant de communion entre leur parent disparu, l’arbre de liaison et eux.
Ils se souviennent de l’emplacement de leur arbre dans le parc et demandent parfois d’y retourner. Un petit garçon a voulu retrouver son arbre le jour de la fête des pères et entrer en relation avec lui.
Le jour de son anniversaire un enfant a voulu mettre autant de clou que son âge et il a dit que chaque année il viendrait ajouter un nouveau clou sur l’arbre de son papa. Nous prenons le temps d’envoyer vers le ciel et le sommet de l’arbre l’amour pour le parent. L’arbre apporte un réconfort et une présence symbolique à l’enfant.
Avec une jeune fille dont la maman était décédée, nous avions récupéré un sapin de Noël avec ses racines dans un pot sur la rue et nous étions parties, munies d’une pelle, le planter dans une zone un peu à l’abandon d’un parc. La jeune fille avait creusé le trou et sous les racines, elle avait déposé des cadeaux pour sa maman qu’elle avait préparés. Elle était heureuse d’avoir « sauvé » un sapin pour le planter et demandait à certaines périodes de retourner le voir.
Malheureusement, un jour, le sapin a disparu. Sans doute, les jardiniers ont-ils décidé qu’il n’avait pas sa place à cet endroit. La jeune fille s’est mise à hurler de désespoir et de tristesse puis elle a creusé le trou pour retrouver les objets qu’elle avait enfouis pour sa maman tout en pleurant à chaudes larmes.
Depuis, je n’ose plus planter des arbres après un décès car il y a toujours le risque que ces jeunes arbres meurent car ils sont souvent fragiles. C’est également arrivé avec un jeune saule qui n’a pas survécu à l’hiver.
Après les rituels liés à la perte, la séparation, je propose aux enfants de créer un petit bateau avec des branches et de la corde et de fixer à son mât les rêves et projets futurs que l’enfant aura écrit sur une feuille. Quand le radeau ou le bateau sera terminé, il peut le mettre à l’eau sur le lac, soit à partir de la rive ou à partir de l’île. C’est un parcours initiatique qui apprend à l’enfant que dans la nature il peut aussi trouver des lieux de réconfort, des arbres qui l’aident à communiquer et exprimer ses émotions.
L’Espace Enfant et le bac à sable
Le contact à la terre ou avec le sable lorsque les enfants travaillent dans le bac à sable de l’Espace Enfant de l’hôpital Édith Cavell, réactualise chez l’enfant la mise en terre. Chaque mercredi après midi, les enfants qui ont un parent atteint d’un cancer ou dont le parent est décédé peuvent participer à ces ateliers ludiques et thérapeutiques dans le local adapté et dans le jardin attenant.
Édouard, 5 ans, a perdu sa mère un an plus tôt d’un cancer. Il est dans le bac à sable du jardin. Il enterre des personnages playmobil dans le sable, puis, il écrase un cloporte avec sa main et l’enterre en disant : « il est mort, il ne peut plus sortir de la terre ! » Puis, il enterre ses pieds et reste silencieux, attentif aux sensations du sable froid sur ses pieds nus. Enfin, il décide de m’enterrer dans le bac à sable et il s’exclame « Sophie, tu es la reine de la terre, tu vis sous la terre ! ».
Son petit frère de 4 ans, participe à mon enterrement et mon corps est recouvert jusqu’à la taille. Les deux frères vont alors couper des fleurs dans les jardins de l’hôpital et les posent sur ma tombe. Puis ils décident de fermer le couvercle du bac à sable sur moi. Je m’y oppose car je ne souhaitais pas me retrouver avec la lourde bâche en plastique sur la tête. Il est clair que cette mise en scène reproduisait le souvenir de leur mère dans le cercueil mais en dédramatisant la situation dès qu’elle devenait jouée, ritualisée. La thérapeute accepte d’occuper la place de la reine de la terre et les enfants orchestrent les opérations très sérieusement mais avec un plaisir manifeste. Il n’y avait pas d’angoisse chez eux lors de cette cérémonie. Ils y étaient arrivés progressivement, par expérimentations successives ; depuis le tout premier personnage playmobil enseveli, puis le cloporte écrasé, puis leurs pieds et enfin le corps du psy sous le sable. Ils élaboraient une réflexion et une forme d’intériorisation de ces éléments au fil de leurs expériences.
Quand le papa est venu les rechercher et qu’il m’a vue recouverte de sable et de fleurs, il s’est exclamé : « mes fils ont enterré la psy ! » et il m’a prise en photo.
Plus tard, leur grand-mère m’a raconté qu’au décès de la maman, son cercueil avait été ramené à la maison et posé dans le salon. Édouard est alors allé trouver son père et lui a dit : « Maman veut qu’on l’amène près du jardin ! ». Ils ont donc transporté le cercueil face à la fenêtre avec vue sur le jardin. Eric a dit alors : « Maman est contente maintenant ! ».
Les petits enfants sentent intuitivement ce lien entre la vie, la mort et la nature.
Une autre patiente m’a raconté que quand son père est décédé, sa petite fille de trois ans était présente au cimetière pour la mise en terre du corps. Au retour, dans la voiture la petite a dit « On a planté papy ».
Une petite fille de 7 ans dont le papa s’est suicidé avait créé, des petits vases en pâte à modeler et quand ils furent tous terminés, au nombre de quatre, comme les quatre membres de sa famille, elle a pris le couteau et les a coupés en quatre morceaux. Puis elle est partie chercher la trousse de médecin et m’a dit : « je vais soigner Isis (ma chienne) » Elle a mis des gants et son masque d’infirmière et elle a soigné la patte d’Isis avec un pansement. Ma chienne, Isis restait sage et immobile pendant son traitement.
J’étais frappée par la transition immédiate entre la création des vases qui seront tous brisés (peut-être comme cette famille qui a été fracassée par la perte violente et soudaine du père) et son choix de soigner Isis. Elle ne pouvait pas rester face aux morceaux, elle était incapable de créer autre chose, elle devait déplacer son attention sur la souffrance imaginaire du chien qui avait besoin d’aide.
Après avoir soigné Isis, elle est devenue mon infirmière et ensuite j’ai dû jouer à son infirmière. Les rôles pouvaient s’inverser et ne pas se figer, comme pour ne pas rester dans la douleur mais la faire circuler. Cette petite fille éprouve souvent le besoin de remplir le vide par une grande diversité de jeux et d’activités et une imagination très fertile.
Elle décide parfois que le chien doit partir et qu’il faut mettre Isis dans l’autre pièce. Il me semble que la sortie du chien du bureau selon son contrôle lui permet d’être aux commandes des apparitions et disparitions du chien. Elle exprime aussi une agressivité à ce moment là car Isis est évacuée comme un mauvais objet, un déchet qu’on met à la poubelle puis qu’on va rechercher selon son désir.
Un jour, dans le bac à sable, elle avait caché quatre chevaux en plastique et il fallait qu’Isis les retrouve. A deux, elles ont cherché les chevaux mais la petite fille n’arrivait plus à se souvenir où elle avait enseveli le dernier cheval. Elle a commencé à manifester beaucoup d’angoisse avec ce jouet perdu. Elle fouillait avec ses mains, longuement et désespérément, sous le sable en manifestant sa détresse. Une femme qui était assise sur un banc du parc a soudain dit : « il me semble que tu l’as mis dans ce coin là ». Et la petite fille a retrouvé avec soulagement l’objet perdu. Dans l’expression de sa crainte de ne plus le retrouver, elle était prise d’une émotion incontrôlée face à la disparition. Les petits chevaux rejouaient la scène d’un membre d’une famille qui est enterré et qu’on ne retrouve plus, ni elle, ni Isis.
Nous voyons combien, au travers de ces expériences de contact avec la nature et la terre, les enfants se libèrent d'émotions douloureuses mais aussi se reconnectent au vivant, à la matière et se ressourcent.
Sophie Buyse
Psychothérapeute, sexologue, écrivain
Site : www.psychologue-ixelles.be
Sophie Buyse
26 avenue des Scarabées - 1050 Bruxelles
Articles publiés : 4
Type :
Psychothérapeute , Psychanalyste , Sexologue clinicien(ne) , Conseiller(e) conjugal(e)
Spécialités :
Psychothérapie psychanalytique
Problématiques :
Deuil
Publics :
Adulte , Ado , Enfant , Couple , Famille
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