/ Par Sophie Buyse / Enfants
Quand un décès survient en classe
Les professeurs avaient remarqué le visage triste de Lili, plongé dans son
lourd secret. Elle était souvent distraite et peu attentive aux cours. Le cancer de maman, son corps affaibli par les années de traitements, sa lutte féroce contre la maladie et, peu à peu, cette lente agonie avec son cortège de souffrances, occupaient toutes les pensées de Lili.
Lili, courageusement, réconfortait sa maman, l’aidait aux tâches ménagères, faisait les courses quand maman ne pouvait plus quitter son lit.
L’enfant avait de moins en moins de temps pour jouer, pour faire ses devoirs, pour voir ses amis. Les résultats scolaires chutaient et Lili, qui contenait sa détresse à la maison pour épargner sa maman, la laissait exploser à l’école au grand désarroi du professeur et des élèves qui ne comprenait pas pourquoi Lili se réfugiait parfois sous le banc pour pleurer.
Quand elle cassait ses crayons et déchirait ses feuilles de colère, les enfants se sentaient menacés par sa souffrance et ses angoisses. Ils la surnommèrent « pique crise, mouche-mouche, poubelle » et pour se protéger de la mort qui planait autour de l’enfant, ils créèrent « le jeu de l’enfant infecté »
Ainsi, dès que Lili touchait un autre enfant, un livre ou une feuille de papier, celui-ci se trouvait infecté et la stratégie du jeu consistait à évacuer l’infection en la rejetant sur quelqu’un d’autre. La peur de la maladie et de la mort d’un parent, se trouvait ainsi mise en scène sous forme d’un jeu où toute la classe rejetait Lili car elle représentait tous les dangers et l’horreur absolue.
Lili vivait cette exclusion dans la honte et la culpabilité, comme si tous les enfants l’accusaient d’être responsable de la maladie et de la mort de sa mère.
Elle n’osait dire à personne, ni aux professeurs, ni à ses proches, les sévices et les attaques dont elle était victime dans la cour de récréation, l’obligeant à aller se réfugier dans les toilettes pour se protéger des coups et des brimades.
L’enfant harcelé se sentait responsable de ce qui lui arrivait et cachait sa situation à son entourage de crainte d’être punie par sa famille et les professeurs si cela s’apprenait.
Lili s’était peu à peu identifiée à la « pestiférée » de l’école, elle n’était en effet pas comme les autres puisqu’elle était l’orpheline de la classe. Quand les professeurs découvrirent combien la situation avait dégénéré, il était déjà trop tard. Toutes les tentatives d’intégration menées par l’enseignante et la psy de l’école échouèrent.
L’école où se déroulait cette histoire ne se trouve pas dans les quartiers défavorisés de Bruxelles mais dans l’un des quartiers les plus aisés de la capitale.
Nos têtes blondes, nous le savons, ne sont pas des anges et la cruauté, l’expérience du bien et du mal, s’expérimente très tôt dans la vie sociale.
L’enfant différent, fragilisé par le décès de son père ou sa mère, peut très vite devenir une cible pour la haine car il incarne tout ce que les enfants redoutent : la perte d’un parent. En l’écartant, en le rejetant, les élèves imaginent éliminer la menace de mort et ainsi la fixer sur une seule victime expiatoire.
Nous avons rencontré ce même phénomène dans une autre école qui nous avait contactée après le décès rapproché de deux parents dans une même classe de primaire. L’angoisse de perdre son parent était devenue telle que les élèves se montraient extrêmement violents les uns envers les autres, ils s’insultaient et déchargeaient leurs craintes en se menaçant par des propos du type : « si tu continues à m’embêter ta maman va aussi mourir » ou à l’égard des orphelins : « c’est de ta faute si ton père est mort, c’est parce que tu n’as pas été assez gentil avec lui ». La maladie et la mort sont toujours contagieuses dans l’esprit de l’enfant et les attaques permettent de se protéger fantasmatiquement de cette terrible menace.
L’enfant redoute sa propre ambivalence d’amour et de haine envers ses parents, à plus forte raison durant la période oedipienne, il cherche alors à rejeter hors de lui, sur ses camarades, son agressivité, sa destructivité.
Mais l’enfant est aussi capable de compassion, d’empathie, d’altruisme, si on lui donne l’occasion d’exprimer ses émotions quand un décès survient dans la classe. Ce temps d’échanges, de paroles, sur la mort, est malheureusement trop souvent passé sous silence dans les classes et c’est peut-être une des raisons de la dérive vers des comportements violents et rejetant.
Les enseignants semblent, eux-mêmes, très démunis lorsqu’ils doivent aborder ce sujet dans la classe. Ils ont peur d’être pris par leurs émotions, peur de se trouver face aux douleurs des petits orphelins, crainte de la détresse des autres enfants et de leurs questions : « Comment leur parler, que dire ? » « Et s’ils se mettent tous à pleurer, que dois-je faire ? » « Je suis prof et pas psy, on ne m’a pas formé à ça » « c’est trop dur, je n’arriverai pas à donner cour après avoir parlé de la mort ».
Notre expérience d’atelier de deuil pour les groupes d’enfants orphelins : « les espaces papillons » nous a d’emblée placé comme références en matière de deuils des enfants et nous a donné l’occasion d’étendre notre action aux écoles frappés par la mort d’un élève ou d’un parent.
Depuis deux ans, nous sommes intervenus dans sept écoles différentes de Bruxelles et une institution pour enfants placés par le juge. Généralement, nous sommes contactés en situation de crise après un décès ou quand la mort est imminente. Sur les sept interventions, six concernaient le décès d’un parent et la septième, la mort très proche d’un enfant de la classe. Dans trois écoles, il y avait deux enfants de famille différentes touchés par la mort d’un parent, ce qui fit dire aux élèves d’une école : « la classe de sixième est maudite » « c’est une malédiction ». La mort avait frappé deux fois, à quelques jours d’intervalle, emportant brutalement deux pères.
Nous avons été sollicités également pour rencontrer les enfants d’une classe de primaire où trois parents étaient malades du cancer, dont une maman en stade terminal. Cette coïncidence pénible de voir se multiplier des cas de cancer dans une même classe est malheureusement de plus en plus fréquente, qu’il s’agisse, de grands-parents ou d’autres membres de la famille. Lorsque nous invitons les enfants à partager ensemble leur vécu de la maladie, il n’est pas rare d’entendre dans une classe plusieurs témoignages de pertes ou le récit des traitements chimiothérapiques en cour.
Trois écoles furent confrontées au décès par suicide d’un parent et les enseignants étaient très bouleversés par l’annonce de cette mort brutale. Le suicide d’un parent, d’un élève ou d’un enseignant demande un approche très spécifique et ne doit pas devenir tabou dans l’école. Il nécessite également une prise en charge du groupe d’enfants afin d’entendre leurs questions, permettre la réflexion et l’expression des émotions sur cette problématique.
Cet article va nous permettre de partager et d’informer sur notre pratique.
Celle-ci se base sur le modèle d’intervention dans les écoles mené par l’équipe française de l’association « Vivre son deuil » dirigée par le docteur Michel Hanus, psychiatre, psychologue et psychanalyste *.
Chaque école, chaque classe, nécessite un aménagement spécifique et une adaptation au groupe et à la situation. Nous procédons, cependant, par quelques pistes de travail assez constantes. Nous rencontrons d’abord les enseignants concernés, la direction de l’établissement et le psychologue scolaire pour une première réunion qui nous donne l’occasion de prendre connaissance des circonstances du décès, des éléments familiaux, des relations entre les élèves, de ce qui a été dit, de ce qu’ils savent ou pas. Il est important de partir des compétences des enseignants et de leur capacité à interagir avec la classe concernées par le décès.
Si un parent est en fin de vie, nous sensibilisons l’enseignant de la classe à préparer ses élèves à faire face à l’annonce du décès. Le jour où il apprend la mort du parent, si l’enfant est présent en classe, le professeur peut s’adresser à lui individuellement et témoigner à l’enfant combien il est affecté, bouleversé, d’apprendre la nouvelle du décès de son parent. Le maître peut demander à l’enfant s’il est d’accord qu’on annonce à la classe ce qui lui est arrivé et qu’ensemble le groupe l’aide et le soutienne dans cette épreuve. Certains enfants orphelins seront favorables, d’autres refuseront que cela se sache car ils ont très peur d’être différents des autres, qu’on se moque d’eux. Ils peuvent vouloir garder l’école comme un lieu préservé de la douleur où ils étudient, ils jouent et ils ne pensent pas à la maladie et à la mort.
Ceux qui n’ont pas voulu en parler, ont parfois regretté, plus tard, de ne plus pouvoir se confier aux copains. Le moment de la mort est souvent très traumatique et l’enfant est choqué, pris dans l’indicible, la sidération. En parler trop tôt, trop vite peu renforcer l’effet traumatique, mais le taire ou le cacher peut également enfermer l’enfant dans sa souffrance. Il est donc très important de tenir compte de la personnalité de l’enfant et des relations qu’il a avec ses camarades, avant de donner la parole aux enfants. La sensibilité du professeur à ces questions et son expérience personnelle de la perte ou de deuil interviendra également. Il ne faut pas forcer un enseignant à parler de la mort en classe s’il ne se sent pas prêt à cela mais l’on peut proposer une collaboration avec des professionnels du deuil.
Si l’enfant orphelin n’est pas en classe le jour du décès et que l’enseignant vient d’apprendre la nouvelle, il peut informer la classe des raisons de l’absence de leur camarade et par là, demander au groupe comment celui-ci pourrait aider, soutenir l’enfant. Comment montrer notre solidarité avec lui ? Prendre connaissance des idées qui vont jaillir des enfants : création de dessins, lettre de soutien etc… Partir de leurs propositions, ne pas devancer leur pensée mais les laisser décider et prendre les initiatives. Aborder avec eux la question des funérailles : qui est déjà allé à un enterrement ? Comment ça se passe ? Qui souhaite participer aux funérailles ? Que pouvons-nous préparer à cette
intention ?
Le professeur peut également proposer aux enfants d’inscrire sur un papier toutes les questions que les enfants se posent au sujet de la mort, de la maladie, du suicide etc… et ces questions pourront être lues anonymement dans un second temps et débattue avec toute la classe en présence de l’enfant orphelin. Les réponses seront adaptées aux âges des enfants et à leur sensibilité, mais nous privilégions toujours les échanges entre eux, la possibilité pour les enfants de se répondre les uns aux autres en limitant l’intervention d’une parole adulte. Les enfants ont plus besoin de s’exprimer que d’entendre des théories d’adultes sur la mort et le deuil, ils ont très tôt leur propre connaissance, leur savoir sur ce sujet et sont très heureux de pouvoir le partager avec le groupe.
Quand une école nous demande une animation de deuil, nous rassemblons les enfants dans une autre salle que celle où ils ont habituellement cours. Tous prennent place en cercle, à même le sol. Les profs font également partie du cercle mais parfois ils s’installent un peu en retrait. Une grande feuille de papier est placée au centre avec des crayons de couleur. Après nous être présenté et avoir signalé les raisons de notre venue, nous invitons les enfants à partager leurs expériences de pertes : décès d’un animal, séparation des parents, mort d’un proche ou d’une connaissance. Très vite toute la classe livre son témoignage et l’enfant orphelin réalise que beaucoup d’autres enfants autour de lui ont déjà aussi vécu des pertes. Les noms des disparus sont inscrits sur la feuille blanche par chaque enfant.
Nous demandons alors ce que l’on ressent dans son coeur puis dans son corps quand on est confronté à une perte. A nouveau, le vécu des enfants est partagé avec le groupe pour exprimer et inscrire sur la feuille collective les émotions de tristesse, chagrin, colère, douleurs, pleurs, révolte, panique … et ses conséquences physiques dans notre corps : boule dans le ventre, étouffement, maux de tête, gorge serrée, crise de larmes…
Quand la classe éprouve une forme d’osmose, il est possible de demander aux enfants ce qu’ils ont ressenti lorsqu’ils ont su que le papa ou la maman de leur camarade était décédé. En ont-ils parlé à la maison, quelles ont été les réactions ? Comment aider celui qui est confronté au décès d’un parent ?
Comment le soutenir, le consoler ?
Les enfants n’hésitent pas à se montrer solidaires, ils évoquent l’importance de continuer à jouer, d’entourer l’enfant mais sans en avoir pitié,
sans l’infantiliser, ne pas le forcer à parler s’il n’en a pas envie, comprendre sa tristesse et accepter ses larmes.
Si le parent est décédé d’un cancer, questionner les enfants sur ce qu’ils savent de cette maladie, répondre à leurs questions, proposer la lecture du livre « Alice au pays du cancer » qui explique la maladie par le biais d’un conte. Il est toujours nécessaire d’aborder la problématique de contagion des maladies et de la mort afin de déceler s’il y a des craintes chez eux à ce sujet.
Nous demandons aux enfants que devient le corps après le décès ? A-t-il faim, froid, mal, souffre-t-il toujours ? Que fait-on du mort ? Les enfants partagent leurs connaissances et leurs expériences des enterrements ou du
crématorium. Si les funérailles ont déjà eu lieu, leur demander comment cela s’est passé, qui était présent ? Si elles n’ont pas encore eu lieu, demander qui souhaite être présent pendant la cérémonie et comment la préparer.
Laisser le choix de participer ou non. Une lettre sera insérée pour les parents des élèves informant du décès et de la date des funérailles avec la possibilité pour les enfants d’être présents s’ils sont accompagnés d’un parent.
L’enfant orphelin est toujours très touché et heureux de sentir sa classe proche de lui durant ce dernier au revoir où l’on entoure et l’on honore le mort.
Cette participation au rituel commun peut resserrer les liens d’une classe, les souder dans l’épreuve et désamorcer les bombes de la peur ou la diabolisation de l’orphelin.
Ces interventions à l’école sur le thème de la mort nous donnent chaque fois l’impression de participer à un véritable moment de partage sur les choses essentielles de la vie avec les enfants. Des rires et des pleurs se mêlent, ils nous transmettent leurs pensées philosophiques ou leurs croyances en l’au-delà. Ils parlent du lieu où vont les morts et des liens qu’ils maintiennent ou non avec les défunts. Généralement, nous terminons cette rencontre, aux échanges intenses, par une minute de silence offerte aux disparus en nous tenant tous par la main.
Nous quittons la classe en ayant le sentiment d’avoir reçu de précieux témoignages et un grand enseignement des enfants. La parole a pu circuler, les émotions ne sont pas restées cadenassées et l’amitié semble renforcée.
Sophie Buyse
Publications à découvrir avec les enfants confrontés à la maladie ou décès d un parent :
"Alice au pays du cancer" : Sophie Buyse et Martine Hennuy, éditions Alice. Dès 6 ans
"On va où quand on est mort ? : Sophie Buyse et Martine Hennuy, éditions Alice, dès 6 ans
" Grand arbre est malade " : Nathalie Slosse, éditions Image publique pour les tout petits enfants.
Sophie Buyse
26 avenue des Scarabées - 1050 Bruxelles
Articles publiés : 4
Type :
Psychothérapeute , Psychanalyste , Sexologue clinicien(ne) , Conseiller(e) conjugal(e)
Spécialités :
Psychothérapie psychanalytique
Problématiques :
Deuil
Publics :
Adulte , Ado , Enfant , Couple , Famille
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