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Dépendance et co-dépendance : Etude d'un concept en pleine évolution

/ Par Dominique Weil / Mal-être

Dépendance et co-dépendance : Etude d'un concept en pleine évolution

La poursuite des recherches dans ce domaine a permis la compréhension des caractéristiques de la co-dépendance et cette terminologie fut de plus en plus utilisée pour décrire ce mode de comportement particulier. Au fur et à mesure que les professionnels acquéraient une meilleure compréhension dans ce qui serait connu plus tard comme la co-dépendance, ils reconnurent également un plus grand nombre de personnes présentant les symptômes susceptibles de suggérer une relation similaire.

La co-dépendance est évidente dans les familles dont certains membres sont alcooliques, mais bien d’autres situations semblent créer des symptômes identiques. Plus récemment, on a pu concevoir des relations de co-dépendance dans différents domaines, tels que la dépendance aux médicaments, aux drogues, aux jeux, aux thérapeutes, à Internet, à l’obésité, etc. …

Un article de Maes, J.C.   (2000) fait état de dépendance et de co-dépendance à une secte. Les pionniers tels que Beattie, M.  (1991), Minuchin, S.  (1978) et d’autres encore découvraient des symptômes similaires, à la fois émotionnels et physiques, chez des adultes élevés dans des homes ou qui avaient subi divers abus, voire souffert d’abandon.

La co-dépendance en lien avec la problématique de l’alcool
De nombreux auteurs ont consacré leurs travaux à la compréhension du phénomène de co-dépendance et ont tenté d’en établir une définition. Pour Larsen , Potter-Efron  & Potter-Efron, Mendenhall, W. (1989), Hers D., et al. (1996), la co-dépendance est une conséquence d’une relation intriquée à l’autre. Pour Cermak, T.L (1986), la co-dépendance se retrouve de manière habituelle au sein de chaque individu sous forme de traits de personnalité. Wilson-Schaef  (1986) considèrent la co-dépendance comme une maladie « primaire », la maladie existe au sein de l’individu mais ne se déclare qu’au contact d’une personne dépendante. 

Au départ, le concept de co-dépendance a été conçu comme une situation de fait dans la problématique de l’alcoolisme. Celui-ci est un problème avec lequel le partenaire de l’alcoolique doit composer et, de ce fait, il devient co-dépendant. Par la suite, on a envisagé une composante personnelle chez le partenaire de l’alcoolique. Par exemple, Cermak, T.L  (1986) envisage la co-dépendance dans le cadre d’une situation où le partenaire de l’alcoolique présente un faisceau de traits de personnalité retrouvés de façon habituelle chez la plupart des membres d’une famille dépendante. La démarche de l’auteur semble intéressante, car il propose les critères d’identification suivant :

-Une estime de soi liée à l ‘investissement prolongé dans la capacité de contrôle de soi et des autres, dans des circonstances adverses.
-Une responsabilité supposée dans la satisfaction des besoins d’autrui et méconnaissance de ses propres besoins.
-De l’anxiété et distorsion des limites concernant l’intimité et la séparation.
-Des relations complexes et imbriquées avec des personnes présentant des troubles de personnalité, une dépendance aux psychotropes, une autre co-dépendance ou des troubles de l’impulsivité.
-Au moins trois des traits suivants ; utilisation préférentielle du déni comme moyen de défense, retenue des émotions (avec ou sans explosions dramatiques), dépression, hyper vigilance, compulsions, anxiété, abus de psychotropes, la personne a été ou est la victime de violences sexuelles ou physiques récurrentes, a souffert de maladie somatique liée au stress, est restée deux ans dans une relation étroite avec une personne qui abuse de psychotropes sans avoir cherché d’aide à l’extérieur.

Ces critères diagnostiques auront d’importantes répercussions car ils permettront une généralisation du concept de co-dépendance qui ne sera plus nécessairement lié aux substances telles que l’alcool, les drogues, les médicaments et/ou d’autres substances chimiques. Ils permettent une ouverture vers d’autres co-dépendances.

Cermak, T.L (1986) ajoute que le terme de co-dépendance peut recouvrir trois utilisations différentes (citées dans Van Der Wal, 1996) :
Un concept psychologique
La co-dépendance reste un concept important dans la mesure où il attire l’attention non seulement des professionnels de la santé mais aussi de l’entourage familial sur un phénomène psychologique.

Un outil didactique
La co-dépendance, en tant qu’outil, s’adresse directement aux personnes co-dépendantes : elle leur permet en quelque sorte de légitimer les sentiments qu’elles éprouvent et leur donne la « permission » de se focaliser sur leurs propres difficultés.
Une maladie nouvelle et discrète
Pour les professionnels qui envisagent la co-dépendance en tant que maladie, il est impératif de définir un traitement. Dans cette perspective, le diagnostic, l’évolution et le pronostic de la maladie s’imposent d’eux-mêmes.

Wilson-Schaef, A. (1986) propose une définition de la co-dépendance comme maladie primaire, c’est-à-dire résultant d’une problématique personnelle qui ne se manifeste que dans la relation avec une personne alcoolique.

Evolution du concept de co-dépendance indépendamment du lien avec l’alcoolisme
Le concept de co-dépendance continue à être développé et étendu au delà du secteur de la dépendance chimique. Le résultat d’une étude conduite par O’Brien, P.E. et Gaborit, M.  (1992) suggère que la co-dépendance peut exister indépendamment d’une dépendance chimique. Comme nous l’avons vu précédemment, la co-dépendance est un concept qui a découlé du secteur de la dépendance chimique dans le traitement de familles d’alcooliques. Initialement, les chercheurs avaient jugé que les symptômes de co-dépendance étaient causés par le stress de vivre avec une personne en état de dépendance. Par la suite, il est devenu apparent que, lorsque l’état de la personne dépendante s’améliorait, il arrivait fréquemment que le comportement de co-dépendance des membres de la famille se prolonge, et parfois même qu’il se renforce, ceci indiquant qu’un phénomène séparé se produisait. Alors que les membres de la famille recherchaient une thérapie et révélaient l’histoire de leur famille d’origine, il était apparent que beaucoup avaient des parents alcooliques ou des parents abusifs. La co-dépendance comme élément indépendant a commencé à être étudiée de manière plus intense par des professionnels dans le secteur de la dépendance chimique. (Beattie,M., 1987 ; Cermak, T.L., 1986 ; Kitchens, 1991 ; Wegscheider-Cruse & Cruse, 1990 ; Whitfield, 1987).

Whitfield, C.-L, (1989) ne va pas lier la co-dépendance à la maladie alcoolique. Selon lui, « La co-dépendance est l’addiction la plus commune. C’est la maladie de la perte de Soi ». Il définit la co-dépendance comme toute souffrance ou dysfonction associée à la focalisation exclusive sur les attentes et les comportements d’autrui. Dans le même article, Whitfield C.-L, (1989) va même jusqu’à affirmer que le concept de co-dépendance affecte la plupart des gens, disqualifiant ainsi ses propres efforts de spécification. Sur ce point, il est en désaccord avec Cermak, T.L.  (1986) ; en effet, celui-ci considère la co-dépendance comme un trouble de la personnalité. Par contre, il voit pour seul avantage la possibilité de « dresser une liste de critères diagnostiques pour ceux qui peuvent être moins familiers avec la co-dépendance ». Selon l’auteur, la co-dépendance est une maladie contagieuse ou acquise à partir de l’entourage. En effet, l’entourage familial ou social de la personne enseignerait ce modèle de comportement qui serait encore renforcé par l’intermédiaire des médias, du gouvernement, de la religion et des soignants.

L’apport de Whitfield, C.-L, (1989) est particulièrement intéressant en ce qui concerne l’établissement du concept indépendamment du lien avec l’alcoolisme. En effet, dans sa pratique, l’auteur a observé diverses maladies physiques et psychosomatiques liées à la co-dépendance et explique la présence de ces affections par deux facteurs :

1. Le stress accumulé parce que les co-dépendants étouffent leurs sentiments et veulent absolument plaire aux autres.
2. Les règles familiales déviantes ou dysfonctionnelles qui ont pour but d’éviter à court terme l’émergence des conflits et de la douleur. Toutefois, à long terme, ce qui n’a pas été exprimé ouvertement risque de se manifester de manière pathologique (dépressions, addictions, compulsions, anxiété, insomnies, dysfonctionnements sexuels, prise de poids,…).

Vers l’établissement d’un consensus
Le concept de co-dépendance renvoie à un comportement appris qui s’exprime par des dépendances à des personnes et des choses à l’extérieur du Soi, comportement qui néglige et diminue la propre identité du Soi. Il s’agit d’un problème de santé significatif.

Goff & Goff   (1988) estiment que 40 millions d’américains ont été étiquetés correctement comme co-dépendants. De nombreux auteurs suggèrent que la relation de co-dépendance est un problème étendu et un mode habituel d’interaction dans la société américaine.

Cependant, les auteurs O'Brien, P.E. et Gaborit, M. (1992) ont mis en évidence le fait que, sur l’ensemble des sujets qu’ils ont interrogés dans le cadre de leur étude sur la co-dépendance, une grande partie présentait dans leur histoire personnelle une problématique d’abus. La fréquence de celle-ci était significativement plus élevée que dans la population générale.

Selon Cermak, T.L.  (1986, 1991) passé en revue par Hands, M. et Dear, G. (1994), la co-dépendance est surtout définie par le contrôle et la négligence de soi. Les critères de définition de la co-dépendance incluent : le contrôle de soi et de l’autre, cacher la responsabilité de l’autre au point de se négliger soi, l’altération des frontières liées à la séparation et à l’intimité avec autrui et les rapports enchevêtrés (qui est qui dans la relation ?).

Pour Wright et Wright   (1991 et 1995), la notion de co-dépendance est conceptualisée comme un syndrome de personnalité. Leur modèle englobe six aspects reflétant la relation de co-dépendance ; excitation et défi, dépendance valorisante, jalousie, sens exagéré des responsabilités, orientation de secours et orientation de changement.

O’Brien et Gaborit  (1992) définissent la co-dépendance comme un rapport entre relation et autonomie. Leur modèle englobe 5 facteurs : prise de soin, référence à autrui, négation du Moi, problème de communication et manque d’autonomie.
Hughes-Hammer  et al. (1998) citent en p.266 une définition proposée en 1990 par le conseil national de la co-dépendance. Cette définition constituait une proposition de consensus entre toutes les définitions déjà formulées concernant la co-dépendance.

Définition issue de ce consensus :
« La co-dépendance est un comportement appris qui s’exprime par une dépendance aux autres et aux choses extérieures du Moi ; cette dépendance inclut la négligence de soi et la diminution de sa propre identité. Le faux soi qui émerge est souvent exprimé au travers des habitudes compulsives, des addictions et autres troubles qui augmentent davantage la perte de la propre identité et qui favorisent un sentiment de honte ». (Whitfield, 1991, p.10)

Bien que cette définition de consensus ait été développée en 1990, de nombreux auteurs continuent à créer leur propre définition qui évolue au fur et à mesure de leurs recherches cliniques. Comme nous venons de le voir, de nombreuses définitions de la co-dépendance existent dans la littérature. Parmi les conceptualisations les plus récentes, nous retiendrons celle de Wegscheider-Cruse et Cruse  (1990) qui ont élaboré une définition de la co-dépendance centrée autour de trois symptômes fondamentaux : l’illusion, la compulsion et la répression. Ils résultent de complications dues à l’association avec d’autres symptômes : une faible estime de soi, des problèmes relationnels et médicaux.

 La synthèse des travaux de Wegscheider-Cruse et Cruse (1990) est un modèle théorique très important sur la co-dépendance. En effet, il met en évidence une série de symptômes secondaires développés par le co-dépendant. La conclusion de leurs travaux a permis de découvrir que le co-dépendant souffre d’une faible estime de soi suite à un manque de structure de son Moi d’origine. Il vit des conflits avec sa famille d’origine qui ne sont pas encore résolus. Une faible estime de soi et un conflit interne contribuent à ce que le co-dépendant se conforte dans son comportement contrôlant et répressif. Le co-dépendant se sent contraint d’aider ou de contrôler les événements ou les gens en prodiguant des conseils et/ou en utilisant la manipulation. Il se concentre sur le contrôle et sur les questions de frontière et de limite, en adoptant une attitude qui ne se soucie que de l’autre et pas de lui-même. Cette négligence de lui-même entraîne à plus ou moins long terme une série de problèmes médicaux ; de nombreux symptômes psychosomatiques finissent par apparaître.

Comme nous venons de le voir, au départ, le concept de co-dépendance était lié à celui de co-alcoolisme. Le terme « co-alcoolique » désigne les personnes affectées par le comportement d’une personne dépendante. Cette appellation a ensuite évolué en « co-dépendance »; concept qui a, par la suite, évolué indépendamment du lien avec le co-alcoolisme. La poursuite des recherches dans ce domaine a permis la compréhension des caractéristiques de la co-dépendance et cette terminologie a été de plus en plus utilisée pour décrire ce mode de comportement particulier. C’est Cermak, T.L.  (1986, 1991) qui, le premier, a classé la co-dépendance parmi les troubles de la personnalité et proposé des critères diagnostiques. Ses travaux ont permis de dégager la co-dépendance du co-alcoolisme et ainsi de généraliser le concept de co-dépendance.

D’autres auteurs, tels que O’Brien, P.E. et Gaborit, M.  (1992), ont poursuivi l’étude de la co-dépendance indépendamment du lien avec l’alcoolisme. L’apport de Subby et Friel  (1984) a mis en évidence que la co-dépendance pouvait être le résultat de règles familiales. Pour Smalley  (1985), elle est associée à un trouble de la personnalité. Whitflield, C.-L.  (1989) a introduit la co-dépendance « maladie de la perte de Soi » et a observé diverses affections psychiques et psychosomatiques liées à la co-dépendance. Enfin, un consensus se dégage des différentes recherches sur le concept et une définition est proposée en 1990 par le conseil national de la co-dépendance. Cependant, les études ont continué à progresser sur ce sujet. Les travaux de Wegscheider-Cruse et Cruse  (1990) proposent un nouveau modèle de la co-dépendance. Modèle qui met en évidence une série de symptômes secondaires développés par le co-dépendant. Ensuite, Beattie, M.   (1991) soutient que la co-dépendance est une conséquence d’une relation à l’autre.

A la lecture de ses différents auteurs, il apparaît que le concept de co-dépendance n’est pas lié uniquement à la problématique de l’alcoolisme. C’est ainsi que le clinicien se retrouve de plus en plus souvent confronté à des situations de vie ou les couples et les familles qui viennent en consultations proposent des situations cliniques de dépendance et de co-dépendance tels que celle lié à l’utilisation des nouvelles technologies (internet, gsm, etc.),  lié à l’abus de produits médicamenteux, aux drogues, aux jeux, à la nourriture, aux marques, aux personnes, aux thérapeutes, aux animaux de compagnie etc.
 

Dominique Weil