/ Par info psy.be / Mal-être
La honte, une élaboration secondaire.
Les nombreuses réflexions et débats qui ont émergé grâce au concept de la honte, émotion qui a considérablement questionné l'école anglo-saxonne questionnant les thérapies interpersonnelles m'ont donné envie d'aborder ce sujet difficile, d'aller à la rencontre de cette souffrance.
Vigilante lorsque je reçois des patients que je suspecte de vivre une vie qu’on leur a inculquée, des personnes qu'on a formatées dans un moule créé de toutes pièces pour satisfaire une culture familiale ou dominante, sans qu'aucune autonomie d’expérimenter leur propre individualité ne leur soit offerte, je redouble de prudence dans nos interactions, dans l'angoisse de ne pas moi-même stimuler de la honte chez ces patients qui cherchent avant tout à la dissimuler !
Car quelle est notre responsabilité dans le manque d’intégration des personnes que nous thérapeutes recevons dans nos cabinets ?
J'ai eu l'impression qu'avec certains patients régnait la confusion entre culpabilité et honte ! La honte de la culpabilité ou la culpabilité de la honte ? A savoir que cela est possible, fréquent même, encore faut-il pouvoir s'en dépêtrer, car la culpabilité, transgression d'une norme prédéfinie, peut être dédommagée ou indemnisée, alors que… la honte vous ronge de l'intérieur !
L’individu enclin à ressentir ce sentiment extrêmement handicapant, réussit rarement à établir un contact enrichissant avec son environnement, une rencontre permettant de créer du nouveau dans sa vie.
Comment comprendre l’expérience de tels patients ?
Pour cela il nous faudra nous intéresser précisément aux formes particulières de la présence d’Autrui, car avec la honte s’installe en moi la certitude d’un Autrui auquel je suis en perpétuelle situation d'exposition.
La question est alors: comment y échapper?
Mais revenons aux cabinets de consultations.
Plusieurs cas de figures existent !
Certains patients partagent leur vécu dans un murmure…
D'autres débarquent, et sans aucune forme de précontact, parfois même avant de se présenter, nomment la honte, le dégoût, la répulsion, sans en présenter le non verbal approprié. Dans ces situations, une forme de désarroi me saisit à la gorge car, cette tendance à banaliser les perturbations de contact avec l'Autre annonce souvent des blessures extrêmement graves, ordinairement indicibles.
Et surtout, cas beaucoup plus fréquent, on n'en parle pas, même si le patient est là pour s'en dégager!
J’expérimente, en ce qui concerne la honte celle dont j'ai choisi de vous parler, que la patience est essentielle pour qu’elle puisse se dire et se dévoiler!!!
Il est fondamental que la relation d'aide soit bien établie, bien solide pour que le patient se sente en sécurité pour parler de ce sentiment d' humiliation exterminatrice, vécue à l'occasion d'un regard, d'une parole, d'un geste, en sécurité pour dénoncer cette lourdeur qui taraude l’estime de soi, cette honte qui colle à la peau, cette honte-sparadrap qu’on essaye en vain d’enlever à un doigt mais qui revient sur le bout du nez !
"Ce n'est pas grave d'être pauvre" me partagea un jour un client, "ce qui tue, c'est de recevoir les jouets du chien du voisin, comme cadeau de Noël! "Acte de …"charité". Cette charité que vous n’avez pas demandée, qu’on vous impose et vous déshumanise. Cette charité qui vous violente, et vous habitera tout le reste de votre vie. Et ce patient d’ajouter : « Depuis je longe les murs, j’ai peur qu’on me voie, que l’on devine, je crains de rencontrer mon voisin, et surtout toutes les nuit, je rêve d'étriper son chien-chien. »
Il a fallu deux ans et demi pour qu'il puisse me partager cet épisode de sa vie.
Il n’y a pas de honteux sans celui qui rend honteux!
Inéluctablement la honte naît d’un contact, d’une relation, d’un lien qui s’inter-crée nécessairement à de l'Autre, à de la différence ! Car la question de l’interdépendance ne se pose plus, depuis entr'autre, Prigogine, nous savons qu’elle régit notre univers. La seule question intéressante est de savoir comment cette interdépendance se conjugue!
Il y a obligation de contact pour qu'une relation se tricote, mais parfois on se retrouve solitaire dans cet élan qui nous porte vers l’Autre, alors que ce dernier se dérobe.
La honte n'est-elle donc pas l'unique façon qui permet au honteux de rester en contact avec " l'humanité" même si ce que cette humanité représentant la différence, provoque exclusion et sentiment de rebuts !
Car ce ressenti de honte dans une certaine mesure, permet de pactiser avec celui qui rend honteux !
Et en séance, en tant que praticienne active de cette relation comment suis-je "l'Avilissante"?
C'est cet éclair de conscience qui m’ancra dans ma certitude qu'avant la honte, il y avait un autre sentiment premier, un outrage venant de l’Autre, Autre incapable d’assumer l' acte qu'il venait de poser.
Imaginons ce poupon, bien éveillé dans son petit lit-cage, ayant réussi à se libérer de son lange et jouant avec plaisir et créativité avec ses fèces! Quel bonheur, pour ce petit enfant roi, d'expérimenter sa puissance!
Et maman arrive, elle peut en rire, mais aussi… ne pas comprendre, prisonnière de sa volonté d'une éducation reflétant son propre narcissisme. Regards horrifiés, cris…gifle???
Notre bébé tombe de son trône d'enfant roi, et ne comprend pas! L'enfant avait besoin que son monde applaudisse! A la place, vint une première rupture de communication avec un enfant bien trop petit pour être exclu de son cocon.
Il avait besoin d'être vu et aimé, ce n'est pas ce qui se passa.
La honte naît du fait que l'enfant n'est pas prêt à être visible dans ses actes de jouissance et à comprendre la différence exprimée par l'Autre.
Pourrions-nous dire que les enfants de la honte s'instituent les parents de leurs propres parents ?
Peut-on affirmer que de ce fait prendre soin de l'Autre devient la seule modalité de contact avec le monde, entraînant la culpabilité de n'avoir jamais fait assez bien? Lorsque l’enfant n’a pas de mots pour les émotions, il les ressent comme quelque chose d’incommunicable, comme une faute d’être.
C’est à la mère à reprendre une mimique en y mettant un son, puis un mot bien choisi. Accordage, cela signifie un Autre intéressé et affecté par nous, qui comprend et reprend. Cette reprise réassure le fait que l’enfant puisse ressentir son élan dans un monde commun où il y aura relation ; Cette reprise donne accès à l’intersubjectivité. Je ne peux prendre consistance que si ce que j’exprime peut être compris, si je peux séjourner dans mes sensations.
Les causes de la honte sont souvent d’ordre de la transmission intergénérationnelle de deuils non faits, de fantômes qui font des parents, des personnes absentes.
Phénomène et processus de ne pouvoir dire et symboliser ce qui est là.
La fixation à un passé non intégré par le parent empêche l’enfant de vivre son présent de façon dynamique et d’élaborer un projet. L’enfant a pour seul avenir le passé dont il ne sait que la terreur, et c’est cette terreur qui sera transmise. Le silence est très bruyant.
On peut donc affirmer que la honte est confusion entre deux perceptions et présuppose qu’on est autre que qui on devrait être.
La honte est donc un sentiment secondaire, la terreur des affects ressentis.
Et, si, l'Autre ne peut l'accueillir, elle ne pourra être vécue. L’échappatoire sera alors séduction, défi, mépris, déni.
Et peut-être aussi… psychose, schizophrénie, l’autisme ???
« Toute déficience du système de soutien est vécue comme de l’anxiété. La coordination défectueuse du système de soutien au contact est lacunaire, malaise, anxiété chronique, panique, timidité, gaucherie » disait Laura Perls, cofondatrice de la Gestalt-Thérapie.
Vient l’élan inacceptable, ne pouvant être déplié. L’élan deviendra honte. Dans cet élan, on peut imaginer le désir, allant de l’intérêt à l’excitation. La honte émerge alors d’être vu désirant, d’être à nu. Il y a de l’Autre et son regard me surprend dans mon excitation qui ne devrait pas être !
A mon avis, la thérapie la plus édifiée pour ce type de travail, est la thérapie de la situation apportant assistance et support. Répétons le: le contact ne peut être bon que si le support ad hoc est disponible. Le Gestalt Thérapeute devra maintenir le plus longtemps possible l’awareness avec doigté et humilité, c'est-à-dire la perception de l'Ici et Maintenant, pour éviter l’écueil d'une émergence trop prompte à un matériel intolérable. Prudence, car dès le commencement, toute séance de thérapie est inductrice de honte.
Annie Autome-Van Pevenage, Psychothérapeute.
1020 Laeken
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Avenue Oscar de Burbure, 151 - 1950 Kraainem
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Type :
Psychologue , Psychologue clinicien(ne) , Psychothérapeute , Coach , Sexologue , Praticien(ne) bien-être
Publics :
Adulte , Ado , Enfant , Couple , Famille , Groupe
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