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Le désert selon Ludo

/ Par Dimitri Haikin / Etre soi

Le désert selon Ludo

« La beauté du monde est faite de sa misère. » Proverbe maure

Si le désert était un bijou, je le décrirais comme étant un collier aux diamants scintillants et brillants de mille feux.
Si le désert était un corps humain, je le décrirais comme un corps de femme aux courbes fines, pures et sensuelles.
Si le désert était une boisson, je le décrirais comme un nectar aux saveurs subtiles et envoûtantes.
Si le désert était une œuvre d’art, je le décrirais comme une immense mosaïque aux motifs finement dessinés.

Mais le désert n’est rien de tout cela, il ne se décrit pas, il se vit.

Je n’ai jamais ressenti autre part une telle osmose et omniprésence des quatre éléments fondamentaux : l’eau, sans qui le sable ne serait pas, le feu, soleil ardent sans qui le désert ne serait pas, le vent, sculpteur de ces paysages éphémères sans qui ces formes si parfaites ne seraient pas, et la terre, qui se laisse modeler par les autres éléments et sans qui nous ne serions pas.

Le désert, lieu de mort, silence oppressant, autant d’idées reçues auxquelles il faut tordre le cou pour l’apprécier dans toute sa splendeur. Car en effet, ce désert est bien vivant. Que ce soit ici au détour d’une dune à travers ces traces de gerboise imprimées dans le sable, ou là dans le ciel à travers ce corbeau qui nous observe, ou encore là-bas au loin dans ces traces de pas témoignant du passage récent d’une caravane, ou encore plus simplement, à qui prend le temps de s’arrêter pour contempler, à travers le lent, mais ô combien omniprésent travail du vent.

Cette eau, si rare et pourtant si présente.
Cette eau, qui abreuve avec parcimonie ces palmiers, ces acacias.
Cette eau, dont le sable nous rappelle parfois la présence passée en remontant ça et là des coquillages.
Cette eau, qui nous offre de si subtils et pourtant si simples et essentiels instants, le matin lorsqu’il faut remplir les gourdes, le soir, aux abords d’un puits pour nous rafraîchir quelques instants.

Ce feu, obligeant l’eau à se cacher, à se terrer pour subsister.
Ce feu, source de chaleur et d’aridité.
Ce feu, rendant la sieste à la douce ombre des palmiers comme un moment inoubliable.
Ce feu, procurant la chaleur nécessaire à la cuisson du pain.

Ce vent, qui sans cesse modifie, remodèle le paysage, jouant avec le sable, dévoilant ça et là quelque trace préhistorique datant parfois de plusieurs millions d’années.
Ce vent qui prend un malin plaisir à déplacer chaque grain de sable au gré de ses envies.
Ce vent, qui parfois s’énerve, souffle en tempête, balayant tout sur son passage.
Ce vent, sculptant, modelant, mettant en forme ce sable, est tout simplement le vent de la création.

Cette terre, solide, résistante et pourtant se laissant travailler, plier, sculpter, tel le roseau de la fable.
Cette terre, doucement caressée par le vent.
Cette terre, qui apporte la fertilité même dans ces lieux arides.
Cette terre, qui porte tout simplement la vie.

 

Mais le désert, c’est aussi les hommes. Ces nomades qui jour après jour arpentent le sable en jouissant pleinement de l’instant présent.

Que ce soit dans la douce lenteur de la préparation du thé, que ce soit pendant la sieste, que ce soit au moment de monter ou de démonter le campement, que ce soit en partageant le repas au coin du feu, que ce soit à travers ces chants envoûtants, les maures transmettent leur plaisir des choses simples, de la vie dans l’instant, sans souci du passé ou de l’avenir. Leur patience, leur sang-froid, leur flegme, leur aptitude à profiter de l’instant sont parfois déstabilisants pour nous européens, mais quel bien cela fait de se laisser aller au rythme lent du désert, de tout oublier.

« Vous avez les montres, nous avons le temps ». Tout est dit dans cette phrase.

Ces hommes ont su apprivoiser, mais surtout comprendre le désert. Ils se laissent vivre, guider par le désert. « On arrive quand ? » « On arrive quand on arrive. » « Et on va où ? » « On va par là. »

Ces hommes, qui savent que l’on peut mener au bout à plusieurs ce qu’on ne parviendrait pas à entamer tout seul. Comme le dit un proverbe maure, « le fardeau supporté en groupe est une plume ».

Cette préparation du thé, rituel ancestral, le geste du liquide brûlant versé de verre en verre et de plus en plus haut pour le faire mousser afin d’honorer pleinement l’invité, le premier thé « amer comme la vie », le deuxième thé « doux comme l’amour », et le troisième « suave comme la mort ». Douceur de l’instant, volupté des effluves de ce thé si chaleureux et convivial. Les trois « J » du thé prennent tout leur sens en ces moments : « Jar » (la lenteur), « Jamar » (la braise), « Jmaa » (le groupe).

Oui, vraiment c’est un fait, non seulement ces maures là sont bien vivants, mais je dirais même en conclusion qu’ils ont compris la véritable essence de la vie, qu’ils se sont laissés complètement imprégner par le désert, par la Terre, par la fertilité, par notre mère à tous. Je me sens particulièrement humble lorsque je côtoie ces hommes là.