Je souhaite...

Conseils de psy

/ Par info psy.be / Vivre ensemble

Les enfants de parents malades mentaux

Les conséquences de la maladie mentale sur le vécu de l’enfant

 

Dans un article de Family Connection, une publication du « BC Council for Families », une organisation canadienne d’aide aux familles, Diane T.Marsh (2000), professeur de psychologie à l’université de Pittsburgh, constate que les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables à la maladie mentale d’un proche parent : « Comparés aux adultes, les enfants ont moins d’aptitudes et de stratégies d’adaptation, sont plus dépendants des personnes de leur entourage et ont moins de défenses psychologiques. En outre, compte tenu que les premières étapes du développement sont la base des progrès ultérieurs, tout retard ou perturbation du développement de l’enfant peut avoir des conséquences à long terme, y compris les séquelles de problèmes non résolus dont les répercussions se feront sentir tout au long de sa vie ». Dans toutes les recherches et expériences, se dégage une constante : ces enfants gardent pour eux la souffrance, ne demandent pas d’aide et culpabilisent plus ou moins consciemment en souffrant du « syndrome du survivant ». 

 

Certains chercheurs relèvent qu’une maladie chronique (en particulier une maladie mentale) chez un parent a des répercussions sur le développement psychoaffectif et intellectuel des enfants, notamment au plan scolaire. 

 

Les enseignants apprennent incidemment les difficultés de l’enfant lorsque celles-ci perturbent trop gravement le travail scolaire. En juin 2002, la « Palm Beach Atlantic University » s’est intéressée au sujet dans une enquête plus générale sur le système scolaire vu par les étudiants du secondaire. Plus de trois étudiants sur cinq ont déclaré que vivait à leur foyer une personne ayant besoin de soins médicaux. Presque tous (92,5%) participent aux soins, assistent la personne dépendante : ils l’aident à manger, à faire sa toilette, à s’habiller, s’acquittent des corvées ménagères. Ils l’emmènent se promener, lui font la lecture. Sur 11029 étudiants dans cette situation, 6714 ont répondu que cette situation les gênait dans leur travail scolaire. Une gêne qui s’accroît pour les étudiants en terminale. C’est toute l’ambiguïté de la situation. Les jeunes ne veulent surtout pas être tenus à l’écart, mais ils doivent affronter une situation hors normes qui les perturbe. D’où l’urgence de prendre conscience de ces cas nombreux, mais méconnus. 

 

Une fois devenus adulte, la plupart des enfants d’un parent malade mental ont l’impression de ne pas avoir eu d’enfance, et qu’une grande partie de leur vie a été envahie par la maladie de son (ses) parent(s). Ils ont alors le sentiment qu’ils n’ont pas le même droit au bonheur que les autres enfants. Anxiété, stress, troubles du sommeil, déprime, la perte de l’estime de soi,… peuvent s’installer durablement, avec un sentiment d’isolement ou de repli sur soi. Même s’ils souffrent en silence, la plupart se taisent et évitent d’aborder un sujet qu’ils considèrent comme tabou. Certains parlent même «d’imposture» à propos de leur silence. 

 

Pourtant, si la maladie est un lourd fardeau, tout n’est pas négatif. Ces enfants peuvent apprendre à devenir autosuffisants très jeunes, prendre conscience d’être devenus meilleurs en ayant aidé leur parent malade, et en aimer d’autant la vie. Une première conclusion s’impose : il faut leur parler, leur donner la possibilité de s’exprimer et surtout, leur faire comprendre qu’ils ne sont pas tout seul.

 

 

Des enfants « thérapeutes », « soignants » ou « aidants »

 

Lorsqu’un parent souffre d’une maladie (mentale ou chronique), les enfants deviennent malgré eux des sortes de « thérapeutes », des « soignants » ou des « jeunes aidants »

 

Le Commonwealth Department of Family and Services australien a lancé une des très rares études sur le phénomène des « jeunes aidants » : en Australie, 388 800 jeunes de moins de 26 ans prennent soin d’un membre de leur famille handicapé ou malade pour une période supérieure à six mois. Et 18 800 sont seuls pour assumer cette responsabilité, 2 900 ont moins de 15 ans. Environ 17% des aidants ont moins de 26 ans, soit 6% de leur tranche d’âge. Des chiffres sous-estimés, selon le rapport du Young Carers Research Project : beaucoup sont «cachés» ou isolés, avec peu d’aide financière ou psychologique. 

 

Or, le phénomène ne peut que prendre de l’ampleur avec la montée du nombre de familles monoparentales. 

 

Les données connues montrent que la majorité de ces « jeunes aidants » prennent soin de leur mère, souffrant d’un handicap ou d’une maladie mentale (au moins un quart d’entre eux). La gamme de leurs responsabilités est large: faire la toilette, donner les médicaments, aider aux déplacements, soutenir psychologiquement le ou la malade, prendre en charge les tâches ménagères et administratives. 

 

Contrairement à une idée reçue, les jeunes filles ne sont que très légèrement majoritaires. Tous les milieux sociaux sont représentés et probablement un tiers à la moitié d’entre eux vivent dans des régions rurales ou isolées. Ils assurent les mêmes responsabilités que les aidants plus âgés. Mais il semble que ces jeunes passent beaucoup plus de temps à s’occuper de la personne qu’ils soutiennent. 

 

Dans les familles monoparentales, ils sont souvent les seuls à prendre soin du ou de la malade, parce que personne d’autre ne peut remplir ce rôle à la maison. Ils n’ont pas eu le choix. Ils donnent l’impression qu’ils ont une mission à accomplir. 

 

Mais une fois qu’ils ont pris cette responsabilité, la plupart s’engagent et veulent continuer à assumer ce rôle. Ils estiment même qu’ils en tirent un bénéfice, en apprenant à faire face et en ayant une relation très étroite avec le malade. 

 

Mais les études montrent aussi les effets négatifs de cette responsabilité qui n’est pas de leur âge : leurs choix de vie sont rétrécis, leur avenir professionnel limité. En dehors de l’impact sur leur santé physique et mentale, stress, manque de sommeil et de soins,… les statistiques font apparaître que 60% de ces jeunes entre 15 et 25 ans sont sans emploi (contre 38% dans la population générale de leur groupe) et que seulement 4% sont scolarisés (contre 23%). Du point de vue affectif, ils sont de plus en plus isolés. Entretenant un lien affectif privilégié avec le malade, ils s’éloignent d’autant plus du reste de leur famille. D’où des tensions qui risquent de marquer à jamais leurs relations familiales. 

 

Le rapport constate qu’en Australie, les aides publiques sont souvent inadéquates et que bon nombre de ces familles tombent dans la pauvreté. La plupart de ces jeunes n’ont aucune aide morale. Alors qu’ils auraient besoin de pouvoir s’accorder de temps en temps un répit, 98% de ces jeunes de 15 à 25 ans n’ont pas accès à ce type d’assistance. Les quelques programmes existants en Australie manquent de moyens financiers et ne peuvent répondre aux besoins très variés de cette population. Les différents acteurs, éparpillés entre plusieurs ministères de tutelle, communautaires, fédéraux ou nationaux, les associations, ne sont pas coordonnés. 

 

Les solutions s’imposent d’elles-mêmes : créer des réseaux pour fournir une aide adéquate, mettre en place un système permettant de repérer ces jeunes isolés avec leur malade. Les institutions devraient renforcer leurs moyens pour mieux les suivre et les soutenir, leur ménager des plages de temps libres, en particulier pour suivre leurs cours. L’école devrait pouvoir leur proposer des horaires aménagés. Les professionnels de santé devraient adapter les plans de soutien familial à l’âge et aux besoins de ces « jeunes aidants », y compris au moment de la sortie de l’hôpital. Mais une fois qu’ils sont « repérés », il ne faut pas pour autant les éloigner du parent malade : ces enfants et adolescents ont besoin d’une aide matérielle, d’avoir accès à des services qui les soulagent temporairement, de soutien psychologique leur permettant enfin de parler de leurs difficultés, mais certainement pas d’être mis à l’écart ou systématiquement pris en charge par une institution. Très souvent, ils veulent que leur rôle soit reconnu et être traités avec respect. 

 

 

Qui sont ces enfants « soigneurs »?

 

En 1996, l’office national des statistiques a mené une enquête en Grande-Bretagne pour estimer le nombre de  « jeunes aidants » dans le pays. Les chiffres restent approximatifs : en moyenne 32000 enfants et adolescents de 8 à 17 ans, au minimum 19000, au maximum 51000. Une étude plus récente réalisée en 1998 par le « Young Carers Research Group » de l’université de Loughborough donne un profil type : 

 

  • la moyenne d’âge du jeune aidant est de 12 ans 
  • 86% ont l’âge de la scolarité obligatoire (jusqu’à 15 ans) 
  • 57% sont des filles, 43% des garçons 
  • 54% vivent dans une famille monoparentale 
  • 58% ont la charge de leur mère malade 
  • leurs tâches vont du travail ménager aux soins intimes 
  • un sur cinq donne des soins intimes 
  • 33% ont manqué l’école ou ont eu des difficultés scolaires en raison de leur rôle d’aidant 
  • 29% prennent soin d’un parent souffrant de problèmes mentaux 
  • 63% d’un parent souffrant de maladies physiques 
  • 25% n’ont pas d’aide extérieure (autre que le projet local de soutien aux jeunes aidants) 

 

 

Le concept de « délire à deux », une théorie de l’aliénation familiale 

 

Les parents malades mentaux « communiquent »-ils leurs délires à leurs enfants ? Des enfants sont-ils passivement et docilement réceptifs à cette suggestion pathologique ? Y a-t-il une « circulation » de la folie, à l’intérieur de la cellule familiale ? S’agit-il d’une « contagion » du délire ?

 

En revisitant l’histoire de la psychiatrie, nous constatons que les premiers aliénistes français envisagent « la folie à deux » comme la résultante d’une « aliénation familiale » ou d’un « délire familial ». Leur approche va inspirer quelques théories psychanalytiques et systémiques actuelles, notamment les notions de « transmission inconsciente des délires intergénérationnels » et de « transactions psychopathologiques ».

 

« C’est en France, au cours du XIXe siècle, que des aliénistes ont observé un fait clinique troublant, à contre-courant des doctrines médicales classiques : il n’y a pas seulement des individus délirants, il y a aussi des familles délirantes, des couples délirants, des fratries délirantes. Certains foyers seraient alors des lieux pathogènes où naissent et se transmettent des idées morbides, des obsessions, des phobies, des théories chimériques du monde et de la vie quotidienne. Avant de devenir une entité psychopathologique inscrite dans les manuels de psychiatrie, le « délire familial » est une croyance populaire : les voisins du palier, de l’immeuble, du quartier stigmatisent la famille X, « bizarre », « extravagante », « délirante ».

 

« Dans une pertinence médicale et psychiatrique rigoureuse, l’hypothèse d’une transmission du délire, d’une folie à deux, à trois ou à plusieurs, d’un microcosme familial où circulent des mythes délirants, se heurte à un obstacle épistémologique majeur.

 

« Certes, l’idée d’une contagion de la folie, d’une contamination épidémique des émotions morbides, était un lien commun de la culture européenne. Des philosophes, des moralistes, des romanciers, comme La Rochefoucauld, Fénelon ou Rousseau parlaient de folies contagieuses, de la contagion par la parole d’idées venimeuses, de passions contagieuses, circulant dans l’intimité d’une vie de couple, dans le foyer, voire dans la ville. Mais c’était une figure littéraire, non une entité clinique.

 

« En effet, pour les traités psychiatriques du début du XIXe siècle, le délire est un trouble purement individuel : une altération du fonctionnement mental accompagnée d’une pensée incohérente, d’images hallucinatoires intenses et d’un discours morbide.

 

« Des aliénistes, sous ordre des autorités judiciaires et policières devront alors examiner accusés et accusateurs, déterminer leur état mental et la nécessité d’un internement psychiatrique. Ainsi commence une expérience psychiatrique et médico-légale inédite : la découverte de familles qui délirent. Au cours du temps, le tableau nosographique s’enrichit, mettant en lumière des formes différentes du délire familial. Lorsque des sujets qui délirent ensemble sont mari et femme, c’est le délire conjugal. Lorsqu'ils sont des frères et/ou des sœurs, c’est le délire fraternel. Quand la même idée délirante associe parents et enfants, c’est le délire intergénérationnel. C’est cette dernière forme qui semble la plus fréquente dans de nombreuses études.

 

« Les premiers comptes-rendus cliniques, à orientation organiciste, mettent l’accent sur l’arbre généalogique des patients : l’hérédité est la loi majeure du passage du délire d’une génération à une autre (Rausky, 1999 : 209).

 

« Lentement, les auteurs commencent à se dégager du corset théorique du "somatisme" cérébral et proposent des hypothèses où tout en reconnaissant le rôle des facteurs constitutionnels dans la filiation du trouble, la biographie familiale est privilégiée : la vie intime du foyer, les événements douloureux, traumatiques, ou dramatiques vécus par la famille, l’histoire du passé familial sont alors pris en compte dans l’étiologie du délire parents-enfants. C’est l’émergence d’une psychologie de la famille pathogène, adoptant les mots-clefs des grandes doctrines françaises sur le fonctionnement psychique : autorité, suggestion, imitation, soumission. Il faudra attendre 1932 pour voir apparaître sous la plume de Jacques Lacan, une réinterprétation du délire intergénérationnel fondée sur la théorie psychanalytique, et mettant l’accent sur les dimensions affectives inconscientes en jeu dans l’épisode délirant parents-enfants.

 

« Dans la seconde moitié du XXe siècle, une nouvelle lecture des délires familiaux sera proposée, dans une perspective systémique, mettant en valeur les aspects communicationnels et relationnels de ces perturbations. La famille d’abord objet naturel devient un objet psychique et sociétal.

« En 1877, les aliénistes Charles Ernest Lasègue (1816-1883) et Jules Falret (1824-1902) publient le célèbre article « La folie à deux ou folie communiquée ». Jules Falret, médecin à Bicêtre, est le fils du célèbre aliéniste Jean Paul Falret et l’auteur de recherches sur les paralysies générales, l’épilepsie et la folie circulaire. Lasègue, personnage cultivé, doué d’une plume élégante, féru de philosophie et de psychologie, attentif aux idées européennes de son époque (mesmérisme, spiritualisme et romantisme germaniques, hypnose, traitement moral des maladies mentales) observateur attentif de multiples formes de pathologie psychique (exhibitionnisme, anorexie hystérique, alcoolisme, délire de persécution) a, de 1850 à 1883, la responsabilité médicale du service des aliénés de la préfecture de police de Paris. Il y est chargé de l’examen et du diagnostique de tous les sujets dont les troubles du comportement paraissent de nature pathologique. C’est dans cette antenne psychiatrico-légale où défilent les misères et les fléaux du siècle (criminalité, délinquance, prostitution, vagabondage, alcoolisme, perturbation mentale) que Lasègue observera des « familles qui délirent ». Lasègue et son ami et collègue Falret chercheront, ensemble, les clefs théoriques pour expliquer, avec la rigueur déterministe de leur époque, ce délire groupal.

 

« Les personnages décrits par les auteurs sont presque toujours féminins : mère et fille, tante et nièce, sœur aînée et sœur cadette… Le père est absent : mort, ou en prison, ou ayant abandonné le foyer. Un vécu symbiotique lie et soude les acteurs de la scène délirante. L’idée délirante, à l’intérieur de la cellule familiale, est intensément marquée par l’omniprésence de la persécution. Parents et enfants délirent ensemble sur des tentatives de viol, d’enlèvement, d’empoisonnement, de potions magiques, d’envoûtements, de conspirations. Œuvre de notaires, commissaires de police, juges, prêtres, voisins… ou de familiers indignes. Le thème chimérique suggéré par un membre de la famille à un autre sera adapté et remanié par celui-ci.

 

« La collaboration délirante entre parents et enfants donne au délire une coloration plus vraisemblable, moins grandiose, plus crédible, partant plus dangereuse.

 

« À l’origine du trouble du foyer, un délirant principal, véritable aliéné, créateur de la scène délirante, exerçant avec véhémence un pouvoir d’influence suggestif sur un délirant secondaire, docile, "suggestionnable", mais nullement aliéné au sens médico-légal du terme.

 

« Une intense suggestibilité infantile expliquerait la facilité avec laquelle les enfants, vivant en milieu clos avec des parents perturbés, adhèrent sans résistance remarquable et assez rapidement à l’idée morbide parentale. Ainsi, une petite fille, vivant presque enfermée avec sa tante, adhère au discours de celle-ci : une ligue maléfique de voisins, complotant et cherchant à pénétrer la nuit dans le misérable logis.

 

« Le mythe populaire anticlérical du prêtre lubrique, amateur de jeunes filles, apparaît dans le discours d’une mère de 40 ans et de sa fille de 16 ans. Elles habitent la même chambre, couchent dans le même lit et ne se quittent jamais. La nuit, quand elles sont couchées, les lumières éteintes, un mystérieux prêtre fait irruption dans leur chambre, les menaces et veut faire violence à la jeune fille… (Lasègue, 1971 : 53-54 & 55-57).

 

« Le délire à deux est-il vraiment une « folie-à-deux » associant parent et enfant dans la même maladie ? Pas tout à fait. C’est le délire, fruit de la folie qui sera communiqué et non la folie elle-même, qui n’est pas communicable d’un sujet à un autre. Cette confusion autour du concept de « folie-à-deux » montre la difficulté de Lasègue et Falret à renoncer à la vision endogène et monadique du trouble mental, comme le signalent deux auteurs contemporains, Covello et Lairy : « Tout en décrivant cliniquement d’une façon remarquable la folie à deux, Lasègue et Fauret ne pensent pas du tout devoir infléchir, voire trahir la théorie dominante de l’époque qu’ils font leur, ce qui les oblige à conclure en disant que, tout compte fait, si l’on sépare l’aliéné de son confident et si l’on pousse chacun des deux dans leurs derniers retranchements, on peut remarquer que le premier mis à l’hôpital psychiatrique va retrouver ses anciens thèmes délirants ; par contre, le confident finira par abandonner le délire et accepter, certes non sans réticence, le fait qu’il s’agisse pour lui d’une erreur de jugement ce qui permet donc aux auteurs de conclure qu’entre l’aliéné et les autres ce mur dont ils ont montré la perméabilité reste radicalement infranchissable » (Covello et Lairy : 993).

 

« Ainsi, la petite fille cesse de croire à la conjuration des voisins maléfiques quand elle est séparée de sa tante et placée dans un orphelinat, par mesure de prophylaxie mentale… Pour Lasègue et Fauret, le thème chimérique (le « roman » selon un terme qui sera repris plus tard par Freud dans son « roman familial ») est le fruit d’un délirant principal, l’imposant progressivement, par induction à un « délirant par commission », dans une coquille familiale close, fermée au monde.

 

« Ce « roman » doit être vraisemblable et faire appel à la crainte et à l’espérance des enfants. Crainte infantile plus précoce, des figures persécutoires, terrifiantes, décrites, dans son sombre tableau, par le père ou la mère en proie au délire. Espérance, plus tardive de s’emparer de trésors cachés, d’héritages détournés, d’immenses richesses volées.

 

« Dans les discours des personnages décrits par Lasègue et Falret, la thématique sexuelle est omniprésente : viols, tentatives de viol, prostitution, sensations génitales étranges, agissements sexuels par magie noire, grossesses imaginaires… Pourtant les deux auteurs ne semblent accorder aucune signification clinique spécifique à cette composante érotique du discours pathogène familial. Quand Éros surgit, ça et là, dans le récit, il est purement et simplement le thème du délire, la coloration du trouble. Les aliénistes de l’époque parlent d’érotique, comme ils parlent d’ambitieux, de quérulant, de processif, de revendicatif, de mystique : comme d’une des thématiques d’un délire essentiellement persécutif.

 

« Le délire familial n’est pas une simple juxtaposition de délires séparés, survenant par coïncidence dans une même maison, mais c’est un trouble groupal. Il existe toujours, dans une famille délirante, un sujet dominateur, plus intelligent, le persécuté actif. Ainsi le père ou la mère ou les deux parents ensemble peuvent entraîner, par l’énergie du caractère, les enfants, dociles "suggestionnables", faibles de volonté, à un délire commun. Néanmoins, les enfants devenus adultes, plus persuasifs, plus « intelligents » peuvent à leur tour convertir leurs parents à une idée délirante. Les parents jouent alors le rôle de persécutés passifs.

 

« Incontestable progrès dans l’histoire de la psychopathologie, la théorie de Lasègue et Falret observe, décrit et théorise un trouble psychique familial comme un phénomène communicationnel et relationnel pathologique. La famille joue le rôle de locus nascendi du délire. Un siècle plus tard, l’école de Palo Alto et l’anti-psychiatrie de Laing s’en inspireront.

 

« Au-delà des frontières de la France, les concepts de « folie-à-deux », « délire-à-deux » et « folie communiquée » inspireront des nouvelles hypothèses cliniques :

 

« Les « mythes familiaux », constructions fantasmatiques défensives qui naissent et grandissent dans l’intimité du foyer, selon l’école de Palo Alto (Watzlawick et Weakland).

 

« Le « scénario familial », incarnation des projections parentales induites aux enfants par une suggestion hypnotique familiale pathogène qui refoule et frustre les potentialités en devenir, selon l’antipsychiatrie de Ronald D. Laing (Laing :101-104).

 

« Que reste-t-il alors, des hypothèses de Legrand de Saulle et de Lasègue et Falret ? La lecture des récits cliniques contemporains sur des délires intergénérationnels semble indiquer la persistance, plus d’un siècle après Legrand de Saulle d’une mythologie persécutoire, clef de voûte de son édifice théorique.

 

« Quand parents et enfants délirent ensemble, le couple d’opposés « nous-eux », la dichotomie manichéenne creusant un gouffre infranchissable entre « notre foyer » et le « monde » continue à habiter la scène du délire. Le monde y est perçu comme hostile, agressif, malfaisant, impur, meurtrier, corrompu, lubrique. La théorie délirante conspirationniste empruntant son vocabulaire et ses objets à la culture de son temps, continue à souder parents et enfants autour d’un mythe familial délirant, ultime explication du malheur du foyer. » 

 

 

L’enfant-symptôme ou le patient désigné, comme révélateur d’une psychopathologie familiale

 

Parallèlement à l’aliénation familiale, l’enfant est parfois désigné comme le symptôme, vecteur de la pathologie du groupe familial et révélateur d’un dysfonctionnement systémique. Le « patient désigné » résulte d'un processus transgénérationnel inhérent à des transactions psychopathologiques, avec des modifications des frontières générationnelles, des coalitions particulières, voire malsaines, des conflits interpersonnels et des troubles de la communication, où l'enfant est pris comme « représentant » psychique du symptôme de sa famille.

 

Dans ce contexte familial, l’enfant subit des influences psychopathologiques et doit supporter les crises successives. Les troubles (anxiété dépressive, angoisses, délire, hallucination idéation suicidaire, passages à l’acte, etc.) sont souvent anxiogènes et induisent un stress émotionnel considérable. La maladie mentale d’un parent est extrêmement envahissante. Elle peut « contaminer » psychiquement le mode de penser, la communication et les réactions de son entourage. À ce propos, différentes théories psychanalytiques et systémiques coexistent. Elles tentent d’expliquer et de comprendre l’incidence des transactions psychopathologiques sur le développement psychique de l’enfant.

 

En 1877, J.P. Farel publie une étude sur la « folie à deux », un premier travail clinique soulignant le rôle de l’interaction dans l’organisation des troubles mentaux. En 1905, le docteur Pratt, travaillant dans un sanatorium, faute de temps et de personnel, en vient à régler des problèmes de tensions relationnelles en réunissant les malades par petits groupes. Grâce à ce procédé d’interactions, il obtient des succès qui l’étonnent. En 1909, S. Freud décrit une psychothérapie avec implication familiale dans le traitement d’une phobie chez un enfant de 5 ans qu’il ne voit qu’une seule fois (le cas du « Petit Hans »). C’est en fait le père de Hans qui est chargé de rapporter du matériel clinique à Freud et de donner des interprétations à son fils pour le  « soigner ».

 

À la suite des recherches de Freud sur le conflit oedipien et la névrose infantile, des psychanalystes français publient des travaux où sont privilégiés les fantasmes qui circulent dans le groupe familial. En 1936, R. Laforgue décrit son concept de « névrose familiale » où apparaît le rôle central de l’identification aux parents dans la constitution du sujet, le complexe d’oedipe étant considéré comme complexe nucléaire de la névrose et l’importance que prend dans la formation de l’oedipe la relation des parents entre eux,... Laforgue insiste en particulier sur l’influence pathologique d’un couple parental, constitué en fonction d’une certaine complémentarité névrotique ou perverse (exemple du couple sado-masochiste), sur le développement de la personnalité de l’enfant. En 1936, J. Leuba s’intéresse également à l’étude des familles névrotiques, et en particulier aux modes de transmission d’une génération à une autre de tel ou tel type de névrose. En 1937, N. Ackerman (USA), véritable pionnier dans la pratique des thérapies familiales, émet plusieurs principes de base : aider la famille à définir plus clairement la teneur exacte des conflits, contrecarrer les déplacements injustifiés de conflits, reporter les conflits interpersonnels afin de les traiter plus efficacement,...

 

En 1942, T. et R. Lidz écrivent : « Le conflit intérieur auquel le patient est confronté, avec des sentiments ambivalents concernant un parent ou les deux, les loyautés divisées, les identifications instables, l’incorporation de l’hostilité dirigée vers l’un ou l’autre parent, tout cela est souvent dû aux influences des deux parents ».

 

Pour T. Parson, dans les familles de schizophrènes, il existe soit un schisme conjugal, soit une distorsion conjugale, où chaque partenaire sape l’action et l’autorité de l’autre en rivalisant pour obtenir la loyauté de l’enfant. Les frontières générationnelles et sexuelles sont détruites, provoquant des liens chargés de connotations incestueuses et homosexuelles. La présence d’un enfant perturbe encore plus l’homéostasie et les transactions intrafamiliales.

 

L. Wynne décrit des relations de « pseudo-mutualité » et de « pseudo-hostilité » dans des structures familiales rigidifiées et immuables. Dans ce climat d’aide ou d’opposition apparentes, les limites du champ familial s’étirent et se rétractent comme « une barrière de caoutchouc » que nul ne peut jamais franchir.

 

M. Bowen utilise l’expression « masse de moi familial indifférencié » pour qualifier certaines familles particulièrement intriquées émotionnellement. De même, il émet l’hypothèse qu’il faut trois générations pour produire un schizophrène. Pour la première fois, il décrit la triangulation, situation où une personne se trouve en position de « paratonnerre » vis-à-vis des deux autres, coalisés contre elle. Le conflit qui opposait ces deux personnes est ainsi canalisé pour un temps variable sur un tiers; au-delà d’un seuil de tolérance, ce dernier présente alors des symptômes.

 

Pour I. Boszomenyi-Nagy, il existe un véritable « registre », livre des comptes transgénérationnels d’obligations et de mérites, qui permet l’équilibration des « legs » au sein de la famille. Autrement dit, le sujet (l’enfant en particulier) est endetté d’une dette de vie qu’il doit à ses propres parents. En fonction de la qualité des transactions intrafamiliales, s’il ne développe pas une maladie mentale, il doit au moins rendre des comptes. Boszomenyi-Nagy introduit également le concept d’équité et d’éthique relationnelle comme fondements à la thérapie dite « relationnelle ». 

 

Pour P. C. Racamier, le paradoxe est une non-reconnaissance de l’activité propre du Moi du sujet, l’enfant en particulier, qui se retrouve en quelque sorte accablé d’une dette (de vie) qu’il est incapable de rembourser, parce qu’il est notamment incapable de jouer le rôle qu’on lui assigne autrement qu’au détriment de sa santé mentale. « Dans sa version maligne », ce processus pathologique rend fou celui qu’il vise, qui devient insidieusement incapable de répondre, tant sur le plan mental qu’au niveau affectif. Il est ainsi chosifié par son propre système familial, comme phagocyté psychiquement. Le paradoxe essentiel consiste en ce qu’objet, sujet ou relation n’existent qu’en n’existant pas.

 

S. Lebovici insiste sur l’histoire familiale d’une névrose ou d’une psychose. Le père et la mère interviennent intimement comme « objets » dans le déroulement du drame oedipien et/ou sa non résolution et influencent ainsi psychiquement la constitution de la personnalité de l’enfant. En observant la mère du psychotique, il relève son influence « schizophrénogène », dans le sens où elle manifeste une présence excessive à tous les niveaux (très fusionnelle) à travers laquelle elle ne permet pas à son enfant de s’individuer (de se détacher d’elle); elle est parfois aussi décrite comme une « perverse ». Ensuite, c’est le père du psychotique qui est décrit comme absent, carrent, inefficace. Mais devant l’absence d’altération individuelle statistiquement évidente, ces notions sont délaissées et c’est l’ensemble de la dynamique familiale qui est finalement prise en considération. 

 

info psy.be -  Psychologue, Psychologue clinicien(ne), Psychothérapeute, Coach, Sexologue, Praticien(ne) bien-être

info psy.be

Avenue Oscar de Burbure, 151 - 1950 Kraainem
Articles publiés : 477