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Les enfants de parents malades mentaux

Le « double-lien », les troubles de la communication, le déséquilibre systémique et l’inversion des rôles

 

En 1956 et après des années de recherche, G. Bateson (anthropologue d’origine anglaise) publie, avec son équipe de Palo Alto, la théorie du double lien (double bind). Cette théorie du double lien ou de la double contrainte correspond (en résumé) à un système pathologique de relations familiales dans lequel s'émettent des messages contradictoires. Dans telle situation, l’enfant est « victime » d’un message contradictoire à deux niveaux d’abstraction différents, qu’il ne peut briser, car ils sont coiffés d’une troisième injonction négative à un niveau encore supérieur aux deux précédents. En 1964, cependant, Bateson élargit ce concept en admettant que cette description de type bourreau-victime doit être transposée dans l’ensemble du contexte familial; d’autant que, à son tour, l’enfant va émettre des messages paradoxaux par identification anxieuse à l’émetteur. 

 

Certains auteurs voient dans le double lien un facteur étiologique de la psychose, d’autres, de l’ensemble de la pathologie mentale; d’autres encore admettent que ce mode relationnel existe mais qu’il n’est cependant pas plus répandu dans les « familles pathologiques » que dans les « familles normales ». Quoi qu’il en soit, la description de ce type de dysfonctionnement a été un point de départ important à de nombreux travaux portant sur les troubles de la communication dans les systèmes familiaux.

 

Les écrits du linguiste R. Jakobson peuvent également être considérés comme étant à l’origine de ces recherches, en particulier ceux figurant dans Linguistique et théorie de la communication. Il accorde une grande importance à la présence physique du récepteur et pense qu’il y a sans aucun doute feed-back entre la parole et l’écoute mais (que) la hiérarchie des deux processus s’inverse quand on passe de l’encodeur au décodeur (...); ces deux aspects distincts du langage (...) doivent être regardés comme complémentaires. Il note également que le sens que prendra un message sera lié de façon importante au contexte dans lequel il devra être intégré.

 

En 1954, D.D. Jakson, lui aussi membre de l’équipe de Pao Alto, définit la famille comme un système homéostatique, c’est-à-dire comme un système toujours en équilibre interne grâce à des phénomènes de rétroactions négatives. La famille paraît comme un système ouvert où tous les membres sont en interrelation constante mais aussi en relation avec l'extérieur. L'homéostasie est une régulation qui permet au système de préserver son équilibre, sa survie dans un environnement qui change. Jackson s'est aperçu au cours de psychothérapies individuelles que si l'état d'un malade dans la famille s'améliorait, cela avait des répercutions sur l'état général de la famille, sur l’homéostasie familiale, et induisait des changements tant au niveau des autres membres de la famille qu’au niveau des interactions familiales. Il postule alors que c’est le groupe familial qu’il faut prendre en thérapie. Plus tard, il sera de ceux qui « prescrivent le symptôme », suggérant par exemple à des patients paranoïaques d’être plus méfiants. Ces pratiques ont d’abord été plus intuitives qu’élaborées, ne reposant sur aucune base théorique solide. Ce n’est qu’ultérieurement que l’école de Pao Alto puis celle de Milan sauront leur trouver des supports conceptuels.

 

En 1959, J. Haley (cosignataire de la publication princeps sur le double lien) propose une mise en modèle des règles de dysfonctionnement des familles de schizophrènes. Il observe que chaque membre marque une discordance entre ce qu’il dit et la façon dont il le dit : chacun disqualifie ce que dit l’autre, qui n’aurait pas dû être dit, en tout cas pas de cette façon là,... situation qui amène beaucoup de confusion au sein des transactions et de la distorsion dans la communication. Il constate qu’aucune autorité n’est définie à l’égard des actes et des responsabilités familiales et qu’aucune alliance claire n’est admise, entraînant la confusion des rôles et des statuts de chacun.

 

 

Les efforts pour rendre l’autre fou

 

La famille, dans sa principale fonction psychologique, occupe une place prépondérante dans les processus psychiques et psychopathologiques de ses membres. Aire transitionnelle, ou microcosme social, la famille est le lieu naturel et culturel où l'enfant paraît. Nouée à un axe transgénérationnel et intergénérationnel, et structurée selon des lois, règles et frontières, elle est le point d'ancrage où convergent l'intrapsychique (l'inconscient et l'archaïque), l'individuel (le psychologique et l'interrelationnel) et le collectif (la Société, son histoire et sa culture). Avec une homéostasie parfois oscillante, instable ou carrément perturbée, la famille est le véhicule de mythes transgénérationnels où peuvent venir se greffer tant les pathologies individuelles que les troubles du lien. Lien de sang, lien de vie, d'amour, de haine, ou de folie,... la constitution d'une famille est une opération qui comporte certains risques.

 

Intergénérationnelles ou transgénérationnelles, les transactions correspondent à des types particuliers d'interactions entre membres d'une même constellation familiale. Ces transactions sont symptomatiques lorsqu'elles renvoient à des manifestations psychopathologiques à différents niveaux du système familial. Schizophréniques, délictueuses, délirantes, sado-masochiques ou incestueuses, les transactions symptomatiques se développent différemment en termes de forme, de gravité et d'étiologie. Dans une famille à transactions psychopathologiques, apparaissent des confusions de rôles, de générations, liées à l'existence de triangles pervers et de conduites abusives ou aberrantes. L'enfant ou l'adolescent, objet de ces transactions, doit jouer simultanément des rôles normalement antinomiques: soutenant, thérapeute et enfant d'un de ses parents, ou parfois parent du parent qui est moins perturbé. Ces transactions impliquent également une distorsion des paramètres temporels puisque le temps générationnel est à la fois suspendu et accéléré. Suivant le principe de la parentification, l'enfant est poussé vers des transactions complexes supérieures à son âge, ce qui fait accélérer le temps. Mais en revanche, la nature de ces relations est si accablante qu'elle empêche le progrès de certains aspects importants du développement de la personnalité. Une fois acteur d'interactions psychopathologiques, l'enfant devient alors le « patient désigné » de son propre système familial et le pivot autour duquel circulent ces transactions particulières.

 

Suivant les théories systémiques, une dynamique familiale psychopathologique repose essentiellement sur l'existence d'un sujet-objet, symptôme  d'un trouble du système familial. À l'intérieur de son système, l'enfant semble désigné comme tel. Il devient hypersensible à la complexité des interrelations aliénantes, parfois abusives, qui le font réagir sur un mode pathologique dans une espèce de huis clos infernal. Manifestant des troubles intrapsychiques ou relationnels, l'enfant est alors l'enjeu d'un système familial particulier, organisé autour de transactions psychopathologiques, violentes, perverses ou incestueuses (délire, intrusion, symbiose et possession). L'excitation répétitive (interaction pathogène) de son psychisme peut aboutir chez l'enfant au sentiment d'être dépossédé de son propre contrôle sur lui-même et de ses propres désirs. Dans un système psychopathologique, ce qui est "loi" hors de la famille ne l'est pas à l'intérieur. Des règles souvent secrètes, délirantes ou inconscientes, organisent les transactions intrafamiliales. Ces lois internes sont mises à mal dès lors que la famille est confrontée avec la réalité socioculturelle extérieure, ou lorsque la rigidification de ces transactions produit des symptômes visibles à l'extérieur. 

 

Ces règles non dites (hors langage) sont d'autant plus incrustées et efficaces, qu'elles ne sont pas repérées et donc impossibles à remettre en question. Par ailleurs, une famille qui organise le fonctionnement psychique de ses membres, à partir de règles absolutistes, délirantes ou perverses, se laisse rarement pénétrer par les lois qui régissent la Société. Dès lors, le système familial, structure et sécrète sa propre pathologie, et les souffrances individuelles qui en découlent.

 

Selon Searles (L'effort pour rendre l'autre fou, 1977), un des moyens pour rendre l'autre fou peut consister à provoquer des stimulations pulsionnelles, des excitations sexuelles par exemple, à peine contrôlables par l'autre; lesquelles jouent un rôle important dans le traumatisme et les séductions d'enfant par les adultes, jusqu'à induire chez l'enfant la confusion psychique et des sentiments internes d'impuissance et de culpabilité, et ensuite de colère. Ces moyens stratégiques risquent " de saper la confiance de l'autre dans la fiabilité de ses propres réactions affectives, ou encore dans la fiabilité de ses propres perceptions de la réalité extérieure ". Ces interactions pathogènes empêchent celui qui en est victime d'y faire face," surtout si elles sont répétées régulièrement auprès d'un sujet qui ne peut s'en protéger en recourant à des tiers ".

 

 

Maladie mentale et maltraitance intrafamiliale

 

La maladie mentale des parents est souvent considérée comme facteur prédictif de risque de maltraitance envers les enfants. Dès lors que la personnalité d’un parent est organisée de manière psychotique, dans la sphère paranoïaque en particulier, le délire de persécution est souvent à l’origine des mauvais traitements. Ainsi dans Vipère au poing d’Hervé Bazin, Jean Rezeau, dit Brasse-Bouillon décrit ses rapports avec sa famille, et notamment sa mère, dite Folcoche, une véritable marâtre sadique. Détesté par sa mère, le second fils de la famille subit le harcèlement et les sévices d’une mère qui le considère comme son véritable objet persécuteur. Ce huis clos infernal entre la mère indigne, les trois enfants martyrisés, le père démissionnaire et un précepteur changeant, nous livre tous les ingrédients d’une famille à transactions psychopathologiques où l’enfant devient le bouc émissaire persécuté d’une mère gravement perturbée et persécutrice. Paule Pluvignec, mariée à Jacques Rézeau, surnommée « Folcoche » par Fréddie, est une mère malade mentale détestée par ses enfants. Cette femme est la fille d’un sénateur parisien qui lui a imposé un mariage avec une famille bourgeoise ancienne et respectée : les Rézeau. En plus de sa cruauté, Folcoche (folle-cochonne) est décrite comme plutôt sale et terriblement avare. Elle a les cheveux secs et le menton en galoche. Elle a une passion pour les timbres et les clefs, qu'elle enferme soigneusement dans une armoire dont la "clef principale" ne quitte pas son "entre-sein".

 

Dans ce registre des mauvais traitements des enfants, le syndrome de « Münchausen par procuration » est l’exemple le plus connu de maltraitance spécifiquement liée à un trouble mental ou à un dysfonctionnement important de la personnalité de la mère. Sorte de mythomanie médicale itinérante, le syndrome de Münchausen par procuration correspond à une forme excentrique et particulière de mauvais traitement physique envers l’enfant. Ce trouble bizarre est difficile à détecter pour différentes raisons, dans la mesure où les praticiens sont intrigués et attirés par la symptomatologie de l’enfant qu’ils tentent de soigner en priorité, dans un contexte où les inquiétudes de la mère semblent légitimes et son attitude de "compliance" rassurante. 

 

Les tableaux cliniques de ce syndrome sont très variés et complexes à diagnostiquer. Les enfants victimes ont moins de six ans et présentent une large palette de troubles associés (saignements, fièvres, dépression du système nerveux central, convulsions, diarrhées, vomissements, etc.). L’auteur des sévices est souvent la mère qui invente ou provoque chez son enfant des symptômes qui amènent les praticiens à s’inquiéter, à investiguer et à prodiguer des traitements. Ces soins sont d’autant plus inutiles qu’ils sont basés sur des symptômes parfois inexpliqués, induits et entretenus par les manipulations de la mère. Les traitements sont inopérants, mal tolérés, périlleux et l’enfant continue à souffrir. Les symptômes ne sont souvent actifs qu’en présence de la mère, laquelle évite de laisser son enfant seul entre les mains des médecins ou des soignants. L’acharnement et la présence de la mère auprès de son enfant sont exemplaires de son dévouement, voire de son sacrifice. Tout l’accable et rien ne l’accuse. 

 

Le comportement maternel est singulier et spécifique. En générale, la majorité de ces mères restent très attentives à leurs enfants, passant de longs moments dans leur chambre d’hôpital et ne s’autorisant que très peu de sorties. Celles qui établissent de bons contacts avec le corps médical et satisfaites des soins prodigués paraissent heureuses de la prolongation du séjour de leur enfant. Même si elles sont issues de classes sociales défavorisées, la plupart ont effectué des études d’infirmière ou paramédicales et démontrent une certaine fascination pour la médecine. Certaines rivalisent avec les plus éminents praticiens comme pour régler des comptes personnels. La pathologie de l’enfant valorise la fonction soignante de la mère. L’enfant sert de palliatif à ses nombreuses carences, notamment celles liées à la maternité, la parentalité, la sexualité et à la conjugalité. Quant aux pères, ils sont quasi absents, ne se manifestent pas auprès de leur enfant ou se présentent comme inférieurs à leur conjointe tant sur le plan intellectuel que social.

 

En fonction de leurs attitudes particulièrement psychopathologiques, il est possible de distinguer plusieurs types de mères Münchausen, des plus dangereuses et malsaines, aux plus sournoises et calculatrices, en passant par les plus « délirantes ». L’expérience clinique suggère au moins trois sous groupes de mères (Thibaut, 1996):

 

(a) Quasi frénétiques et insensées, les mères active inducers , qui mettent concrètement la vie de leur bébé en danger. Très perturbées elles-mêmes, ces mères provoquent de graves désordres physiologiques et psychologiques chez leur enfant. Elles souffrent de troubles dissociatifs et apparaissent comme étranges et non concernées par la gravité du diagnostic. Elles s’identifient peu à la souffrance de leur bébé. L’enfant symbolise inconsciemment un objet-fétiche, prétexte à l’établissement d’une relation transférentielle de type sado-masochiste avec le corps médical.

 

(b) Les mères doctor addicts  convaincues et convaincantes qui ne peuvent se passer du corps médical pour leur enfant et qui tentent de rallier à leur cause les médecins. De manière obsessionnelle, elles projettent sur l’enfant une espèce de maladie imaginaire, leur propre hypocondrie, qu’elles tentent de faire confirmer par des spécialistes. Elles dénient connaître l’origine des symptômes présentés par leur enfant. Elles changent facilement de praticiens ou de lieux de consultation. En relation avec cette permanence de la symptomatologie qu’elles s’évertuent à entretenir chez leur enfant, elles pratiquent un véritable shopping médical ou de l’errance hospitalière. Prolongeant cette tendance à l’hypocondrie et totalement aliénés au fonctionnement psychique maternel, les enfants plus âgés adhèrent aux allégations de leur mère.

 

(c) Les mères help seeckers qui amplifient et entretiennent les symptômes de leur enfant. Presque par exhibitionnisme ou pour se rassurer qu’elles sont de bonnes mères, elles montrent l’enfant à répétition à plusieurs praticiens qui ne communiquent pas entre eux mais qui confirment leurs inquiétudes. Anxieuses et dépressives, ces mères expriment les sentiments de ne pas répondre aux besoins de l’enfant et acceptent facilement l’assistance médicale. Une fois diagnostiquée, la pathologie de l’enfant exprime symboliquement leur propre malaise relationnel. À travers les traitements qu’elles mettent en pratique, elles bénéficient ainsi de l’approbation et/ou de la reconnaissance du corps médical.

 

Plus ou moins sévères, les troubles psychologiques présentés par ces mères sont peu accessibles à une psychothérapie traditionnelle. Elles sont non seulement dangereuses pour la santé de leur enfant, mais tout aussi toxiques d’un point de vue relationnel, et compromettent largement le développement psychoaffectif de leur « victime ». L’enfant est en quelque sorte le « cobaye » sur lequel elles projettent leur délire et leurs frustrations. L’enfant victime de ce syndrome a surtout besoin d’être protégé d’une telle emprise, au même titre que les enfants victimes de mauvais traitements plus classiques. Quelques pathologies psychiatriques (schizophrénie avec hallucinations, psychose paranoïaque avec délire de persécution, hypocondrie) sont rapportées en relation avec ce syndrome.


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