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Processus de deuil et enfance
« Une troisième année vient de s’écouler et ton chagrin n’a rien perdu de sa prime virulence, il reprend vie et vigueur chaque jour et le temps l’a comme légitimé : il en est arrivé à trouver honteux de cesser. Tous les défauts s’incrustent si on ne les étouffe pas dès leur apparition; de même, cet état de douloureuse mélancolie qui s’inflige les pires sévices, finit par se nourrir de sa propre amertume et la souffrance d’une âme malheureuse se mue en plaisir malsain. »
Sénèque, Consolation à Marcia
Introduction : le deuil, un concept universel
Concept universel et patrimoine commun de toute l’humanité, le deuil concerne tous les êtres humains, de tous les âges, issus de toutes les cultures et appartenants à toutes les catégories sociales. Le deuil, comme la mort est universel. Aucune société n’est parvenue à s’affranchir du fait que la mort est obligatoire pour tout être vivant, que le processus destructeur est intimement lié à la vie et qu’il en est aussi constitutif. Même dans nos sociétés post modernes urbanisées qui ont presque évacué les rituels funéraires, certains comportements, certaines démarches ou habitudes se retrouvent quasi naturellement chez les endeuillés, les enfants en particuliers. Le caractère universel du deuil n’est pas sans rapport avec la souffrance psychique. La souffrance reliée au processus de deuil est toute relative et certainement fonction de l’importance de l’attachement. La pénibilité et la douleur du deuil correspondent à un vécu émotionnel simplement signifié par la peine, l’affliction, le chagrin, les inhibitions et/ou les restrictions que l’endeuillé s’impose ou qui lui sont imposées par son état psychologique.
Malgré son universalité et contrairement à sa reconnaissance sociétale coutumière, les sentiments de deuil ne sont pas toujours manifestés, reconnus ou exprimés. Certains individus ne présentent pas ou semblent ne pas présenter des réactions de deuil. Faisant ainsi l’exception pour certains sujets, le processus de deuil n’est pas toujours nécessaire, voire absent de leur économie psychique. En faisant abstraction de la peine ou en refusant le deuil, probablement pour échapper à la douleur psychique, ces individus renoncent ou n’accèdent pas à une grande partie de leur être profond.
Et pourtant, le deuil est nécessaire à la fois pour pouvoir continuer de vivre, pour se séparer de l’être perdu ou aimé, tout en conservant des liens différents avec lui et enfin, pour retrouver sa liberté de fonctionnement psychique (Hanus, 2003). Tenter inconsciemment d’y échapper revient à s’engager sur la voie de complications diverses, voire psychopathologiques. Bien que toujours pénible et douloureux, le travail de deuil est non seulement nécessaire mais il est presque obligatoire pour le bien-être du psychisme humain. Universel, nécessaire, douloureux et exigeant, le travail de deuil s’inscrit dans la durée.
Toute société plus ou moins structurée, de la plus archaïque à la plus sophistiquée, en passant par les plus spirituelles ou les plus codifiées, a élaboré des règles et des rites faisant du deuil la pierre d’angle entre la vie et la mort, entre la fusion et la séparation, entre l’amour et la perte, entre Eros et Thanatos, entre la perte et l’attachement, entre la destruction et la construction. Chez l’être humain, le rapport dialectique entre le concept de « deuil » et celui de « mort » relève d’une totale ambiguïté qui implique une aspiration inconsciente d’immortalité et de déni, et une confrontation consciente à une réalité triviale, inéluctable et irréversible.
Le deuil est bien l’affaire de tout le monde, adultes et enfants. Au détour d’une ruelle, qui n’a pas croisé le visage angoissé d’un être aimé disparu? Toutes ces histoires de fantômes ou de spiritisme, sont-elles des tentatives de compréhension de la mort ou des fictions hallucinatoires pour les vivants qui cherchent à renouer avec les disparus? Comme cet enfant qui demande en voyant sa soeur sur son lit de mort comment elle sera lorsqu’elle sera grande. Ou encore, cette histoire de Freud à propos de ce garçon de dix ans dont il rapporte les propos : « ..., je comprends bien que mon père est mort, mais je ne peux pas comprendre pourquoi il ne rentre pas dîner ». La mort est une énigme que le processus de deuil tente de résoudre par un questionnement et une mise à l’épreuve psychique. Dans les situations de deuil compliqués ou pathologiques, comment l’endeuillé peut-il se protéger contre sa propre destruction? L’endeuillé et la mort font parfois des parties de cache-cache interminables qui fabriquent le délire des mélancoliques, la souffrance du déprimé ou l’acting out du suicidaire. Comment dès lors soutenir une personne, un enfant en particulier, frappé par la mort d’un proche?
Même si elle est comprise de manière différente selon les cultures et les religions, la mort signifie la disparition d’un être et sa perte dans le monde des vivants. La mort initie un travail de deuil qui réactive des conséquences associées à la perte et à la séparation. A toutes les époques de son évolution, l’homme a toujours été intrigué par la mort et la perte des êtres qui l’entourent. De nombreux penseurs ont essayé de comprendre le processus de deuil et la manière dont l’être se répare psychiquement après une perte. Dans l’Antiquité, les exhortations à la maîtrise de soi, les consolations en cas de deuil et autres circonstances malheureuses s’intègrent aux condoléances. Ainsi, dans ses Consolations, Sénèque pense qu’il est « conforme à la Nature de regretter d’avoir perdu les siens,... aussi longtemps que ce regret est mesuré. » (...) que « la séparation, et pas seulement la perte d’êtres très chers, fait inévitablement mal et serre les coeurs, même les plus endurcis. Mais il s’agit davantage de notre imagination que des prescriptions de la Nature. (...) La pauvreté, le chagrin occasionné par le deuil, le mépris, chacun les éprouve diversement, selon qu’il est plus ou moins corrompu par les habitudes et selon que le rend plus ou moins faible et sans courage l’opinion terrifiante qu’il se fait de choses qui ne sont pas terrifiantes. »
Dans les communautés traditionnelles où la famille édicte encore ses règles, la mort est souvent considérée comme un « épisode » qu’il convient de célébrer suivant des rites de passage qu’on ne discute pas parce qu’ils sont immuables et inscrits aux confins de la Civilisation. Dans d’autres sociétés, la mort est devenue un tabou, une source d’embarras et d’angoisse. Elle est mise à l’écart de l’existence des vivants, soit parce qu’elle présuppose une trop grande souffrance, soit parce qu’elle renvoie l’homme à sa grande impuissance, ou encore qu’elle relève d’un mystère absolu ou inaccessible.
Dans nos mégalopoles déshumanisées et bruyantes, la famille est devenue nucléaire et la mort des personnes âgées est reléguées à une quasi clandestinité ou indifférence. Mourrir seul dans un lit d’hôpital est devenu la commune mesure. Les endeuillés se font discrets et le deuil n’est plus « porté ». Lorsque la mort frappe une famille, les cérémonies sont limitées et on ne sait plus comment en parler aux enfants. Les adultes semblent l’ignorer, mais les enfants sans pour autant la conceptualiser, sont capables d’intégrer de manière très précoce la signification profonde (et pourquoi pas inconsciente) de la mort et de ressentir intelligemment les effets de la disparition d’une figure habituelle. Tellement préoccupés par des difficultés qui nous éloignent de la quintessence de l’existence, sommes nous devenus des êtres désaffectisés et indifférents à nos propres émotions? Pourtant aujourd’hui, la mort n’a pas moins de retentissements émotionnels sur nos affects. Beaucoup moins ritualisée, et parfois même scotomisée de la réalité, la mort participe des secrets de famille et des non dits pesants que les enfants doivent aussi intégrer à leur existence, comme des nouveaux mythes, et qu’ils devront aussi transmettre aux générations futures.
Selon les circonstances et les processus défensifs du sujet humain, la perte, la séparation et le deuil impliquent aussi des troubles plus ou moins psychopathologiques. Dans Deuil et mélancolie, Freud (1917) conçoit les fondements de la théorie psychanalytique concernant la séparation, la perte et les mouvements psychopathologiques qui en découlent. Le désir naît de l’absence. Du fait de la séparation, le nourrisson intègre la présence de sa mère dans une relation liée au manque et à la perte de l’objet aimé. Le rôle créateur du désir et de sa représentation fondent la vie psychique. A l’origine du désir et du rapport au manque, toute élaboration psychique procède d’un travail de deuil. Sans perte, ou plutôt sans renonciation à la mère psychique archaïque toute puissante, sans renonciation à sa propre toute puissance infantile (narcissisme primaire), il ne peut y avoir de développement de la vie psychique personnelle . La naissance de la vie psychique dépend ainsi des expériences existentielles précoces, bonnes ou mauvaises, que l’être humain doit affronter à partir du moment où il vient au monde.
Dès les années soixante, les travaux de Bowlby attirent aussi l’attention sur l’importance de la compréhension du travail de deuil et les effets de la séparation et de la perte chez le très jeune enfant et chez tous les êtres humains. Très vulnérable et peu compétent, le jeune enfant a besoin de l’autre pour survivre. Les soins d’élevage prodigués par la mère sont essentiels à son développement,... tissent pour lui ses premiers liens d’attachement et alimentent son « patrimoine » intrapsychique. L’attachement offre des sentiments de sécurité affective et de continuité dans les relations. Lorsque cette «reliance» vient faire défaut, la rupture des liens d’attachement par exemple, l’enfant subit une perte, notion plus large et moins spécifique que celle de séparation. Cette coupure du lien implique des sentiments d’angoisse, de culpabilité et de doute qui vont interférer dans la manière dont l’enfant va se (re)créer de nouveaux investissements (libidinaux) et affectifs (relationnels).
L’énigme que la mort impose à l’homme n’est pas comprise de la même manière par les enfants (qui se façonnent psychiquement) et les adolescents (qui peaufinent leur travail de structuration psychique et d’identification). Selon l’âge, leur degré de maturité psychique, leur niveau d’intelligence émotionnelle et la qualité affective des liens qui les entourent, nous retrouvons chez eux des spécificités qui soulignent la différence dans la manière dont ils appréhendent le monde, perçoivent la mort, élaborent des représentations symboliques et parviennent à faire un travail de deuil à part entière.
Définition psychanalytique du deuil
Le deuil est une situation de perte importante dans la quelle nous plonge la disparition d’un être cher, d’une personne aimée.
Suivant le paradigme psychanalytique, le deuil se définit comme un état de perte d’un être cher s’accompagnant de détresse et de douleur morale, pouvant entraîner une véritable réaction dépressive et nécessitant un traitement intrapsychique, dit « travail de deuil » pour être surmonté .
S. Freud entreprend en 1915 une étude comparée du deuil et du processus mélancolique (Deuil et mélancolie, 1917). Freud (1915) y définit le deuil comme « ..., la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. ». Devant la reconnaissance de la disparition de l’objet externe, le sujet doit accomplir un certain travail, le travail de deuil. La libido doit se détacher des souvenirs et des espoirs qui la reliaient à l’objet disparu, après quoi le Moi redevient libre. Dans son ouvrage Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs (1940) M. Klein, aidée des travaux de K. Abraham, va enrichir la conception freudienne par sa découverte des espaces psychiques internes, théâtre de l’existence d’objets internes dont les qualités de bonté et de solidité sont mises à l’épreuve lors de la perte d’un objet externe.
Un travail de deuil douloureux et normal est déjà accompli par le tout petit enfant qui parvient à aborder et à élaborer les positions dépressives. Au cours de celles-ci, l’enfant prend conscience que la personne qu’il aime et celle qu’il a attaquée dans ses fantasmes destructeurs ne font qu’une. Il passe alors par une phase de deuil où l’objet externe aussi bien que l’objet interne sont vécus comme abîmés, perdus, abandonnant l’enfant à sa dépression. Ce n’est que peu à peu, avec douleur, que l’enfant, travaillant cette ambivalence et poussé par la culpabilité dépressive, va parvenir à rétablir en lui un objet interne bon et sécurisant.
Une personne en deuil cherche, selon un processus semblable, à réinstaller en elle-même ses bons sujets, ses parents aimés. Elle retrouve alors sa confiance en l’être aimé à l’intérieur d’elle et peut supporter, grâce à cette présence interne, l’idée que l’être externe et disparu n’était pas parfait. A contrario, l’échec de ce travail de deuil, lié aux états mélancoliques ou maniaco-dépressifs, transforme, selon M. Klein, « le mort en un persécuteur et ébranle ainsi la foi du sujet dans ses bons objets intérieurs. ».
Le deuil est donc une notion complexe, riche de plusieurs sens. Sa signification se relie directement aux expressions « être en deuil », « porter le deuil », « faire son deuil ».
La crise du deuil, comme une régression narcissique agissant sur la réalité
La crise du deuil produit une régression narcissique du sujet et ébranle chez lui le sens de la réalité. Cette crise révèle aussi la dimension narcissique des investissements objectaux, de la qualité des liens d’attachement et des capacités réparatrices du psychisme humain en relation avec la perte et l’objet perdu. Dans le deuil, il y a toujours l’objet perdu et « ce qui est perdu », à savoir l’investissement narcissique dans l’objet.
La douleur qui est restée longtemps pour Freud « l’énigme du deuil » trouve sans doute dans cette atteinte narcissique un de ses fondements. Et comme l’indique Hanus (2003 : 35-36), « ..., si une partie du narcissisme disparaît avec lui, la plus grande partie en est désinvestie et revient dans le moi tandis que les modalités de l’investissement de l’objet sont modifiées,... sans doute faudrait-il, pour la compréhension du traumatisme, privilégier à côté de son caractère de surcharge d’excitations, le fait qu’il met celui qui y est soumis dans une situation de passivité. Il en est ainsi du deuil : nous sommes frappés par un deuil, nous sommes frappés par une perte. Alors le travail de deuil est la reprise active sur le plan psychique de ce choc, de cet ébranlement : en acceptant les nécessités et les limites de la réalité, les régressions s’épuisent, le sens de la réalité l’emporte et les modalités narcissiques des investissements se modifient, le narcissisme tout puissant, archaïque, primaire recule devant la confrontation avec sa propre mort ».
« Etre en deuil »
Le deuil implique un objet perdu dont la nature est variable selon les circonstances : une personne, un animal, un objet réel, une valeur, une activité, une partie anatomique, une relation, ... mais également des liens qui nous unissaient avec l’être perdu à jamais,... liens d’affection, liens d’amour qui demeurent souvent ambivalents et complexes au-delà de sa disparition. Le deuil signifie qu’il existe et persiste un lien d’attachement suffisant entre la personne disparue et celle qui reste. Nous sommes endeuillés parce que l’être perdu représente de la valeur à nos yeux. Les circonstances de la perte, comme la brutalité de l’événement, influencent considérablement ce processus.
Le deuil est ainsi associé à la mort de l’objet, à la séparation, à un événement qui entraîne un travail psychique particulier. Les ruptures amoureuses engendrent des deuils qui ne sont pas toujours reconnus comme tels. A travers leurs poèmes (Nerval ou Chateaubriand), leurs lettres d’amour enflammées (A la recherche du temps perdu de Proust), leurs romans (Madame Bovary de Flaubert), certains auteurs littéraires témoignent d’un véritable deuil d’amour, de renonciation, des amours impossibles les poussant au suicide ou à tuer (symboliquement) l’être aimé. Le concept de la mort recouvre alors une autre signification et donne son sens à cette dialectique entre Eros et Thanatos à jamais inscrite dans le « travail de deuil ».
« Porter le deuil »
Depuis des temps immémoriaux, le sens premier du deuil concerne l’ensemble des comportements et conduites sociales, individuelles et collectives, qui régulent les rites et coutumes autour de la mort d’une personne suivant son appartenance et son statut social. Les premiers rites funéraires connus remontent à l’âge de pierre. Depuis toujours, ces pratiques rituelles soulignent le degré d’importance sociale du défunt et son inscription dans le tissu social auquel il appartient.
Dans les grandes villes occidentales, ces rituels ont tendance soit à disparaître, soit à subir des transformations considérables. Quasi minimalisé et plus éloigné des traditions ancestrales, le deuil est largement passé dans la sphère privée.
Par contre, dans les sociétés traditionnelles (agraires ou archaïques) le deuil recouvre encore une signification spirituelle et sociétale profonde,... mêmes si les usages ont là aussi tendance à disparaître au contact de la civilisation occidentale et suite aux flux migratoires comme les exodes ruraux.
« Porter le deuil » reste malgré tout la marque de respect pour la personne défunte, le signe d’appartenance identitaire qu’un usage rituel perpétue suivant des prescriptions positives qui relient les vivants et les morts, réconcilient la vie avec la mort, et enfin atténuent le chagrin de ceux qui restent. L’ensemble de ces usages, ainsi prescrits par la coutume traditionnelle, organise aussi des rites de passage pour les morts et le partage d’une certaine tristesse collective pour les vivants, etc. Les deuils alimentaires, comme les jeûnes, les deuils vestimentaires, comme le port d’une bannière noire au bras, les deuils d’objets, comme le masquage des miroirs,... en constituent les principales apparences.
« Faire son deuil »
Accepter la réalité de la perte et y faire face constituent le fondement du travail psychique qui permet à la personne endeuillée de « quitter » sereinement la personne disparue et de retrouver une certaine paix intérieure (pour autant qu’elle y parvienne). D’un point de vue psychique, pour rester en vie, il importe de « faire son deuil » et d’entrer dans un travail dont le premier objectif est de nous rapprocher de la pulsion de vie (de nous réconcilier avec le monde des vivants en quelque sorte) et abandonner l’idée d’aller rejoindre la personne disparue. Au début de cette mise au travail psychique, le désir de quitter la vie peut être lancinant et venir faire obstacle au bon déroulement du deuil. Après coup, le travail de deuil va permettre progressivement à la personne qui reste de se séparer de la personne perdue et de modifier les relations intérieures avec elle.
« Faire son deuil » revient à faire un travail sur le sens de la réalité, à mobiliser des identifications plus ou moins positives et à élaborer des sentiments inconscients de culpabilité. Après avoir refusé la perception douloureuse de la réalité, l’endeuillé va entrer dans une phase de remise en forme psychique et d’acceptation progressive de certains modalités à la fois objectives et subjectives qui vont s’opérer en soi. Les identifications oedipiennes et principalement narcissiques vont être ravivées suivant des destins variables. En raison de l’ambivalence à l’égard de la personne disparue (on en veut à la personne perdue d’être morte), les sentiments de culpabilité vont (re)dynamiser les relations objectales entre, d’une part la dépression du deuil et la souffrance qu’elle engendre (perte d’appétit, envie de mourrir, idéation suicidaire, restriction, inhibition, etc.) et d’autre part, le rapport aux autres, au monde, le principe de plaisir et celui de réalité.
Le « travail de deuil »
Angoisse d’abandon, angoisse de mort, perte et séparation, traumatisme, conflit,... si le deuil signifie souffrance psychique et déséquilibre, il ne faudrait pas le percevoir que sous ses aspects négatifs, ses complications, voire sa psychopathologie. Comme toute crise existentielle, le deuil peut entraîner un processus de remaniements qui contribuent au développement et à l’épanouissement de la personnalité humaine. Vecteur de sublimation, certains écrivains ou artistes y trouvent une source de créativité et d’inspiration. Cette destinée montre que l’humain ne renonce pas et qu’il est capable de s’offrir d’autres voies et déplacer ses investissements sur d’autres objets.
Trop souvent galvaudé par nos contemporains, le concept de « travail de deuil » souligne cette force inconsciente qui nous permet de mettre notre psychisme au labeur. Ce travail d’élaboration psychique, partiellement inconscient, exige une dépense d’énergie considérable, de la peine (au sens propre et figuré) et du temps. Suivant un processus de renonciation, le travail de deuil nous fait passer d’une perte subie à une perte acceptée. Autant chez l’enfant que chez l’adulte, accepter la perte d’un être aimé, accepter qu’il ne soit plus vivant est une manière de modifier en nous la relation intérieure que nous éprouvions avec lui. Ce qui ne signifie pas que ce que nous avons vécu avec cet être aimé est perdu à jamais. Au contraire, le travail de deuil se constitue à partir d’un processus de culpabilité, d’hostilité, de colère et de grande frustration, c’est-à-dire l’élaboration des sentiments inconscients qui finissent par apaiser notre ambivalence dans cette relation. Lorsqu’il est mené à son terme, le travail de deuil nous réconcilie avec nos affects positifs, notre amour,... et renoue le lien profond qui nous unissait à cet être aimé disparu.
Le « travail de deuil » suit un déroulement plus ou moins significatif des processus psychologiques qu’il met en oeuvre. Au début, la personne endeuillée subit un choc émotionnel au prorata de l’intensité et/ou de la brutalité de la perte. Une étape intermédiaire et fondamentale recouvre une période dépressive authentique plus ou moins longue selon les individus et les circonstances. Pendant cette phase d’état dépressif se réalise un travail de détachement qui correspond au travail de deuil dans son fondement. Tout en quittant cette période dépressive, le sujet se rétablit psychiquement et son Moi recouvre la liberté.
Suivant ses ressources personnelles, la bienveillance d’un entourage soutenant et aimant, ce travail de deuil est plus ou moins réussi dès lors que la personne retrouve un bien-être et un narcissisme affranchi du deuil initial. Plus compliqué, voire pathologique, pour certains, le deuil représente un véritable parcours du combattant ou une mission impossible qui vient perturber leur état psychique de manière durable et/ou permanente.
Entre le deuil et la mort : un rapport complexe d’ambiguïté
Le deuil fait penser à la mort - c’est pourquoi il a mauvaise presse - mais il entretient avec elle des relations ambiguës. Toute mort n’entraîne pas ipso facto un deuil : il faut pour ce faire que l’être perdu ait de l’importance pour celui ou ceux qui le perdent et qu’ils aient les uns et les autres des liens d’attachement serrés. L’essentiel du deuil est bien dans l’attachement et la perte. La mort est en plus, à la fois parce qu’elle constitue le mode le plus radical de séparation et de perte, et parce qu’elle est toujours à l’arrière-plan de l’état dépressif du deuil. La première question qui se pose à l’endeuillé est de savoir s’il veut survivre (Freud, 1915-1917). Le deuil, même si la personne n’est pas morte, fait toujours penser à ses limites, à sa finitude, à sa propre mort et invite au « travail de trépas », c’est-à-dire le travail psychique de préparation à sa propre disparition .
Suivant Hanus (2003), « la complexité du deuil se renforce d’une double ambiguïté : celle d’abord de l’attachement que la perte vient ébranler, attachement qui est toujours ambivalent et celle de l’attitude générale des humains vis-à-vis de la mort, attitude qui est double sinon duplice » . Comme l’indique Freud (1915), notre rapport à la mort manque de franchise. « A nous entendre, nous étions naturellement prêts à soutenir que la mort est l’issue nécessaire de toute vie, que chacun d’entre nous est en dette d’une mort envers la nature et doit être préparé à payer cette dette, bref que la mort est naturelle, inéluctable et inévitable. En réalité nous avions coutume de nous comporter comme s’il en était autrement. Nous avons manifesté la tendance évidente à mettre la mort de côté. Nous avons tenté de la tuer par notre silence,... ne possédons-nous pas le proverbe : on pense à cela comme à la mort? Comme à sa propre mort bien sûr. C’est que la mort-propre est irreprésentable et aussi souvent que nous en faisons la tentative, nous pouvons remarquer qu’à vrai dire nous continuons à être là en tant que spectateur,... personne au fond ne croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même : dans l’inconscient chacun de nous est convaincu de son immortalité » .
Tantôt refoulée vers l’inconscient, tantôt ritualisée, la mort implique un travail psychique incessant et conflictuel qui fragilise le moi et nourrit les croyances humaines. Entre un sentiment d’omnipotence narcissique infantile sur l’immortalité (le refus de la finitude, élévation de l’âme, réincarnation) et la libération d’une pensée plus rationnelle, voire marxiste, (la mort comme une fin inéluctable et processus de décomposition), l’expérience de la mort engendre une force dynamique qui influence nos représentations et conceptualisations de l’existence. Compte tenu de notre mémoire biologique et génétique, nous restons ce que nos ancêtres étaient, et même si nous ne les connaissons pas, ils continuent à vivre en nous,... ils n’existent que dans la mémoire des survivants. Après les cataclysmes des génocides et des guerres du XXème siècle, la survie de l’espèce humaine est assurée par une procréation qui donne à la maternité et à la paternité tout son sens. Comme pour exercer une maîtrise sur le temps et la durée, les parents continuent à faire des enfants probablement pour survivre en eux, alors qu’ils savent que ces derniers connaîtront aussi une fin.
Selon leurs croyances, la plupart des sociétés traditionnelles ne considèrent pas la mort comme naturelle. S’appuyant sur la croyance inconsciente en sa propre immortalité, cette conception se retrouve chez les enfants qui ne peuvent pas intégrer la mort comme un fait naturel. Chez eux, la cause de la mort est autre et/ou mystérieuse. Dans toute son ambivalence, à la fois libératrice et cruelle, la mort ravive des sentiments inconscients de culpabilité, de colère qui constituent l’essence même du travail de deuil et témoignent de son caractère douloureux. Au delà de toute spéculation spirituelle, la mort soulève aussi la question de la souffrance et de la douleur. Même si toutes les morts ne sont pas douloureuses, l’acceptation de la mort serait plus ou moins facilitée par l’absence de souffrance. Aujourd’hui, ceux qui accompagnent les mourants tentent de leur éviter toute souffrance, toute douleur. Selon qu’elle nous frappe de plein fouet ou que nous soyons plus ou mois capables de l’anticiper, reste la douleur du deuil qui génère une souffrance morale profonde.
Toutefois le deuil dépasse très largement le simple fait de la mort . La perte d’un objet, (la perte d’une activité ou un accident entraînant une incapacité, par exemples) recouvre le même sens qu’une séparation, situation qui engendre autant de ressentiments profonds et met le psychisme à rude épreuve, impliquant des remaniements internes permettant de nouveaux investissements. Le deuil est déterminé par la séparation lorsqu’elle s’accompagne d’une perte même si l’objet perdu n’est pas mort. Son destin importe peu étant donné qu’il nous échappe. Si aujourd’hui, les usages du deuil se sont transformés, la notion « être en deuil » concerne ceux dont un proche vient de trépasser mais l’expression « faire son deuil » désigne plus souvent les différentes renonciations qui émaillent nécessairement le cours de toute existence à se banaliser.
Indépendant de notre volonté et peu influençable par nos tentatives de rationalisation, le deuil nous atteint malgré nous,... il nous est imposé psychiquement, il nous déséquilibre et nous confronte à une position de passivité.
Cette position de passivité est aussi décrite dans la plupart des situations post traumatiques ou conflictuelles qui engendrent des sentiments analogues de perte et de deuil. La douleur de la perte ravive l’angoisse de castration. Comme une renonciation obligée à laquelle il est impossible d’échapper, le deuil réveille notre impuissance à reprendre le dessus sur notre souffrance, notre peur, nos blessures narcissiques et nos angoisses. Il menace nos capacités psychiques et nous prive d’un nouvel accès inconscient à une partie de notre être profond. Cette constatation revient à se demander quelle part de nous-mêmes nous perdons lorsqu’un être que nous aimons vient de disparaître. Autrement dit, derrière la perte objectale, quelle est la part de perte narcissique? Le travail de deuil coïncide avec cette part active du psychisme qui vient combler cette insupportable passivité.
Mouvement dialectique entre perte, attachement et filiation
Logiquement, un enfant « bien équipé » affectivement et intellectuellement, possédant un tempérament souple et un bon dynamisme psychologique,... mais également confiant dans l’existence, bien dans sa peau et capable de chercher de l’aide en cas de problème,... est mieux armé pour affronter les petites et les grandes tempêtes de l’existence. Néanmoins, ce rapport au monde dépend étroitement du climat de la constellation et de l’histoire familiale : des parents qui s’aiment suffisamment bien, une mère heureuse de vivre avec son partenaire, satisfaite de sa vie et qui va créer autour de son enfant un bain affectif chaleureux, sensoriel et continu, la présence d’un père aimant, complémentaire et faisant tiers, etc. Dès les premiers mois, l’enfant évolue normalement dans cette ambiance aimante. Il apprend une manière de se faire aimer et d’interagir avec son milieu : par des sourires, des babillages, des regards et des paroles d’adultes, (...), les échanges se nouent et les émotions se partagent. Les réponses des adultes aux besoins princeps de l’enfant engendrent des transactions sécures auxquelles s’amarrent les processus d’attachement et de holding. En cas de malheur, si l’enfant perd une figure d’attachement (père ou mère), il aura développé un modus vivendi autour du lien et de la confiance, ainsi qu’un mode de conquête du monde et des autres qui lui permettront de s’en sortir. Il sera capable de nouer de nouveaux liens d’amour et d’investir son milieu, d’autant s’il bénéficie de la présence d’un réseau relationnel soutenant, d’autres enfants et des adultes référentiels rassurants.
De manière précoce et fondamentale, l’existence d’un lien d’attachement, d’une base relationnelle sûre, contribue à assurer à l’enfant son rapport à la réalité et aux autres; une manière de concevoir que le monde n’est pas qu’un horrible cauchemar et qu’il n’est pas seul à penser que certains événements extrêmes de l’existence sont exceptionnels. En remettant en cause la théorie du traumatisme, Bowlby a été le premier psychanalyste à affirmer que l’enfant a besoin de connaître la réalité qui le concerne, aussi adverse et mortifère soit elle, pour pouvoir l’élaborer et l’incorporer à sa propre histoire vécue.
Dès les premiers mois de la vie, les besoins primaires physiologiques et sensoriels (nourriture, sensations) sont aussi primordiaux que les besoins relationnels et affectifs (chaleur humaine, tendresse). L’ensemble de ces besoins sert d’ancrage à la vie de relation et d’ouverture au monde extérieur. Le développement du moi est aussi conséquent de la manière dont la mère répond aux besoins de son enfant et lui transmet ce qu’elle a hérité elle-même de ses ancêtres (de sa propre mère). En le portant, en le soignant, en le bougeant, en le couchant, en le nourrissant, en le touchant, en le regardant, et surtout en lui parlant, la mère se montre sensible à ce que ressent son enfant. De fil en fil, elle tisse le lien qui noue l’enfant à sa propre filiation.
Pour Winnicot, les soins maternels correspondent à au moins cinq processus successifs :
• l’intégration soutenue par le holding : à travers les soins prodigués par sa mère ou un substitut maternel, l’enfant élabore un sentiment de continuité et de sécurité qui lui permet d’élaborer son self; il est fondamental qu’une personne unique puisse relier les morceaux les uns aux autres autour d’un moi unifié (assise de la personnalité);
• la personnalisation est favorisée par le handling, c’est-à-dire la manipulation chaleureuse du nouveau-né, les contacts peau à peau, tous les soins qui enveloppent et soutiennent le développement du moi-peau; un bain affectif chaleureux (le nursing affectif) qui permet que l’enfant se sente une personne investie positivement; au cours de son développement, « le moi se fonde sur un moi corporel, mais c’est seulement lorsque tout se passe bien que la personne du nourrisson commence à se rattacher au corps et aux fonctions corporelles, la peau étant la membrane frontière » ;
• l’instauration de la relation objectale favorisée par la manière dont la mère offre les objets dans la relation dès lors que l’enfant en ressent le besoin; il élabore ainsi ses premières expériences objectales; l’enfant s’ouvre au monde réel; il développe en lui la confiance et le sentiment que le monde et lui-même sont bien réels;
• un attachement sécure à la mère; la théorie de l’attachement est essentielle à la compréhension des phénomènes normaux de l’accès à une parentalité responsable et harmonieuse, ainsi que tout ce qui intervient dans la qualité des transactions et la structuration des liens précoces mère-nourrisson;
• le maternage et le développement d’une empathie maternelle naturelle; maternage et empathie sous-tendent ces différents processus autour du holding, du handling et de l’attachement.
Dans sa « théorie de la relation parent-nourrisson », Winnicot précise que le holding permet non seulement l’intégration mais qu’il protège aussi contre les dangers physiologiques, et certaines agressions physiques. Le holding tient compte : « de la sensibilité visuelle, de la sensibilité à la chute (action de la pesanteur); ainsi que du fait que l’enfant ignore l’existence de toute autre chose que le self; il comprend toute routine des soins de jour et de nuit, soins différents selon l’enfant, puisqu’ils font partie de lui et qu’il n’y a pas deux enfants semblables; il s’adapte aussi jour après jour aux changements dus à la croissance, changements à la fois physiques et psychologiques » .
Remarquons que le holding est fondateur d’existence et de transmission, et que la reconnaissance de ses besoins sont vitaux pour tout être humain. Chacun est ainsi en droit d’attendre de son environnement cette reconnaissance et ce soutien. Mais lorsque le sujet ne bénéficie pas d’un bon nursing affectif ou qu’il vient à perdre celui qui prodigue les « bons » soins, les liens d’attachement ont tendance à s’effilocher. Irremplaçable pour certains, l’être vient à manquer et chaque souvenir qui le relie à lui maintient ouverte la blessure psychologique laissée par l’absence.
Sur un plan transgénérationnel, se construire, transmettre et renouer des liens devient alors plus difficile, voire périlleux. Ainsi par exemple, l’accès à la parentalité des jeunes parents ou des mères qui ont perdu leur père ou leur mère pendant la grossesse est souvent rendue caduque par cet effet de boomerang transgénérationnel. L’enfant peut devenir un enjeu considérable ou un fardeau. Sa simple présence renforce un mandat familial ou une dette qui pèse sur lui et son avenir. Un nouveau lien s’établit entre le nouveau né et celui qui a disparu, entre le vivant et le mort.
Bâti à partir de nos relations précoces, notre « arbre de vie » s’est constitué au fil du temps, de liens en liens, suivant une logique transgénérationnelle. En tissant des liens inter-générationnels, plus ou moins conflictuels et souvent inconscients, que nos parents ont établis dès leur enfance avec leurs ancêtres morts, nous transmettons à notre tour le flambeau à nos descendants,... et ainsi de suite. Dans nos familles occidentales, cette dialectique entre perte et attachement fait exister, et souvent souffrir, l’héritier d’une filiation pathologique, surtout lorsqu’il devient le dépositaire des conflits infantiles des parents et de leurs névroses, qu’elles soient symptomatiques ou inscrites dans le destin de la personnalité, enrayant les processus d’affiliation et de continuité familiale et/ou culturelle .
Spécificités du deuil chez l’enfant et l’adolescent
Nul n’échappe aux destinées de son existence et aux différents processus de deuil inhérents à la vie. L’enfant comme l’adulte, devra faire un jour ou l’autre l’expérience du deuil, le deuil des êtres aimés qu’il est amené à perdre. L’expérience clinique démontre que l’enfant semble faire son deuil de manière analogue à celle de l’adulte, mais avec quelques spécificités propres à l’enfance ou l’adolescence. L’événement du deuil commence souvent par une crise de désespoir, de refus, de déni et de recherche de l’être perdu. Le sujet traverse une période dépressive. Cet état dépressif connaît différentes variantes qu’il faut apprécier de manière individuelle. Ensuite, le deuil se poursuit par une élaboration psychique qui consiste progressivement à se détacher, à créer de nouveaux liens et surtout à vivre de nouvelles expériences d’attachement. Malgré un certain point de vue adultomorphe sur le processus de deuil chez l’enfant, il importe de faire la distinction entre les réactions de l’enfant et celles de l’adulte.
L’enfant comme l’adulte est confronté, un jour ou l’autre, d’une manière ou d’une autre, à la mort,... qu’il s’agisse d’images dans les médias ou les dessins animés, de la perte d’un animal familier, d’un ami, d’une personne de son entourage ou d’un membre de sa famille. Mais perdre sa mère ou son père durant son enfance est une lourde épreuve dont il est difficile d’apprécier les effets à moyen et à long terme, ainsi que la charge traumatique, même lorsqu’on connaît bien l’enfant. La plupart des psychologues ou thérapeutes d’enfants s’attachent plus spécifiquement à la question du deuil chez l’enfant qui a perdu un parent proche, son père ou sa mère.
De nombreux auteurs, dont Deutsch (cité par Hanus, 1997 : 267), se sont opposés pendant longtemps à l’idée que l’enfant puisse vivre un processus de deuil. Sans pour autant parler d’absence de deuil, H. Deutsch (1937) constate que certains enfants ne traversent pas de la même manière l’épreuve du deuil et/ou ne montrent aucune affliction, aucune peine, ni signes dépressifs. Elle rapporte différentes observations de « deuil empêché » dans l’enfance avec des conditions psychopathologiques qui ont découlé de ce blocage ultérieurement durant la vie adulte. Deux (hypo)thèses cliniques s’affrontent ou se chevauchent : d’une part, l’enfant qui s’engage comme l’adulte dans un processus de deuil, et d’autre part, l’enfant qui visiblement n’éprouve pas les mêmes ressentiments que l’adulte et qui semble vivre comme « sans deuil ».
Aujourd’hui, la plupart des auteurs contemporains affirment que les enfants font un deuil et que celui-ci ne se différencie pas sensiblement de celui des adultes. En effet, il est toujours principalement conditionné par la nature de la relation préexistante à la perte et principalement par la nature de la relation première et précoce à la mère. Le travail de deuil chez l’enfant diffère cependant de celui chez l’adulte en ce sens « qu’il est plus progressif, cheminant parallèlement à l’évolution de ses acquisitions intellectuelles, affectives et cognitives » (Hanus, 1997: 299). Pour bien comprendre comment les enfants vivent leurs deuils, il faut se demander ce que les enfants pensent de la mort et comment ils perçoivent ceux qui disparaissent dans leur entourage immédiat.
« Perdre la personne aimée »
Perdre la personne aimée est un phénomène réel pour l’enfant. Ce phénomène possède cependant des particularités propres à son statut d’enfant. Hanus et al. (1997) les envisage suivant les trois perspectives suivantes :
(1) Le deuil survient chez un être en pleine évolution mobilisant beaucoup d’énergie psychique. Mais, lors de la perte d’un être cher, le deuil requiert des forces et de l’énergie qui ne sont dès lors plus disponibles pour le processus de croissance de l’enfant. Cette épreuve de deuil interfère donc irrémédiablement avec le processus de développement de l’enfant.
(2) Face à la mort, situation à la fois inhabituelle et étrange, l’enfant, dépendant des adultes, se dirige vers eux et s’identifie immédiatement à leurs attitudes et réactions. « Le deuil des enfants se calque sur celui des adultes de leur entourage » (Hanus et al., 1997 : 90).
(3) Un deuil important durant l’enfance entraîne des changements dans les conditions d’existence. Ces changements peuvent être, par exemple de l’ordre d’un déménagement, ce qui aura comme conséquence d’éloigner l’enfant de son cadre de vie habituel, perdant ainsi ses repères et ses amis. L’enfant en deuil doit alors faire face à des difficultés supplémentaires.
La première perspective est essentielle, parce qu’elle souligne la relativité des moyens psychiques, cognitifs et affectifs dont l’enfant dispose pour assumer son deuil et entamer le processus de résolution du deuil. A ce niveau, il nous paraît intéressant de nous pencher tout d’abord sur la manière dont l’enfant, en fonction de son âge, se représente la mort. Cette représentation agira comme « toile de fond » du travail de deuil de l’enfant.
Représentations et évolution conceptuelle de la mort chez l’enfant
En relation avec les poussées pulsionnelles en provenance de leur monde intérieur, leur imaginaire, les enfants s’intéressent très tôt à la mort. Certains sont même fascinés par la mort, comme par tout ce qui est mystérieux, inexpliqué ou tabou, comme la sexualité en particulier. La mort, tout comme la sexualité, stimule leur soif de connaissances, leurs tendances épistémophiliques naturelles. Leurs représentations de la mort, les idées qu’ils s’en font, constituent « un mélange hétérogène de conceptions subjectives et de connaissances objectives » qu’ils découvrent et intègrent progressivement (Hanus, 2003 : 268).
Les enfants élaborent des pensées très personnelles sur la mort qui ne sont pas toujours accessibles ni même compréhensibles aux adultes. Nous ne savons pas toujours ce qui se passe dans la tête des enfants. Autant pour les enfants que pour les adultes, la mort reste une notion complexe et très conflictuelle qui recouvrent différentes réalités et fantasmes. Lorsqu’elle est vécue de près, la mort devient plus réelle, inéluctable et/ou perçue comme destructrice,... ou comme une fin en soi. Lorsqu’elle n’est pas imaginée pour soi-même, elle peut ne pas encore exister dans l’esprit et/ou n’appartient pas au registre de la pensée. En perpétuelle évolution, les enfants ne fonctionnent psychiquement pas comme les adultes, ils n’ont pas accès aux mêmes registres de la mentalisation et de la symbolisation. Les enfants évoluent dans un monde imaginaire très ambivalent habité par des fantasmes de toute-puissance qui contrastent avec leur manque d’autonomie dans la réalité et leur immaturité constitutive. Ils possèdent une pensée magique qui les aident à supporter les contraintes imposées par la réalité et ses frustrations. Suivant leur structuration psychique, ils confondent le réel, l’imaginaire et le symbolique avec leurs désirs, leurs croyances et leurs rêves. Ils se constituent aussi des idées très personnelles qui proviennent de ce qu’ils entendent autour d’eux, de ce qu’ils vivent de la mort dans leur entourage familial et social.
Un jour ou l’autre, l’enfant (se) pose des questions sur la mort. L’enfant observe assez rapidement que ses questions mettent mal à l’aise les adultes qui éludent souvent ses interrogations. Dans la plupart des familles, une chape de plomb pèse sur ce thème et l’enfant en prend conscience. Le silence accompagne la mort et les mots pour l’exprimer sont plutôt rares. Même s’il existe quelques ouvrages à ce propos, la mort n’est plus très souvent évoquée. A l’école, elle ne fait plus partie des apprentissages concernant la vie biologique. Face aux difficultés des adultes à parler de la mort, les enfants sont souvent livrés à eux-mêmes. Ils sont aussi confrontés soit à la subjectivité (parfois) « maladroite » de leurs éducateurs ou enseignants, soit au malaise qu’ils générèrent chez leurs parents.
Les enfants en arrivent à parler de la mort entre eux, et parfois même avec une certaine aisance. A défaut de bien communiquer avec les adultes à propos de la mort, quelques enfants, parmi les plus imaginatifs, élaborent différentes théories des plus fantasques aux plus farfelues. La plupart des enfants sont également confrontés à la mort par l’intermédiaire des médias, de la télévision et des jeux électroniques, où très souvent la violence règne en maître et la mort supplante la vie de manière sauvage. La mort y est présentée sous ses formes les plus atroces : torture, guerre, génocide, catastrophe naturelle, attentat, meurtre, morcellement, hémoglobine, etc. Ainsi saturés d’images cruelles qui banalisent la mort, les enfants intègrent une représentation très dénaturée alors qu’ils n’ont jamais observé dans leur réalité quotidienne ni un cadavre, ni une agonie.
Chemin faisant, l’enfant finit par rencontrer la mort un jour ou l’autre et/ou par hasard. La mort d’un animal, celle d’un aïeul, d’un voisin, d’un camarde de classe,... événement qui ouvre ainsi l’enfant à la réalité de la mort. Lorsqu’il s’agit d’un membre proche de la famille, l’enfant en sait plus sur la mort que les autres qui n’ont pas vécu la même expérience existentielle.
La mort est une effraction de la réalité dans l’imaginaire. Intimement liée au monde pulsionnel de l’enfance, la mort est une réalité objective qui implique des raisonnements subjectifs. Suivant son degré de maturité, l’enfant puise dans son imaginaire afin d’élaborer ses propres conceptions. Selon ses fantasmes, il imagine encore que la mort n’est pas naturelle, qu’elle est réversible, ou encore qu’elle est contagieuse. Les enfants acquièrent progressivement des connaissances sur la mort. Leurs conceptions enfantines évoluent avec le temps et suivant leurs expériences de la vie.
Les idées personnelles sur la mort varient suivant leur degré de maturation psychoaffective.
(1) Avant deux ans, l’enfant ne sait pas ce qu’est la mort. La seule expérience de séparation qu’il ait vécue est la séparation d’avec sa mère. Il ne reconnaît pas la mort comme telle. Il attribue aux morts vie et conscience.
(2) Avant cinq ans, l’enfant définit la mort comme un fait réversible et il la compare à un voyage, parfois même au sommeil. Ensuite, il commence à reconnaître le fait physique de la mort mais n’est pas encore capable de le distinguer de la vie. Il considère celle-ci comme progressive et temporaire, la mort étant un autre état de la vie. L’animé et l’inanimé ne sont pas encore bien différenciés.
(3) Entre cinq et neuf ans, la mort est souvent personnifiée et conceptualisée comme un événement contingent. La personnification de la mort se présente soit sous la forme d’un personnage distinct soit sous celle identique au défunt. Cette confusion entre la mort et le mort rend compte de la pensée concrète de l’enfant. Cette représentation rend invisible la mort et non le mort. Si la mort est une personne, il est encore possible de lui échapper. Mystérieuse, la mort circule en secret, on ne la voit pas agir, elle agit surtout pendant la nuit, pendant le sommeil des vivants qui dorment,... elle va à la rencontre de celui qui va mourrir, elle choisit. Tout en se référant à son imaginaire, l’enfant commence à maîtriser la loi de la causalité. Il reconnaît progressivement la réalité de la mort. De manière encore très archaïque, il définit la mort comme quelque chose qui est projeté à l’extérieur, à la fois évitable et lointain. Si elle peut être évitée, la mort n’est ni universelle, ni inéluctable, ni nécessaire. Elle est parfois accidentelle. De manière plus précoce (aux alentours des 6-7 ans), certains enfants comprennent que la mort coïncide avec l’arrêt des fonctions vitales chez l’être vivant.
(4) Entre neuf et douze ans, l’enfant considère la mort comme un fait irréversible qui obéit à certaines lois naturelles, c’est-à-dire qu’elle induit la cessation des activités physiologiques. Il s’agit d’un processus universel, opérant à l’intérieur de la vie et découlant d’une cause physique. Dans ce groupe d’âge, les enfants prennent conscience du caractère biologique, inévitable et universel de la mort, et en particulier de sa propre mort, ils se préoccupent d’avantage des rites funéraires et de ce qu’il advient au corps après la mort. Ils sont aussi capables d’accéder à une appréciation de la nature abstraite de la mort et de décrire les sentiments qui en découlent. Cet ensemble complexe va de pair avec l’émergence du sentiment de sa propre finitude. Néanmoins, la mort se situe dans le lointain avenir et appartient au monde de la vieillesse (Loretto, 1980).
La conception de la mort chez l’enfant subit l’influence de différents facteurs tels que : son développement cognitif, sa maturité affective, son intelligence, son quotient intellectuel, son expérience de vie, son milieu socioculturel,... et les explications données par l’entourage et plus particulièrement par les adultes et le parent restant. L’âge pivot concernant l’intégration du concept de mort apparaît aux environs de huit ans. A cette période, le concept d’irréversibilité de la mort semble acquis par l’enfant, la notion d’universalité est en voie d’acquisition et l’angoisse, même si elle est toujours présente, apparaît comme dominée par des défenses mieux organisées dans lesquelles les apports socioculturels commencent à jouer leur rôle.
Il n’est cependant pas nécessaire que l’enfant ait une conception complète et correcte de la mort pour faire un travail de deuil. Il paraît tout aussi évident que « l’idée que l’enfant se fait de la mort influe sur l’élaboration de son deuil, tout comme un deuil dans l’enfance facilite ou inhibe la conceptualisation de cette réalité biologique, du concept et des représentations qui lui sont attachées » (Hanus, 2003 : 277).
De la détresse morale au détachement
Comme l’indique J. Robertson (1971), « ..., si un enfant est arraché aux soins de sa mère à cet âge, quant il est s
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