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Quelques réflexions concernant la psychanalyse

/ Par MIchel Graulus / Psychothérapies

Quelques réflexions concernant la psychanalyse

'Don't you be put out by anything', the Captain continued, mumbling rather fast. 'Keep her facing it. They may say what they like, but the heaviest seas run with the wind. Facing it — always facing it - that's the way to get through.'2 (Conrad 1903, Typhoon, p.121) 

Introduction

Depuis plus de 30 ans, mes collègues et moi-même avons poursuivi notre approfondissement de l'analyse avec un esprit d'ouverture par l’étude des différentes théories analytiques. Notre pratique analytique cependant, tout en étant ouverte à une technique correspondant au mieux à l'intérêt de nos analysants et conforme à notre compréhension théorique, s'est caractérisée par un souci permanent de rigueur.

Il m'a semblé utile, après des années de pratique analytique, de travail théorique personnel et en commun, d'intervisions et de formation de futurs analystes, de faire quelques réflexions sur ce qui m'apparaît comme important dans ma conception de l'analyse. Sans doute cette conception est-elle partagée en partie par certains de mes collègues et par certains lecteurs. Pour certains aspects cependant, je ne serai pas suivi ou même sévèrement critiqué, mais j'espère que mes réflexions pourront stimuler la réflexion et la discussion.

L'objet de cette présentation n'étant pas de développer ou même de définir certaines notions, je renverrai le lecteur intéressé à des livres ou des articles qui approfondissent le sujet.

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 2« Ne vous laissez déconcerter par rien », continua le capitaine précipitamment, et «toujours faites face au vent. Ils peuvent dire tout ce qu'ils veulent, mais les plus grosses lames courent toujours dans le sens du vent. Debout au vent — toujours debout au vent — c'est le seul moyen d'en sortir. (J. Conrad, Typhon, tr. fr; d'André Gide, p.162) 

La psychanalyse

 

Comme l'affirment Laplanche et Pontalis (1967), on peut distinguer plusieurs niveaux dans la définition de la psychanalyse: une méthode d'investigation, une méthode psychothérapique et un ensemble de théories psychologiques fondées sur l'investigation et la pratique analytiques. Je développerai certains de ces aspects dans des rubriques ultérieures. J'aimerais ici d'emblée affirmer certains aspects essentiels.

Je ne suis pas convaincu de la validité scientifique de la méthode analytique, si, lorsqu'on parle de science, il s'agit d'une méthode qui met en évidence de faits démontrables, falsifiables et reproductibles. Avec Meltzer (1988, p.xii), j'affirme que la pratique analytique se rapproche davantage d'un art que d'une science, en ce que « sa forme est hautement individuelle et ses œuvres non reproductibles. » Ceci n'exclut nullement que la pratique d'un art nécessite des connaissances et des capacités. Depuis toujours, j'ai été frappé combien chaque individu est singulier et que chaque relation, analytique en particulier, est unique. Pour chaque analysant, il faudra découvrir son langage, sa façon de l'aborder et se rendre compte de la relation singulière qui s’établit entre l'analysant et l'analysé. Chaque fois, l'analyste est amené à découvrir et à faire vivre une part ignorée ou sous-développée de lui-même. Les théories, par leurs abstractions nécessaires et inévitables et par leurs généralisations, peuvent obscurcir cet aspect hautement individuel. On ne reproduira pas la relation entre Freud et l'homme aux loups (1914), la relation entre Mélanie Klein et Richard (1961) ou celle entre Winnicott et la petite « Piggle » (1978) pour ne citer que quelques exemples illustres.

L’esprit dans lequel est pratiqué la psychanalyse est d'une importance capitale, non seulement dans ses aspects pratiques, mais aussi dans son élaboration théorique. Si, comme Freud, nous mettons l'accent sur les aspects métapsychologiques topiques, économiques, génétiques et structuraux, et que de plus nous envisagions le processus analytique comme une enquête de type policier ou une fouille archéologique, il est difficilement évitable de pratiquer la psychanalyse dans un esprit par trop scientiste, axé plus qu'il ne faut sur le passé, et d'utiliser un vocabulaire déshumanisé. Les termes par exemple d'«objet », d'« investissement », de « contre-investissement », même s'ils sont d'usage courant par les meilleurs psychanalystes témoignent de ce glissement vers un vocabulaire déshumanisé. Par contre, si dans l'esprit de Winnicott, l'analyse est formulée et pratiquée comme une relation permettant de retrouver l'enfant perdu et souffrant et lui permettre d'exister et de grandir, cela va affecter l'engagement de l'analyste et nécessitera un vocabulaire, un discours et des conceptions théoriques différentes d'une approche de type scientiste. La psychanalyse sera vécue et décrite comme une rencontre. Le premier objectif de la psychanalyse est d'aider la personne à vivre et à se sentir vivre.

Un aspect capital en psychanalyse est de ne jamais perdre de vue que l'analysant est un sujet et qu'il est acteur de sa vie. En affirmant cela, je ne nie nullement l'importance de l'environnement et certainement pas en quoi l'analyste peut contribuer au développeront de l'analysant. L'environnement  « suffisamment bon » est une condition nécessaire, mais pas suffisante, au développement. La part constructive et destructrice du sujet est à prendre en compte. Je puis formuler cela sous forme de deux questions que l'analyste peut se poser. Quels sont les moyens qu'utilise l'analysant pour se construire? Et paradoxalement : Comment s'y prend-il pour continuer sa destruction?

Le cadre et le containment

 

L'importance accordée au cadre et à la fonction de contenir (containment) est une des composantes qui différencie le plus un type de psychanalyse qu'un autre. L'importance accordée au transfert et au contre-transfert en est une autre composante, que je développerai dans une rubrique suivante.

Le cadre psychanalytique, si bien étudié dans « Symbiose et ambiguïté » par J. Bleger (1967), a ceci de particulier et de fondamental: il est fixe et fait partie de la réalité extérieure non ambiguë. Le contenu de la communication de l'analyste et du patient est éminemment variable et interprétable. Les éléments du cadre, la fréquence des séances et leur durée, pour ne prendre qu'un exemple, sont fixes et objectifs. A titre d'exemple, j'expose ici brièvement mes conceptions concernant la fréquence et la durée des séances.

Il est capital d'avoir un nombre fixe de séances par semaine, qui va rythmer le travail analytique. Combien de séances hebdomadaires? Pour initier un véritable processus analytique, j'estime qu'il faut une fréquence permettant un déploiement suffisant du transfert et du contre-transfert et la possibilité à la fois du containment et du travail interprétatif. L'analyste doit rester vivant pour l'analysant durant les intervalles des séances et de même l'analysant doit rester vivant pour l'analyste.

Dans l'optique de Klein, de Bion et de Betty Joseph, qui est la mienne, l'importance est mise sur le travail de containment et le travail sur le transfert et le contre-transfert.(B. Joseph 1985). Pour ce faire, il est nécessaire d'assurer la continuité entre

- Les émotions (au sens large du mot) suscitées dans la relation analytique au cours de la séance;

- Le destin de ces émotions (qui perturbent l'équilibre psychique de l'analysant) au cours de la séance et après la séance, qui se manifeste par ex. dans des changements d'humeur, un changement dans le contenu du discours,  des symptômes physiques, des pensées, des fantasmes, des rêves, des actes posés dans la vie extérieure ;

-  La compréhension et l'interprétation du destin de ces émotions au cours de la séance ou lors de la séance suivante.

Les émotions suscitées par la rencontre analytique, surtout celles qui sont peu verbalisables (les plus primitives) ont une durée de vie très courte. Les émotions suscitées par les rêves sont également fugaces. Le travail sur les parties plus élaborées, déjà partiellement symbolisées pose moins ce problème, mais l'ambition analytique dans l'optique que j'expose est de pouvoir contenir et travailler les angoisses et les défenses primitives. Sans continuité temporelle suffisante, que va-t-il se passer? Soit l'analysant, s'il a des capacités défensives bien développées — y compris des défenses qui nuisent à son développement personnel, par ex. développement d'une personnalité « false self » (Winnicott, 1960) — va tout faire pour ne pas vivre, revivre une nouvelle fois, ces moments de détresse infantile, de rupture dans le sens de continuité de vie, soit ces angoisses vont se manifester, mais faute d'un cadre contenant suffisant, elles vont être traumatiques.

Une mention particulière doit aussi être faite concernant le transfert et le contre-transfert. Ceux-ci existent dans n'importe quel setting. Mais pour que ces phénomènes puissent prendre de l'ampleur, pour que ce que l'analysant vit et rapporte en séance et que ce qu'il rapporte des événements (émotions et actes) de la vie extérieure à la séance puisse être compris et interprété dans le transfert, il faut une continuité de séance à séance.

D'une façon plus spécifique, un rythme suffisant rend possible un travail approfondi sur les problèmes liés à la séparation (problème narcissique) et sur l'exclusion (problème œdipien). Ce rythme permet à l'omnipotence infantile de se déployer suffisamment dans la vie de l'analysant et de l'analyste, en tant que phénomène subjectif bien entendu.

L'utilisation du transfert et du contre-transfert

 

J'utilise la conception kleinienne du transfert en tant que situation totale (Klein 1952; B. Joseph 1985). Le transfert n'est pas uniquement considéré comme un simple transfert sur l'analyste d'attitudes de l'analysant envers des personnages primaires totaux (mère, père). Il est davantage considéré comme un pattern complexe des pensées et de sentiments inconscients (les fantasmes inconscients, en termes kleiniens), d'attentes, d'anxiétés et de défenses, que l'analysant apporte dans la situation analytique. Tout ce qui se passe dans la séance analytique est considéré comme le produit de l'interaction entre la réalité immédiate et la façon dont l'analysant perçoit, imagine cette réalité. Cette réalité vécue est dérivée de ses fantasmes inconscients, qui trouvent leurs racines dans son histoire. En d'autres mots, l'histoire de l'analysant est dans son monde interne. C'est en observant et en ressentant la pression exercée par le patient pour extérioriser certains aspects de son monde intérieur inconscient et cela dans le hic et nunc de la relation transférentielle, que l'analyste en vient à connaître son patient et son histoire.

Il y a donc une utilisation systématique du contre-transfert dans l'acceptation large de ce concept, c'est-à-dire de toutes les pensées, des sentiments, des sensations et des réponses potentielles qui sont suscitées chez l'analyste par son vécu avec le patient dans la séance.

La relation analytique, dans sa composante transférentielle et contre-transférentielle, est une construction transitionnelle. Il s'agit d'une construction en commun et propre à cette analyse-là et qui a une fonction transitionnelle, dans le sens de Winnicott, tant pour l'analyste que pour l'analysant. (Winnicott 1971 ; Kaës 1976a)

Cette conception du transfert et du contre-transfert implique une utilisation de ceux-ci dans la compréhension et l'interprétation de « l'ici et maintenant ».  Certains critiquent cet usage trop exclusif d'interprétations de « l'ici et maintenant » et le considèrent comme une négligence de l'histoire et de la vie extérieure actuelle de l'analysant. J'estime que la priorité doit être donnée à l'interprétation de « l’ici et maintenant » et que les aspects extérieurs (les relations extérieures) ou antérieurs à la séance (les aspects historiques) peuvent y être associées, si cela reste vivant pour l'analysant. « L’ailleurs et l'avant » passent après « l’ici et maintenant ».

La plupart des analystes, et j'en suis, accordent une grande importance aux rêves. L'utilisation des rêves doit cependant toujours être comprise dans le cadre plus global du transfert et du contre-transfert. Certains rêves ont une fonction prédominante d'évacuation ou de remplissage. (Segal 1981) Ils sont souvent une manière privilégiée pour l'analysant d'être complaisant aux prédilections de l'analyste.

Transfert personnel et transfert archétypique

La représentation des phénomènes transférentiels.

 

 

Pour rendre compte du transfert, les métaphores utilisées divergent. Jung (1946) recourt à une métaphore alchimique, élaborée au départ d'images tirées de la chimie et, de façon générale, des matériaux historiques faisant appel à des conceptions religieuses et astrologiques entre autres. Des analystes comme Klein, Winnicott et Little (1960), font appel à des métaphores liées aux relations d'objet précoces, à la relation du nourrisson avec sa mère, pour représenter le transfert.

Les modèles kleiniens et winnicottiens ont l'avantage de mieux représenter les aspects infantiles, la répétition du vécu infantile dans la rencontre analytique, alors que le modèle jungien rend, lui, plutôt compte des aspects transpersonnels, les aspects archétypiques dans ce même transfert, c’est-à-dire les aspects qui ne sont ou ne seraient pas liés à l'histoire individuelle.

La complexité de ce transfert est d'ailleurs telle que le recours à plusieurs modèles de représentation est souvent nécessaire pour comprendre et interpréter cette complexité.

Dois-je vous avouer que ma préférence va à un modèle transférentiel basé sur la répétition de la relation infantile précoce, dans la mesure où elle me permet de rendre mieux compte de ce qui est vécu et revécu dans la rencontre analytique? Toutefois, je tiens à souligner que le transfert ne se réduit pas au modèle utilisé, ni au modèle infantile, ni au modèle archétypique. Il est primordial de ne pas perdre cela de vue.

La complexité des phénomènes transférentiels

 

Essayons maintenant d'y voir plus clair dans la complexité des phénomènes transférentiels. Jung (1946), met l'accent sur les phénomènes de fusion et de confusion engendrés par la rencontre analytique, et cela chez les deux partenaires. Dans les planches du Rosarium, il montre les différentes étapes par lesquelles ces deux partenaires passent pour arriver à une transformation, qui, chez Jung, consiste en une synthèse des contraires.

On peut schématiquement décrire deux types de phénomènes transférentiels. Des phénomènes de répétition de situations vécues et des phénomènes d'actualisation de contenus archétypiques. Je ne sépare ces deux types que pour la clarté de l'exposé, car, en fait, ils sont imbriqués l'un dans l'autre.

La répétition de situations infantiles

 

Comme je l'indiquais plus haut, tout le dispositif analytique favorise l'émergence et la production de transferts infantiles. La rencontre analytique va permettre de revivre des situations de l'enfance et de la prime enfance. Les mille et une subtilités de la relation vécue à la fois dans la méfiance et la confiance, l'amour et la haine vont pouvoir être observées.

Le modèle basé sur les relations d'objet précoces va permettre d'observer et de comprendre l'importance du non-verbal, du silence, de l'atmosphère de la rencontre. La référence à la situation infantile permet aussi de saisir l'importance d'une situation dans laquelle le Je et l'Autre sont encore ou à nouveau confondus. Tous les vécus de dépendance, de carence ou de déprivation de la part de l'environnement ou au contraire de surstimulation et de séduction vont pouvoir y trouver leur place et être compris. Tout le vécu de l'être en devenir qu'est le bébé et l'enfant, sa détresse et ses sentiments d'abandon, le bonheur d'avoir été désiré par ses parents ou le malheur de ne pas l'avoir été, la charge ressentie d'avoir dû porter ses parents au lieu d'être porté par eux, tout cela pourra être à nouveau éprouvé et élaboré. L'intense avidité, l'envie et toutes les tendances destructrices du nourrisson, telles qu'actualisées dans le transfert, pourront également être revécues et élaborées.

L'actualisation des contenus archétypiques

 

Très souvent, nous nous trouverons en présence, surtout lors du récit de certains rêves et de certains fantasmes, d'un matériel archétypique. Nous pourrons y retrouver des situations, des objets inanimés et des personnages animaux ou humains, dits archétypiques, car présents depuis des millénaires dans les productions des diverses cultures. Nous rencontrerons les personnages de l'Ombre, de l'animus, de l'anima, du héros, du « mauvais frère », du « vieux sage », etc. Si l'analyste a quelques connaissances en mythologie, il pourra reconnaître des personnages et des récits apparentés aux grands mythes de l'humanité: récits de mythes de création (tel celui raconté dans la Genèse), de mythes du héros (tel celui des travaux d'Hercule ou celui de la vie de Jésus dans les Evangiles) et de mythes de transformation (tel celui représenté dans l'opéra « La Flûte enchantée » de Mozart). (Neumann 1949). La compréhension archétypique est utile pour une compréhension plus distante et globalisante des fantasmes de l'analysant et du processus analytique. Personnellement, je m'abstiens le plus souvent d'interpréter dans le sens archétypique — même si les situations, les rêves par exemple peuvent être compris comme archétypiques — en restant dans le vécu strictement individuel du transfert personnel. Je craindrais de donner des interprétations du style « tout-cela-est-profondément-humain.» en négligeant le vécu présent hautement individuel.

Importance du fantasme, du rêve, de la réalité psychique

 

L'analyse se déroule dans un champ tendu entre deux extrêmes. D'une part, il s'agit d'une relation professionnelle d'aide entre deux personnes adultes, liés entre elles par un contrat. — Je ne considère pas ici les problèmes spécifiques liés à la psychanalyse des enfants. — D'autre part, le dispositif et la méthode analytiques vont mettre en évidence et favoriser l'émergence de la réalité psychique. Le champ de forces ainsi créé va permettre au processus analytique de se dérouler.

La réalité psychique ou autrement dit la réalité interne repose sur la conviction que le monde psychique est réel et qu'il existe à l'intérieur de l'individu. Freud avait déjà mis cela en évidence. Chez Klein et encore plus chez Meltzer, l'accent est davantage mis sur cet aspect de réalité psychique. Chez ces deux auteurs, et j'adhère pleinement à leurs idées, nous vivons dans deux mondes, le monde externe et le monde interne. Cette réalité interne doit être considérée comme un lieu de vie aussi réel et même concret que la réalité externe. Lorsque nous observons le sérieux et la concentration d'un enfant qui joue, nous pouvons nous convaincre de cela. Lorsque nous nous éveillons d'un rêve particulièrement vécu ou lorsque nous observons le monde délirant d'un psychotique, nous pouvons également en être convaincu.

Cette conception de l'être humain se traduit par l'importance première donnée dans l'analyse au fantasme et au rêve. J'entends ici la conception kleinienne du fantasme inconscient comme soutenant et actualisant tout processus mental. Le jeu, dans la psychanalyse d'enfant, le transfert et le rêve sont considérés comme l'expression la plus nette de cette réalité psychique. L'analyste est dans la séance comme à l'écoute d'un rêve, considéré comme le déploiement de la réalité psychique de l'analysant. Il ne s’agit pas de comprendre, comme de l'extérieur, le discours de l'analysant, son « matériel », mais de s'imprégner de la réalité vivante de l'analysant.

Du bon usage des théories

 

`There are things you find nothing about in books' (Conrad 1903, Typhoon, p.131)

De toute évidence, au sein même du monde psychanalytique, « les théories psychologiques fondées sur l'investigation et la pratique analytiques » (Laplanche & Pontalis 1967) sont multiples et divergentes. Cette multiplicité et ces contradictions posent un problème épistémologique de la plus haute importance que je ne fais que signaler, car son étude nécessiterait de larges développements. Je ne mentionnerai ici que quelques éléments qui traitent du bon usage des théories.

Premièrement, il est nécessaire de maîtriser une ou plusieurs théories analytiques et d'avoir en permanence, seul et si possible avec des collègues, une réflexion théorique. J'estime qu'il est nuisible d'avoir une connaissance par trop superficielle de disons quatre ou cinq théories analytiques. Cela favorise la confusion et un manque de rigueur chez l'analyste. L’intensité et la complexité des émotions suscitées par la rencontre analytique sont telles que des repères théoriques sont indispensables, afin de ne pas être englouti dans la relation. J'adhère pleinement aux recommandations de Bion, d'être en séance « sans mémoire, ni désir ». Cela n'est cependant possible que si l'analyste est suffisamment intégré et armé de ses repères théoriques. L'analyste, tout autant que le Petit Poucet, a besoin de ses petits cailloux pour trouver son chemin.

Deuxièmement, il s'agit de ne pas confondre la réalité psychique et les théories qui tentent de la décrire ou de l'expliquer. La « métapsychologie » n'est pas à confondre avec la réalité psychique. Je souhaite à tout analyste de faire l'expérience d'un analysant qui a un discours, produit des rêves, suscite des émotions chez l'analyste, que celui-ci ne peut en aucune manière ranger dans ses tiroirs théoriques favoris. Les théories ne sont que de pauvres et déficientes approches de cette réalité psychique. Certaines se révèlent cependant être davantage de petits cailloux que des miettes de pain dans l'entreprise périlleuse de trouver son chemin.

Il faut une théorie qui soit en accord avec l'idéologie sous-jacente et porteuse de l'analyse. Si nous considérons, comme je le formule plus haut, « l'analyse est pensée et pratiquée comme une relation permettant de retrouver l'enfant perdu et souffrant et lui permettre d'exister et de grandir » et si nous considérons que la réalité psychique de l'analysant est en étroite relation avec celle de l'analyste, bref si l'essentiel du travail est centré sur la relation elle-même, il nous faudra une théorie qui puisse rendre compte de tous ces aspects.

J'aimerais mentionner deux courants théoriques qui vont déterminer dans une large mesure la technique et l'esprit de la pratique analytique.

Un premier courant théorique, représenté surtout par la self-psychology de Kohut, met l'accent sur un état premier de bonheur absolu intra-utérin et postnatal qui a ensuite été perturbé par les « lacunes inévitables des soins maternels » et que « l'enfant rétablit la perfection initiale » (Kohut 1971, p.25) par des images grandioses de soi ou de ses imagos parentales. Il s'agit de toute évidence d'une conception théorique homéostatique qui met l'accent sur un état de perfection qui a été perturbé — il n’y a pas de place pour une agressivité innée — et qu'il s'agit de rétablir. Kohut met l'accent, dans l'étiologie de la psychopathologie, sur les lacunes empathiques des parents, sans prendre suffisamment en compte la personnalité de l'enfant, c'est-à-dire l'enfant ou le nourrisson en tant qu'acteur. Une conséquence de cette conception théorique est l'importance quasi exclusive mise dans la pratique analytique sur une écoute empathique qui vise à une compréhension non traumatique de l'analysant. Le facteur environnemental (les parents, l'analyste) est posé comme déterminant par rapport au facteur individuel (le nourrisson, l'analysant) tant dans la compréhension étiologique que dans la pratique analytique.

Une seconde conception théorique, représentée par Klein et Bion, met l'accent sur ce qui se passe chez le nourrisson lors du développement et chez l'analysant dans la psychanalyse. Les tenants de cette conception théorique ne nient pas l'importance déterminante du facteur environnemental, tout en mettant l'accent sur l'activité psychique du sujet. Chez ces auteurs, l'instinct de mort ou autrement dit les tendances destructrices innées du sujet sont prises en compte tant dans l'étiologie de la psychopathologie que dans la technique analytique. Cette conception de l'analyse vise à ce que, progressivement, l'analysant puisse prendre une position de sujet, auteur et responsable de son devenir. Ceci ne sera cependant possible qu'après que l'individu ait suffisamment accepté ce que Meltzer dénomme la dépendance introjective aux bons objets : le sujet n'est pas, dans son fantasme d'omnipotence, le père et la mère de lui-même !

La première conception tend à confirmer l'analysant dans une position d'objet, de victime, une position paranoïde. La deuxième conception — c'est la mienne — vise à désenclaver l'analysant d'une position paranoïde et à lui permettre de se sentir et d'être responsable de lui-même. Ceci se traduit en termes kleiniens et bioniens, par la transformation de la position paranoïde en position dépressive[1]. Une tâche pour la vie entière!

Psychanalyse et société

 

Dès les débuts de la psychanalyse au début du XXème siècle, celle-ci a toujours exercé une certaine critique par rapport à la société. Cette dernière s'est toujours opposée à la psychanalyse. La forme et les accents de cette critique réciproque ont cependant été divers selon les temps. J'aimerais, pour conclure ces quelques réflexions énumérer quelques tendances ou idées sociétales qui tentent de miner la psychanalyse et les valeurs qu'elle sous-tend et défend.

Le danger de diagnostics réducteurs

 

Il existe une tendance actuelle à contraindre les psychothérapeutes et les analystes travaillant en milieu institutionnel à étiqueter les patients à l'aide des labels diagnostiques du DSM-IV et de ses révisions ultérieures. Il s'agit d'une négation de l'individualité, de l'originalité intégrale du sujet. Loin de moi cependant de nier l'importance des diagnostics psychiatriques en psychothérapie, surtout lorsqu'il est indiqué d'administrer des médications psychotropes en association avec la psychothérapie ou la psychanalyse. Est-il nécessaire que j’affirme ici combien est illusoire et dangereux de croire qu'on a dit l'essentiel d'une personne et de sa difficulté de vivre après l'avoir labellisée ?

La primauté de l'économique sur l'humain

La préoccupation dominante des penseurs de la santé publique et de la sécurité sociale est budgétaire. Celle-ci prône des thérapies à effets (souhaités) rapides  et à durée brève. Celles-ci sont à orientation biologique et à visée comportementale et normative. Les valeurs de bonheur, d'intimité, de respect de soi-même et de l'autre et d'amour n'entrent pas dans ces considérations budgétaires. Or, la psychanalyse met ces valeurs en avant.

L'homme-machine ou l'âme humaine

 

Le développement rapide et important de la connaissance du cerveau humain a permis entre autres de mettre au point des substances psychotropes qui ont bouleversé l'évolution de la psychiatrie dans le bon sens. L'introduction de la chlorpromazine dans les années 50 et ensuite la mise au point des neuroleptiques et des antidépresseurs ont changé du tout au tout la vie de certains malades. Cependant, certains psychiatres ont pris appui sur ces avancées scientifiques pour aborder 1'être humain de façon scientiste. Ils s'adressent à l'homme-machine et non plus au sujet ayant une âme. Il ne s'agit pas de confondre, comme l'affirment les anglo-saxons brain et mind. Il est important, pour le psychanalyste d'aujourd'hui, de mettre le sujet et son âme au centre, tout en reconnaissant l'importance de l'homme-machine.

L'inconfidentialité

 

Nous sommes à une époque où l'on parle et où l'on prône l'importance du respect de la vie privée dans la mesure où celle-ci n'est pas respectée. La tendance de contrôle des autorités politiques et de sécurité sociale visent à demander aux thérapeutes en général et aux psychothérapeutes en particulier des rapports concernant les personnes en traitement. La psychanalyse a toujours, tant au niveau de la méthode qu'au niveau des valeurs qu'elle tend à développer, mis l'accent sur le caractère unique et inviolable de la rencontre entre analysant et analyste. La chosification de la rencontre entre médecin et malade, et par extension entre analysant et analyste, se reflète par exemple dans des appellations comme « bénéficiaire » et de « prestataire de soins ». L'âme est peu présente dans ce vocabulaire. Il faut aussi en toute justice remarquer que beaucoup de psychothérapeutes et d'analystes ont mis le pied (il faudrait plutôt dire qu'ils ont tendu une main demandante) dans l'économie de marché en étant eux également des « bénéficiaires » de l'assurance-maladie.

 

[1] À ne pas confondre avec une maladie dépressive !


Docteur Michel Graulus

MIchel Graulus -

MIchel Graulus

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