Je souhaite...

Conseils de psy

Vous avez dit

/ Par Coralie Vankerkhoven / Mal-être

Vous avez dit "trauma" ?

VOUS AVEZ DIT « TRAUMA » ?
Notre époque serait-elle celle des traumas ? Il est vrai que celle-ci n’est pas avare en événements dramatiques… 

Au moment où cet article a été rédigé  (initialement pour le CERE asbl), le monde entier était pris dans une tourmente qui n’a épargné personne. Depuis des semaines, les cours de récréation, les repas en famille, bruissent de ce mot, qui à force d’être répété, devient familier tout en gardant sa part d’abstraction : coronavirus. Et puis, ce qui semblait tellement lointain et ne concernant que de vagues inconnus, vient faire effraction de manière concrète dans l’intimité des familles et dans tout ce qui fait les routines et les repères du quotidien : du jour au lendemain, on ne va plus à l’école, on ne voit plus les copains, papa et/ou maman sont à la maison, d’autres doivent continuer à sortir pour aller travailler, on ne rend plus visite aux grands-parents, on ne peut plus sortir, la mort parfois s’invite dans les conversations, on apprend qu’untel est malade…

S’il est encore trop tôt pour mesurer quantitativement et qualitativement quels seront les effets de cette crise sanitaire, tous les professionnels de la santé s’accordent à dire qu’elle ne sera pas sans conséquences de stress post-traumatique. Peut-être sommes-nous dans cette période ? 

Comment un sujet fait-il avec ce qui arrive par effraction quand tout ce qui fait son monde cesse d’occuper la place de l’autre complaisant et rassurant [1] ? L’on voit qu’a priori, tous les éléments de la rencontre traumatique sont présents : effroi, incertitude ou absence de réponse qui fasse sens … qui peuvent être exacerbés, dans ce cas présent, par le confinement.

Ce contexte particulier est l’occasion de proposer une redécouverte de la complexité de la cause traumatique des symptômes et ce, par l’approche de la psychanalyse.

Qu’est-ce qui fait trauma ? 

Le trauma, c’est ce quelque chose hors sens, ce sentiment de détresse et du sans recours face à un insensé ; soit « une situation dans laquelle le sujet est exposé à un danger qui excède ses forces » [2]. C’est une expérience d’effroi (schrek), un arrêt sur image, une effraction qui laisse le sujet sans recours, sans même les mots et qui laisse des séquelles et des traces. Le moment traumatique se définit « par la rencontre avec un danger face auquel le sujet démuni (…) est la proie d’une « excitation intraitable : c’est l’expérience de la détresse, Hilflosigkeit’, dit Freud » [3] et cela touche au corps et au vivant. Notre XXIe siècle avec son lot de catastrophes (attentats, catastrophes naturelles, agressions, harcèlements…) qui nous arrivent dans la réalité ou à travers les écrans, offre autant de conditions propices à provoquer la sidération et ce, dans une époque où les autorités traditionnelles (cellule familiale, religion, état…) ne sont plus des refuges.

Pour le dire assez rapidement, les symptômes (post-traumatic disorders) en tant que séquelles, sont une manière particulière de traiter, de traduire voire de répéter cet insensé.

A fleur de phénomène, les réponses sont aussi variées et nuancées qu’il y a de personnes et ce, d’autant que la psychanalyse privilégie le cas par cas et non pas la nomenclature-type : cauchemars, hyperactivité ou apathie, baisse des points scolaires pour les enfants, douleurs physiques, dépressions mais aussi dans certains cas, décompensation, conduites à risque… autant de maux qui ont une fonction particulière et qui interrogent, parce que quelque chose cloche. Cela ne va pas sans faire souffrir ou tout du moins interroger l’entourage proche ; tout l’enjeu est justement d’aider le sujet à se dégager de cette souffrance et de faire autrement avec ce qui lui arrive.

Essayons tout d’abord de cerner brièvement le terme de trauma en revenant à quelques fondamentaux tels que Freud a pu dégager.

On aurait tendance à limiter celui-ci à son point d’impact et ses conséquences par après. En même temps, la nature du trauma n’est peut-être pas là où on l’attend et Freud de préciser que « ce sont des circonstances d’apparence anodine qui (…) ont été élevées à la dignité de traumatismes » [5].

En écoutant ses patients, celui-ci découvre qu’à cette linéarité, il convient d’apporter la notion d’après-coup. C’est dans l’après-coup que tel ou tel événement prend sa portée traumatique non pas a priori mais a posteriori. Un second événement qui peut-être tout à fait anodin – le son d’une voix, une saynète amoureuse, …- vient donner un sens traumatique à l’événement premier, vient en quelque sorte lui donner sa signification.

Le trauma : une construction subjective

Gardons en tête cette articulation : la valeur causale et traumatique d’un événement ne dépend du caractère monstrueux de tel ou tel événement objectif que parce qu’il a été érigé comme dramatique par le sujet lui-même et ce, en fonction de ce que Freud appelait les « ressources du sujet » et son fantasme (cette petite histoire invariante qui est notre point fixe). D’une certaine manière, « faire trauma », c’est faire quelque chose de cet instant de sidération.

Ceci explique d’ailleurs qu’un même événement à priori dramatique n’ait pas la même portée pour chacun. Je pense ainsi à une fratrie de petits Syriens qui alors que les coordonnées familiales et le trajet d’exil étaient le même se distinguaient par des comportements totalement différents : tandis que l’aîné et le benjamin ont pu très rapidement développer des compétences d’adaptation au pays d’accueil et de liens aux autres (apprentissage de la langue d’accueil, insertion dans la vie scolaire…), le deuxième a rapidement montré des signes de souffrance (apathie, repli, agressivité…), la question étant de savoir si l’exil fut la cause ou a agi comme révélateur d’un drame plus ancien.

Ceci explique aussi qu’une phrase brutale ou interprétée comme violente par un enfant (alors qu’un autre s’en détachera) peut avoir des répercussions tout aussi dommageables qu’un accident de voiture. Ou pas car aucune situation n’est traumatique en elle-même, toute exaction ne fait pas nécessairement effraction.

Dans le cas de l'enfance et de l’enfance traumatisée, c’est immanquablement rentrer sur un terrain affectivement sensible où le professionnel doit être au clair avec son histoire subjective et se détacher d’une tendance générale à la victimisation. Il y a un risque que des bonnes intentions peuvent devenir traumatisantes par leurs interprétations. D’autre part, être néanmoins attentif à ne pas passer à côté de ce qui ne peut pas se voir.

Difficile dès lors de dresser un portrait-type d’un enfant traumatisé [6] aves des soins-types si ce n’est à prendre au sérieux ses symptômes et ses maux/mots comme réponse à chaque fois singulière. Mais c’est quoi un symptôme d’enfant ? Mais aussi qu'est-ce qui reste de l'enfance en nous ? 

Laisser place au temps et au symptôme… 

L’enfant d’aujourd’hui n’a jamais autant été scruté, examiné, vérifié, analysé, calibré (…) par les médecins, les psychologues, les pédagogues, les éducateurs. Tous ces spécialistes ont finalement inventé une norme de l’enfant qui s’impose comme idéal pour les parents. [7]

Alors qu’est-ce qui « ne va pas » … ?

Outre que l’enfant est dans l’entrecroisement de plusieurs demandes (celle des parents, du parent, du prof, du médecin, de l’institution) qui peuvent s’avérer contradictoires et qu’il peut subir passivement, peut-il demander pour son propre compte, en son nom propre, peut-il se savoir et se dire souffrant ?

Il s’agit par conséquent que le sujet reprenne à son compte son symptôme et l’insensé qui le sous-tend et puisse l’interroger sans que sa parole soit forcée et sans avoir l’illusion qu’elle peut « tout » dire.

Dans cette élaboration, il y a clairement une recherche non pas tant de donner du sens qu’à circonscrire ce hors-sens dans une temporalité particulière et à ré-inscrire l’enfant dans les différents lieux dont il a été chassé en lui ménageant sa place particulière et singulière de sujet désirant soit qu’est-ce que tu penses, toi ? que veux-tu en dire ? que veux-tu que nous fassions ensemble mais aussi, qu’est-ce que moi, adulte, je peux te dire pour que tu puisses t’appuyer sur moi ?… 

On peut trouver une tragique illustration dans deux cas : celui des ghettos, pendant la seconde guerre mondiale, les garçons jouaient au « passage de la porte » à la fouille par la police allemande des travailleurs forcés, au « blocus » imitant les rafles d’enfants, tandis que les filles jouaient à faire la queue, jouer des coudes et se battre pour une hypothétique boutique [8] et celui de ce père syrien faisant rire sa fillette de 3 ans à chaque déflagration de bombes [9].

« La clinique psychanalytique nous mène à considérer diverses temporalités de l’élaboration traumatique, de cette réaction du sujet à la sidération par l’informe, de cette élaboration qui prend en charge l’informe du corporel et tente d’en écrire les bords [10] ».

Cette écriture passe parfois par les mots mais aussi par le dessin, le jeu… soit tout ce qui peut mobiliser cette capacité à symboliser : c’est J., mineur non accompagné (mena) dont l’agressivité physique était décuplée par les remarques des moniteurs et des autres enfants, qui, de sans voix, a pu articuler « j’ai peur » et dessiner le monstre de sa peur. Mais aussi ce qui peut aider à faire rentrer l’intolérable dans un dialogue et dans le lien, comme R., petite Irakienne, survoltée, qui lors d’une séance de médiation avec des animaux, se calme en caressant un petit lapin et en lui chuchotant une berceuse de son pays.

Concrètement, et dans nos sociétés pressées, bousculées, c’est prendre le temps qu’une éventuelle demande de la part de l’enfant se formule à partir de l’offre et de l’espace-temps de parole. 

A cet égard, le.la professionnel.le est moins un.e éducateur.ice qu’un témoin, moins un.e soigneur.euse que le.la secrétaire recueillant ce qui se dit par l’enfant, par le sujet parlant. Sachant que ce qui se dit peut aussi passer par des symptômes qui sont plus des solutions que des clocheries. Cela éclaire « en quoi certaines pratiques de debriefing sont problématiques quand elles visent à empêcher la formation de symptômes. Elles ne peuvent alors que renforcer un point de jouissance qui laisse l’être humain dans le plus grand désarroi [11] ».

Exercice délicat en ce sens, comme nous l’avons souligné, le pire attire - comme notre œil ne peut pas s’empêcher de lorgner l’accident qui vient de se passer sur l’autoroute - et il important de ne pas être tout à fait dupes du risque non seulement de forcer la parole de l’enfant en lui injectant du trop de sens ou en projetant nos propres peurs mais aussi d’être pris malgré nous dans une position de voyeur.euse… ou à l’inverse, d’aveugle.

Délicat exercice car d’une manière ou d’une autre, les symptômes interrogent sa place dans l’économie du désir parental, parfois révélateur du malaise conjugal, voire institutionnel [12]… et dans cette économie particulière, faire offre de parole, n’est-ce pas permettre au sujet de saisir un bout de ce qui lui arrive en le faisant sien ?

Alors peut-être, pourra-t-il fredonner comme Léo Ferré

Monsieur mon passé - Faudrait bien passer - J’ai comme une envie - D’aller faire ma vie

[1] Strauss, M., Le devenir du traumatisme [2] Soler, C., Ce qui reste de l’enfance, Editions Du Champ Lacanien, 2016 [3] Soler, C., l’époque des traumatismes, Rome, Biblink éditions, 2004, p 52. [4] Voir à ce sujet l’analyse d’Amélie Dieudonné : « L’expression des maux chez l’enfant », CERE asbl, mars 2020 : http://www.cere-asbl.be/spip.php?article271 (dernière consultation le 3 avril 2020) [5] Freud, S., Esquisse d’une psychologie scientifique, Puf, p. 36. [6] Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Lacan a pu dire par la suite que nous sommes tous des traumatisés. [7] Clastres, G., Introduction au colloque « Les symptômes de l’enfant »,  [8] https://www.lumni.fr/article/le-sort-des-enfants-dans-la-shoah (dernière consultation le 3 avril 2020 [9] https://www.franceinter.fr/emissions/la-revue-de-presse/la-revue-de-pres...(dernière consultation le 3 avril 2020) [10] Douville, O., « Du choc au trauma… il y a plus d’un temps », dans Figures de la psychanalyse 2003/1 (no8), pages 83 à 96 : https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2003-1-page-83.htm?conten...(dernière consultation le 3 avril 2020) [11] Astier, M., note sur le traumatisme , dans Ecole de la cause freudienne, 2009 : https://www.causefreudienne.net/note-sur-le-traumatisme/ (dernière consultation le 3 avril 2020) [12] Voir analyse d’Amélie Dieudonné, op cit.