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La question du paternel aujourd'hui.

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La question du paternel aujourd'hui.

Psychologue et thérapeute, je travaille depuis bientôt 20 ans dans un hôpital psychiatrique pour enfants et adolescents, « La Petite Maison » à Chastre, en Belgique.
Nos patients sont encore mineurs et dépendent soit de leur famille, soit d'un milieu d'accueil de substitution, dans lequel ils seront réintégrés à leur sortie. Nous devons travailler étroitement en collaboration avec ces milieux d'origine et les rencontrer plusieurs fois par mois pour jeter des passerelles entre notre travail et la réintégration future des enfants et adolescents

Ces 20 années ont vu apparaître, disparaître, se complexifier les constellations familiales, au point de devoir régulièrement « moderniser » nos conceptions de travail pour qu'elles puissent coller au plus près de la réalité que nous rencontrions.

A l'occasion d'une demande de présentation d'un état des lieux de la question paternelle, présentation destinée aux éducateurs de l'hôpital, j'ai tenté de rassembler mes idées et mes notes de lectures ou de formations pour en tirer ce que je pensais être le fil rouge des conceptions actuelles sur le sujet.

Ce texte n'a pas pour ambition de faire le tour du sujet dans son exhaustivité ni de proposer une grille de lecture définitive des fonctions paternelles.
Il souhaite simplement rappeler qu'il n'est plus temps aujourd'hui d'imaginer que la fonction paternelle est unique et facile à définir.

La définition qui se limite à la fonction symbolique de ce qui fait tiers entre la mère et son enfant a dû être revue et corrigée par les nouvelles définitions de la famille, les progrès de la science en terme de contraception et de procréation, les changements sociaux.
De même, la conception qui désigne le père comme le représentant légal de l'enfant est-elle aussi devenue caduque pour les mêmes raisons.
Dès lors, chacun, en fonction de son lieu de parole a son idée, sa conception, sa grille de lecture, si bien qu'il est souhaitable de parler des fonctions paternelles, en lieu et place de du père et même de la fonction paternelle.

Le père unique, à la fois géniteur, légal, affectif, est devenu une denrée rare.
Penser la paternité contemporaine revient à penser une paternité déchirée, qui s'est déconstruite depuis le début du siècle et que nous sommes dès lors obligés de reconstruire en tenant compte des toutes les nouvelles données et évolutions, que ce soit au niveau sociétal, psychique, sexuel, médical, légal, politique, ethique.
Ce n'est donc pas un mince travail, mais il est d'autant plus passionnant qu'il oblige à la réflexion, à la créativité, et enfin, et même peut-être surtout, à la tolérance.

L'éclatement de l'institution du père (institution en terme de politique, social, légal) fait éclater les repères symboliques et imaginaires, oblige à repenser la fonction du père, en termes différents, ou du moins élargis, de celle du père de la filiation biologique.

Pour resituer l'évolution de l'image du père, quelques repères historiques ne seront pas inutiles :
Au temps de l'antiquité romaine, se trouvait être père, tout homme qui prenait dans ses bras un nouveau-né (souvent masculin), et le proclamait « son fils ». C'est donc l'homme qui s'autoproclamait « pater familias » d'un enfant dont il n'était pas forcément le père biologique. Souvent d'ailleurs, dans les films-peplums, nous pouvons voir des romains « adopter » sur le tard un homme adulte qui aurait perdu son « pater familial ».
Jusqu'à l'industrialisation du 19ième siècle, la puissance paternelle presque absolue se dilue avec les lois nouvelles émises à la révolution française : possibilité de déchéance paternelle pour cause de maltraitance, instauration du mariage par consentement mutuel, apparition du divorce qui peut être demandé par l'épouse, abolition du droit de déshériter un enfant, et enfin, proclamation de l'égalité de tous les êtres vivants, quelques soient leur âge sexe, origine,…

En 1935, le droit à la correction paternelle tombe en désuétude.
Dans les années 70, la notion de puissance paternelle disparaît au profit de l'égalité et autorité parentale. Si au début du siècle, le père était incontestablement nanti de tous les pouvoirs, paternels et maritaux, vers 1970, c'est l'enfant et ses intérêts qui priment. Les droits du père sont remplacés par des devoirs envers l'enfant.

L'évolution du concept de « famille » est parallèle avec ces évolutions légales et le processus d'industrialisation, et passe de la notion de famille élargie, où 3, voire 4 générations cohabitent pour subvenir à leurs besoins, à la famille conjugale, c'est-à-dire limitée au père, à la mère et aux enfants.

S'ajoutent aussi à cela, les divorces et les séparations qui démultiplient encore les possibilités de modèles familiaux et parentaux, et provoquent définitivement l'accomplissement des disjonctions des différentes fonctions paternelles.

Cette dissociation entre la fonction génitrice et celle d'éducateur, a un véritable enjeu anthropologique du fait de ses conséquences en terme de changement de place et de fonction.
Les procréations médicalement assistées (PMA) reposent également de façon aigue la question des origines, puisqu'elles n'obligent plus les pères à dire leur stérilité. Et si la PMA se fait avec donneur anonyme, cela rend possible 2 secrets autour cette question des origines.

Et si cela ne suffisait pas, cette perte progressive de puissance paternelle a produit un ensemble d'idées encore bien présentes dans l'esprit de la société.
N'entend-on par affirmer régulièrement que les hommes ne sont plus à la hauteur, qu'ils manquent d'autorité, sont faibles, absents, défaillants.
Il paraît même que certains pères vont jusqu'à confondre égalité et mêmeté, et risquent alors de se transformer en papa poule. !!!

De tout-puissants, ils seraient donc devenus carents et démissionnaires, laissant l'éducation des enfants entre les mains des mères, entraînant la sacralisation du lien et du couple mère/enfant, alors que celle-ci ne possède quasi aucun droit jusqu'en deuxième moitié du 20 ième siècle. Il faut de fait se rappeler que ce n'est qu'en deuxième partie du dernier siècle que naîtra le droit de vote des femmes, celui d'hériter, et la dépénalisation de l'IVG.

Et pourtant, ne voit-on pas fleurir toute une littérature, passionnante du reste, qui touche à la relation mère/enfant, et plus particulièrement à celle que vivent les mères et leurs filles.
Pour n'en citer que deux, choisissons ceux de M_M Lessana, qui parle de ravage, ou C.Eliacheff et N.Heinrich qui déplorent l'absence de médiatisation, de tiers entre la mère et sa fille.
Le thème du père absent, volontairement ou non y est un fil rouge pour évoquer le ravissement des filles par leur mère.

Qu'est ce qu'un père ? Qui est le père ?
C'est une interrogation, qui au vu de ce qui précède n'est pas inutile et provoque des débats contradictoires pour le moins intéressants.
Il y a aujourd'hui une transformation radicale de la parentalité, de la conjugalité, de la sexualité, de la paternité, de la filiation, pour les raisons invoquées plus haut.
Nous ne savons plus avec certitude qui est le père, ni quelle serait sa place, de même que sa fonction Nous verrons plus loin que les mères elles aussi ne sont si aisément identifiables.

Nous devons créer une nouvelle logique, précédée d'une déconstruction à la Derrida, pour qui aucun texte n'a jamais de sens définitif et possède une « auto contradiction »interne, qui invite pour chaque lecture à la naissance de quelque chose de nouveau, de différent.

Si, pour paraphraser F. Hurstel, nous ne sommes qu'au milieu du gué, nous sommes dans une dynamique de changement non linéaire, qui ne va pas sans crise, mais qui aboutira à quelque chose, et non pas au chaos total.
Ce quelque chose sera forcément limité dans le temps, car aucune théorie n'a d'universalité dans le durée (et sûrement pas dans l'espace), et n'est valable que dans le moment où elle est créée, surtout de puis que les progrès de la science se sont emballés.

L'effondrement de l'institution matrimoniale, les PMA, les homoparentalité, les monoparentalités, ont eu des conséquences sur la désignation des pères.
Les enfants peuvent avoir plusieurs pères, des pères biologiques, des pères légaux des pères de fait, des pères de cœur, des pères éducateurs, …
Il peut y avoir une disjonction entre plusieurs hommes, des fonctions du père. C'est même parfois une femme, une mère, qui assure cette fonction, dans le cadre de famille monoparentale par exemple.
Pour penser la question de savoir où il y a du père, il s'agit aujourd'hui de l'articuler au minimum autour de 3 champs différents : le champs légal, le champ psychique, le champs social et éducatif.

Le champ légal et juridique
Cette dimension n'est pas ma spécialité et je laisserai donc à d'autres, plus à même d'en faire le tour de façon constructive, la possibilité de nous proposer un état des lieux complet.

Signalons cependant qu'au niveau de la Loi, 3 critères vont entrer en ligne de compte : le mariage, la vérité biologique, la possession d'état, c'est-à-dire, la présence affectueuse et éducative auprès de l'enfant qui s'est imposée comme fondatrice du lien de paternité. C'est le dernier critère ultra moderne de la filiation.

En effet, de plus en plus, le juridique recherche un équilibre entre les liens du cœur et l'institutionnel.
C'est ainsi que la différence des droits entre enfants légitimes et illégitimes s'amenuisent, ou que ceux des « beaux pères ou mères » ont tendance à prendre de l'ampleur à travers leur droit aux relations personnelles.

En France, l'enfant ne porte plus automatiquement le nom du père, même dans le cadre de parents mariés.
Et en Belgique, la ministre Onckellinx a fait passer la loi concernant la garde alternée comme étant le principe de base en cas de divorce avec enfants.
Si ce fait établit une égalité parfaite en terme de droits pour les deux parents, elle va obliger certains pères à prendre une place qu'ils n'ont jamais prises, - quelques soient les raisons- et à remplir un rôle peut-être inconnu pour eux.

Ce ne sont là que quelques changements seulement, dont ils en existent beaucoup d'autres susceptibles de complexifier le débat.

Champ physique
Jacques Lacan a sans doute eu le mérite de tenter de répondre à cette question au moment où elle se posait, mais en des termes inexacts.
Pour lui, les relations de pouvoir sont remplacées par des relations de paroles, et ce qui compte alors pour l'enfant, c'est le cas que fait la mère, des paroles du père, de son …autorité, entendue comme autorité de la parole de celui qui est en charge d'assumer cet office de père.

En effet, si, comme le dit Pierre Legendre, le père relève de l'institutionnel, c'est-à-dire du champ légal, il n'en reste pas moins que tout homme qui assume une des 3 fonctions paternelles fondamentales, à savoir donner son nom, procréer, donner affection et nourriture, est en position de responsabilité parentale à l'égard d'un enfant, qu'il le veuille ou non.
Il est dans ce qu'il convient d'appeler le « paradigme paternel ».

Le champ psychique de savoir qui est le père a été revisité à la lumière des déchirures paternelles et a obligé à réviser l'Œdipe de Freud, à se demander ce qui, dans la fonction paternelle, tient du fondamental et de l'accessoire, depuis le déclin social de l'image du père.
Cette fonction n'est définie, pour les psychanalystes, ni par le « faire », ni par les comportements, mais par la fonction d'altérité, celle qui est d'interdire la fusion mère –enfant. Cette coupure permet à l'enfant d'entrer dans le monde du langage et de la culture. En effet, cette Loi du Père, qui coupe et interdit est en fait la loi du langage, qui met une distance entre le désir et son objet.
Pour le dire autrement, la fonction paternelle serait de couper symboliquement le lien primitif à la génitrice. Cette coupure symbolique permet à cette génitrice de devenir mère et de la référer elle et son enfant à l'interdit de l'inceste dont le père est le représentant.
En devenant parent, la mère prend sa place dans un système de nomination, dans une structure de parenté.
Elle s'inscrit dans la différence de générations et dans la différence des sexes.
Dans le même temps où la mère devient parent, l'enfant devient fils ou fille de, et doit lui aussi se différencier de la double différence des générations et des sexes, entrant alors de plein pied dans l'Œdipe.
Etre l'autre de la mère, l'homme de la mère, l'objet de son désir, est la condition structurale pour que le père soit le premier « grand autre » de l'enfant.
Le manque de ce père là entraîne donc une souffrance, une souffrance du sens.

C'est ainsi que Lacan définit la fonction du Père Symbolique qui transmet donc à l'enfant qu'il naît toujours de deux, oui mais pas seulement de deux biologiques, mais bien de deux d'un ordre symbolique des nominations culturellement organisées en système de parenté.
Daniel Sibony reprend cette idée et exprime que l'enfant descend d'un entre-deux assez vivant pour lui avoir transmis la vie à travers la vie de chacun des deux, mais aussi à travers la vie de leur lien, dont l'enfant alors n'a plus à être l'otage.
Cette fonction paternelle là est de faire naître une deuxième fois l'enfant des hommes, la première étant biologique, la seconde une naissance à l'humanité, en entrant dans le monde du langage et de la culture.
Le père pour l'enfant est d'abord un nom, un nom lié à une Loi qui structure les parentés et interdit l'inceste.
C'est fonction symbolique est donc la première des 3 fonctions œdipiennes du père.
Profitons en pour rappeler l'étymologie du mot symbole, qui vient du grec et désigne un objet coupé en deux dont le père transmet un morceau aux enfants, en signe de reconnaissance de la transmission de vie.
C'est en cela que D. Sibony a défini la fonction symbolique comme« une coupure-lien ».

La deuxième fonction oedipienne du père est celle du support de l'Idéal.
Un père Idéal, ou Imaginaire est le socle de l'idéalisation, de l'interdiction, père tout puissant jusqu'à l'adolescence, rappel de celui de la horde primitive. Le père imaginaire est le fruit de l'imagination de l'enfant, trouvant son assise dans les diverses représentations culturelles du père tyrannique, fascinant, terrifiant ou au contraire, immensément bon, adorable, parfait, sans manque.
S'il peut, dans ses outrances, provoquer des souffrances, il n'est pas sans effet bénéfique dans la mesure où il protège des effets parfois ravageant de l'image de la Mère archaïque, en ce qu'elle a de toute puissante. Le Père Imaginaire donne donc du poids au Père Symbolique.

Intervient ensuite le Père Réel, qui a fait d'une femme, que l'enfant appelle maman, la cause de son désir et l'objet de sa jouissance.
Il prescrit donc à l'enfant la castration symbolique, autrement dit le renoncement à son désir incestueux.
Par sa parole, il introduit à la dimension du désir, mais il impose d'accorder Loi et Désir. Le père du réel prend sur lui l'angoisse de l'enfant pris dans le désir de la mère.
Parce qu'il est lui-même carrant, il introduit également à la représentation de l'impossible, en ce qu'il ne peut jamais atteindre cette figure du Père imaginaire, auquel il est inévitablement comparé.

L'absence de ce père réel peut amener à une névrose obsessionnelle, tandis que le souhait de devenir le père idéal peut rende l'enfant fou. Tous les pères doivent être carrants, manquants, eux aussi soumis à la Loi, pour permettre à l'enfant d'advenir comme sujet.
L'absence de père symbolique ou forclusion du nom du père (terme d'origine juridique qui signifie devant être considéré comme nul et non avenu) rend compte de la clinique de la plupart des psychoses.

Au vu des ces trois types de fonctions paternelles, on est loin du Pater Familias des Romains, qui s'autoproclamait père.
Dans le champ psychique, il est donc important de souligner qu'un père se fabrique par les mots de la mère, les fantasmes de l'enfant, la présence de celui qui est parent.
En bref, le père serait un ensemble de fonctions fabriquées par la mère, l'enfant et lui-même.
Un homme ne devient donc père qu'à travers la conjugalité et le rapport à son enfant et à son propre parent (transgénérationnel).
Il s'agit là de tout un travail intrapsychique qui demande une énergie féroce pour aboutir à ses remaniements et assumer ces 3 fonctions.

Champ social
Pour compliquer encore la tâche des pères, le champ social des fonctions paternelles est triple également.
Françoise Hurstel, psychanalyste et chercheur au CNRS à Strasbourg, pense quant à elle,qu'il est impossible aujourd'hui de parler des fonctions paternelles sans croiser les fonctions psychiques et les fonctions sociales, sans oublier le champ légal que nous n'avons fait qu'effleurer.

Les 3 fonctions paternelles du champ social se déploient ainsi :
Le père comme donneur de nom ou père légal est celui institutionnalisé par le juridique, qui détermine les modes de transmission du nom et des biens.
Rappelons qu'en France l'enfant peut également porter le nom de la mère, même s'il est né dans le mariage, ce qui pourrait provoquer une possible déconstruction du concept de Nom du Père.

Le père comme rôle social et familial, celui qui est nourricier, éducateur est indifféremment assumé par un homme ou une femme. C'est celui qui fait lien entre l'intérieur et l'extérieur, entre la famille et le social.
Le père comme géniteur, comme procréateur, avec toutes les variantes et inconnues qu'introduisent les adoptions, les PMA,…Dans certains de ces cas là, le géniteur peut n'être qu'un statut juridique.

Au travers de ces 3 champs distincts qui provoquent la disjonction de toutes les fonctions paternelles, il devient périlleux d'y repérer ce qu Françoise Hurstel nomme encore le père oedipien.
Sa proposition est de déclarer « père oedipien », celui qui vient en tiers entre la mère et son enfant, mais pas de n'importe quelle manière.

Pierre Legendre met à notre disposition une formule forte pour le définir : »Pour un enfant, le père est celui qui est enlacé dans le désir de la mère. Le père oedipien, appelé par un enfant, est celui que sa mère lui préfère, celui avec qui elle a des relations de désir ».
Encore faut-il que cet homme là réponde à l'appel de l'enfant et vienne effectivement occuper cette place de tiers qui empêchera la fusion avec la mère, mais qui de plus ne sera jamais en relation duelle avec lui, ce qui annulerait sa position tierce.

Si le père convoqué, pour des raisons institutionnelles, personnelles, historiques, ne peut plus être un principe séparateur, surgit alors le fantasme de la mère qui devient prégnant.
On peut alors passer de l'imago paternel à l'imago du pair, du frère, du même.
Les enfants sont alors mal séparés de la mère, ils restent dans la nostalgie de la mère, de son image.
Ex : père légal du WE=père de vacances, qui a peu de possibilités de trianguler ses relations à l'enfant avec la réalité des exigences scolaires, éducatives, …Il peut alors risquer de se transformer en super GO, ou en père-copain.

Pour illustrer cette fonction de tiers séparateur qui permet à la génitrice de devenir mère, c'est à dire d'être séparée de son enfant, de tenir plus à son lien avec lui qu'à sa jouissance, ne nous privons pas de rappeler la belle Parabole du jugement de Salomon :

• Deux femmes réclament la maternité d'un enfant. Toutes deux avaient accouché d'un garçon, et l'une d'elle avait provoqué la mort d'un des deux par étouffement, en jetant « accidentellement » une couverture sur lui durant une relation sexuelle avec un homme. Elles font appel au jugement du Roi Salomon, qui n'est ni le père légal, ni le père éducateur, et encore moins le géniteur. Il est par contre le père symbolique en ce que il est appelé par l'une des deux mères, un père imaginaire car il incarne la figure du père royal, et un père réel, car il parle, reprend à son compte la parole de la mère, va poser un acte avec son glaive, pour trancher entre la filiation mensongère et véritable, creuser un écart entre la mère et son enfant. C'est au moment où il s'apprête à couper en deux l'enfant réclamé par les deux femmes, que la mère véritable est reconnue en ce qu'elle préfère perdre la jouissance de son enfant et garder son lien avec lui, en le conservant en vie, quitte à le donner à une autre. Est donc déclarée mère, celle qui accepte la séparation d'avec son enfant.

Cette jolie parabole démontre combien, autant le père que la mère transmettent la Loi, mais avec des modalités différentes, des positions psychiques différenciées.
C'est le chœur des parents qui assume l'héritage, et non le fait de l'un ou de l'autre séparément.
La mère ouvre l'espace paternel à son enfant, et le père remplit cet espace.

Cette Loi, que transmet le chœur des parents n'est pas seulement du côté de l'interdit, mais lui situera également sa parentalité, lui donnera une place généalogique.
C'est aussi une Loi qui met de l'espace dans le corps à corps, dans un but positif, à savoir permettre à l'enfant de répondre à l'invitation : « va vis et deviens », et qui donne une place au langage.
En effet, n'oublions pas que l'objet est constituer dans la haine et que le : « Non, tu ne tèteras plus », est la première castration symboligène.

Outre d'éclater la paternité, la multiplication des modèles familiaux et parentaux a un impact sur la gestion du fait que le générationnel n'est plus en lien avec le généalogique.
Il y a dès lors un brouillage générationnel psychique qui a un impact sur la fréquence des deux types d'inceste :
L'inceste classique à savoir des relations sexuelles avec son enfant. Qu'en est-il dès lors que l'enfant est adopté ou en accueil ?
L'inceste de deuxième type, qui consiste à avoir des relations sexuelles avec la mère et avec la fille, à savoir inceste générationnel en ce qu'il y a télescopage des générations.
Ex : Woody Allen qui vit maritalement avec une enfant adopté par sa femme, mais dont il a été le père éducateur.

Mais, me direz-vous, qui remplace, sans l'être pour autant, le père Oedipien si aucun homme n'est « enlacé dans le désir de la mère » et si l'enfant est en danger de devoir prendre cette place ?
Est- ce là la place de certaines institutions comme la nôtre ? Quelle fonction paternelle remplissons-nous dès lors que nous tentons de séparer l'enfant de sa mère pour lui permettre d'advenir en tant que sujet ?

Pour faire bonne mesure par rapport à Lacan et F. Hurstel, il est juste de faire appel à Robert NEUBERGER qui résume à sa façon la complexité des fonctions paternelles dans la phrase « UN père, ça n'existe pas » et qui propose quant à lui un modèle sous la forme de tableau dans un soucis de clarification.

Fonction rôle
Père de famille
Affilié au groupe social Chef de famille Interface maison/société
Fader
Père éternel
Universel
Loi Père de la castration Défusion
Père de la mère
Interdit de l'inceste

Atta
Père papa
Filiation d'amour Educateur
Nourricier
Initiateur
Père adoptif Subvenir aux besoins
Support identificatoire

Père certain
Filiation biologique Père de la biologie
Géniteur
En paillette Fécondation in vitro
Donneur du sperme

Enfin, avant d'en finir avec ce qui n'est jamais qu'une courte introduction au thème des fonctions paternelles, je ne peux me priver du fait d'évoquer encore deux figures.
La première est bien connue de tous, puisqu'il s'agit de Freud, père de la psychanalyse, mais fils mécréant (au sens propre du terme) de la juivité.
Freud notait que les juifs n'avaient jamais fait aucune des découvertes majeures de l'histoire humaine, telle que la roue ou l'écriture, mais que « le génie juif se manifestait dans la production de grands délires religieux. »
Notons qu'il a lui-même démentit son affirmation en étant à l'origine de la psychanalyse.
De plus, à y regarder de plus près, les grands délires religieux tournent tous autour d'un même point : la mise à jour de la fonction du Père.
En effet, la Loi Mosaïque, en introduisant le monothéisme, a introduit la fonction paternelle, épine dorsale de la psychanalyse.
On a beau être fils mécréant, on n'en reste pas moins fils !

La deuxième et dernière figure que je voudrais évoquer découle de la première, puisqu'il s'agit du 7ième commandement, qui n'existe sans doute que pour contrarier la phrase de Freud : « Le père réel n'est que conjecture ».

« Tu ne commettras pas l'adultère »

Marc-Alain Ouaknim, philosophe, rabbin, et féru de psychanalyse, dans son livre sur « Les 10 commandements », sous-titre le 7ième de la phrase : « être capable d'entendre la parole de la filiation ».

Par adultère chez les juifs religieux, il faut entendre la relation entre un homme et une femme mariée à un autre homme.
Il y a adultère à chaque fois que cette union cause une impossibilité à répondre au « Qui suis-je ? » de l'enfant.
L'adultère est donc surtout la question de l'enfant adultérin, c'est-à-dire des conséquences de cet acte pour la filiation et la transmission de la généalogie.
C'est donc la question de l'éthique ontologique, et non pas celle de la morale ou de la fidélité dans les liens du mariage.
L'adultère ne peut être qualifié de tel qu'avec une femme mariée, c'est-à-dire engagée par sa parole dans l'ordre de la filiation, qui désigne le père aux enfants qu'elle aura.
L'adultère serait risquer de produire une filiation impossible à assumer, impossible à dire et à inscrire dans un futur, parce que le lien avec le passé est rompu.
Ce n'est pas pour rien qu'en hébreux, l'enfant illégitime se nomme « mamzer », ce qui se rapporte aux mouvements des astres, et signifie littéralement « rouage purement physique, corps en mouvement sans liberté propre »
Son poids sémantique et la guématria aboutissent à lui donner la signification de « celui pour qui la bouche est quelque chose d'étranger », c'est-à-dire, celui dont le langage ne parvient pas à construire l'identité.
L'enfant illégitime n'a pas accès à une parole qui permet de l'insérer dans l'ordre de la vie, avec ses relations symboliques importantes. Pour le 7ième commandement chez les juifs, l'adultère, plus qu'un acte d'infidélité à la relation d'amour, est une relation qui provoque une interruption de la parole, parole qui se transmet dans le cadre d'une éducation, d'une relation père/fils, d'un bain social.
L'adultère est ce qui provoque l'anomie, ce qui crée un brouillage des re…..pères.

Fort de toutes ses ébauches de réflexion, quelles pistes avons-nous pour penser la paternité à travers les différentes sortes de cellules familiales ?

En cas de séparation conjugale, jusqu'à il y a peu, le père se trouvait dans la difficulté de participer à l'éducation de son enfant, mais aussi de donner corps à la fonction séparatrice entre la mère et l'enfant, du fait d'un droit de garde réduit, de conflit avec la mère de l'enfant, …
Bref, les séparations rendaient souvent plus difficile l'assomption de la fonction paternelle, ce qui n'est pas sans effet sur l'enfant devenant père à son tour.
Par exemple, pour cet enfant devenu père, comment plus tard ne pas exercer à l'égard de sa descendance, la position d'enfant roi, dès lors qu'on a pas dû la quitter par manque de père par exemple.
N'y a-t-il pas risque d'émergence de pulsions agressives, à l'égard de ses propres enfants, qui remettent cette position en question du fait même de leur existence.
Comment devenir père si le nôtre a été absent, n'était pas là lors de sa convocation ?
Comment éviter le risque de décompensation psychotique dès lors que la place du père a été écartée par la mère, provoquant la forclusion du Nom du Père, caractérisant son inconscient par la non inscription du symbolique.
Dès lors, que la paternité vient le solliciter à une place qu'aurait dû garantir une insertion symbolique préalable, non seulement il ne peut que faire défaut, mais cette paternité vient tordre ses repères qui lui servaient de béquilles.

La place du beau-père est également à définir pour que diminue chez l'enfant les conflit de loyauté qui paralyse son développement psychique.
Si un beau-père existe, le fait de vivre avec une femme qui a des enfants le contraint à jouer un rôle auprès de ceux-ci. Certes, ni tout à fait en retrait, ni contrôleur, il ne peut remplacer le père biologique.
Mais, mettre les deux pères en présence pour les faire négocier au sujet de leurs rôles respectifs est essentiel pour l'enfant.
Dès lors, ce n'est plus la mère qui introduirait le père, mais le père qui introduit le beau-père.
N'est-ce pas là une belle révolution !!

En cas de procréation médicalement assistée, le père peut être confronté à un imaginaire qui lui fait voir le médecin comme le vrai père, voire comme l'amant de la mère.
Si de plus il y a un donneur de sperme, se pose la question de la suprématie de la paternité symbolique, adoptive, sur la paternité biologique.

A son arrivée à la Mosaïque où elle a été conduite par son « père », Stéphanie lui glisse une lettre à ouvrir de retour chez lui. Ravi et impatient, le père ouvre la lettre et n'y trouve qu'un seul mot : le nom du gynécologue qui a réalisé l'insémination artificielle grâce à laquelle elle a été conçue.
Quel partage des places faut –il inventer, qui inclut non seulement le père, le père du père, mais aussi le médecin et le donneur. ? Cela demandera sans aucun doute un fameux travail sur les notions de rivalité.
Par contre, la PMA n'oblige plus à parler de la stérilité du père, et à pouvoir la cacher s'il le souhaite, ce qui provoquera par contre un secret sur les origines.

La notion d' homoparentalité est nouvelle également, car aucune société jusqu'à présent, quelques soient les fictions utilisées par leur système de parentés, même unilinéaires, n'a instauré de modèle familial unisexué. Toutes ont donné un rôle évident à la différence de sexes.
Pourtant, aujourd'hui, les couples homosexuels peuvent s'arranger entre eux pour procréer un enfant qui ait figure paternelle et maternelle de complément, et organiseraient à cette fin leur mode de paternage et de maternage, le port du nom, les droits de visites,…
Certaines procréations médicalement assistées réalisées dans le cadre de l'homoparentalité aboutissent pour les enfants à avoir deux mères biologiques, certains ovules d'une femme étant implantés chez la compagne de celle-ci.
Si la PMA se fait avec donneur connu, ce dernier pourrait reconnaître l'enfant contre le gré de ses deux mères.

Toutes ses formules montrent combien il y a confusion dans les notion de maternité et de paternité, du contenu de leur rôle, du risque d'instrumentalisation de l'homme ou de la femme, et surtout celle de l'enfant lui-même, plus que jamais objet de la toute puissance des adultes.
Comment faire croire à un enfant, sans commettre de déni de la réalité, que l'Un est l'Autre, que deux hommes ou deux femmes sont un père et une mère ?
Comment donner une signification chargée de sens à sa filiation unisexuée ?
Dans l'ordre symbolique des Lois, qui institue les liens humains à la croisée de la différence des sexes et des générations, comment établir la filiation d'un enfant à l'égard de deux personnes du même sexe, ou d'une pléthore de géniteurs ?
Les opinions sont partagées à ce propos.

Certains pensent que l'homoparentalité évacue tout ce qu'un enfant doit à la relation désirante entre son père et sa mère, qu'elle fait fi de la découverte de son identité à travers le jeu subtil d'identification et de différenciation des sexes opposés.
A ne pas vouloir discriminer les couples homosexuels, on en arriverait à faire des discriminations au niveau des enfants.
Ils tiennent à rappeler que ce n'est pas aux enfants de s'adapter aux inventions des adultes, mais aux adultes de se poser des questions sur les conditions nécessaires pour que ces enfants puis déployer toutes les dimensions de leur humanité.

D'autres au contraire, tel Jacques Derrida, se basent sur l'invariant qui demeure encore toujours, (mais pour combien de temps ?), de la réalité biologique de la fabrication d'un être humain, qui est de nécessiter un homme et une femme, ce qui suffirait à l'enfant pour l'inscrire dans la différence des sexes.
Pour lui, la réalité sociale de l'homoparentalité n'est plus à ignorer et il n'est plus temps de s'insurger contre ce fait, d'autant que la normalité des familles n'est pas la garantie infaillible du bonheur de l'enfant.
La représentation et la différence des rôles parentaux peuvent parfaitement exister dans les couples homosexuels, sans pour autant que soit nier la différence des sexes, puisque la relation homosexuelle n'est pas indifférence sexuelle, ni relation a-sexuelle, mais autrement sexuée.
Il va même plus loin, en invitant la psychanalyse à évoluer et intégrer « ce qui arrive », ce qui est déjà là, pour aider le sociétal à penser et digérer les changements qui de toutes façons sont déjà incontournables.
Il n'en veut que pour exemple l'obligation face à laquelle se trouve la psychanalyse de remettre en question, de déconstruire l'affirmation de Freud selon laquelle seule la mère serait certaine. En effet, la mère est-elle celle qui vient d'accoucher, la donneuse d'ovocytes, ou celle qui s'apprête à reconnaître l'enfant, l'adopter ?
Comme pour le père, l'identité de la mère dérive aussi d'un jugement, et non pas de certitudes biologiques que l'on pensait inébranlables….

Pour Derrida, « ce qui reste encore et toujours inaltérable, c'est qu'il y a, ou qu'il y ait, de la famille, du lien social organisé autour de la procréation ».

Il est d'ailleurs tentant de lui laisser le mot de la fin, tant il me parait mal aisé de tirer une conclusion de ces quelques réflexions sans risquer de fermer le débat, ce qui serait tout à fait en contradiction avec notre démarche d'être en chemin, toujours en chemin….

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