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Conseils de psy

La souffrance des enfants boucs émissaires

/ Par Dimitri Haikin / Enfants

La souffrance des enfants boucs émissaires

 

L'expression «bouc émissaire » est bien connue dans le langage courant.
On la définit généralement comme «la personne sur laquelle on fait retomber les torts des autres. » De tous les temps, les hommes ont ainsi eu recours à des boucs émissaires pour porter les maux du monde qui les terrorisaient, ce qui a parfois donné lieu à des tragédies dans l’histoire de l’humanité.
Sur le plan familial, des drames sont gardés sous silence quand des enfants sont utilisés comme boucs émissaires, ce qui les laissent avec le sentiment d’être en marge d’eux-mêmes et des autres.

Un peu d'histoire
À l'origine, l'appellation « bouc émissaire » référait au rite religieux pratiqué par les Juifs au cours des célébrations du Yom Kippour, afin de se purifier des péchés commis par la collectivité tout au long de l'année et ainsi implorer le pardon de Yahvé.
On recourait alors à deux boucs qu'on destinait à des fins différentes : le premier était immolé à titre de sacrifice expiatoire alors que le second était choisi comme émissaire, c'est-à-dire comme porteur des fautes du peuple à l'extérieur de la communauté, dans le désert.
De telles cérémonies sacrificielles ont été utilisées dans plusieurs cultures pour tenir à l'écart les forces du mal.
Tous ces rites avaient pour but de conjurer les fléaux de l'humanité, comme les épidémies, la famine ou la mort, souvent interprétés par le peuple comme étant le reflet de la colère des dieux devant les péchés des membres de la communauté.
Il s'agissait donc d'éliminer le mal en le transférant magiquement et entièrement à une personne, à un animal, à une plante ou à un objet dont on pouvait ensuite disposer, avec l'espoir de réparer ainsi l'offense faite aux divinités.
On voit là la préséance d'une pensée magique qui cherche à exclure un contenu indésirable en le déposant à l'extérieur de soi et de la collectivité.

Toute culture a ses propres règles de fonctionnement et cherche à se protéger des comportements, des émotions ou des pulsions qui lui paraissent étrangers et qui la déstabilisent.
Cette réaction d'autodéfense est d'autant plus vive en période de crise.
Le chaos et la confusion qui règnent alors dans les structures sociales laissent le peuple en proie à la détresse, à l'agitation et souvent à l'impuissance.
La chasse aux boucs émissaires devient donc une tentative pour rétablir l'équilibre et donner une illusion de contrôle en faisant porter la responsabilité d'une souffrance à une seule personne ou à un groupe d'individus minoritaires.

Le choix d'une victime repose généralement sur un amalgame de données réelles ou imaginaires, enflées par la perception « distorsionnée» de la majorité ou de quelques persécuteurs influents dans la collectivité. En fait, « les boucs émissaires sont souvent ceux qui démontrent des qualités extrêmes : richesse ou pauvreté, beauté ou laideur, vice ou vertu, force ou faiblesse ».
On cherche à museler le plus puissant ou à manipuler celui qui paraît plus impuissant que soi.
« Les victimes sont rejetées, blâmées ou au mieux dévalorisées, tout simplement parce que leur fonctionnement ou ce qu'elles représentent n'est pas estimé par la culture.»

Caractéristiques des victimes types
Les victimes types sont plus angoissées et souffrent d’un manque de confiance plus grand que l’ensemble des élèves.
Ce sont des élèves timides, sensibles et calmes. Ils se mettent plus facilement à pleurer lorsqu’on les «agresse» et se renferment sur eux-mêmes.
Ils souffrent également d’un sentiment d’infériorité et ont une image négative d’eux-mêmes et de leur situation.
Ils considèrent bien souvent qu’ils ne valent rien, se sentent stupides, honteux et indésirables.
A l’école, les victimes sont souvent des élèves seuls et délaissés. Normalement ils n’ont aucun bon camarade dans leur classe.
Leur comportement n’a cependant rien d’agressif ni d’agaçant.


Profil du bouc émissaire
Traits qui caractérisent souvent (mais pas toujours) le bouc émissaire:
- la violence et le langage agressif ou brutal les rebute

- ils ne savent pas comment ils doivent réagir à l’agressivité des autres
- ils sont plutôt faibles physiquement
- ils sont plutôt introvertis
- ils ont tendance à se comporter de manière docile ou serviable
- ils ont peu d’assurance dans leurs contacts sociaux
- ils sont souvent plus angoissés que les autres enfants
- ils n’osent pas s’affirmer et défendre leurs propres intérêts
- ils ont peu d’estime de soi et ils finissent par croire que les autres ont le droit de les tracasser («parce que je le mérite»)
- ils se sentent plus souvent seuls que les autres enfants (parce qu’il finissent par perdre presque tous leurs amis)
- ils ne perçoivent pas très bien les règles ou les normes qui prévalent au sein d’un groupe
- ils réagissent de manière peu adéquate quand ils sont mis sous pression:
- en fondant en larmes
- en se conduisant d’une manière servile,
- en se mettant à dénoncer ou en recourant à des flatteries
(ce qu’aucun groupe n’accepte),
- en essayant de se racheter (par des friandises, de l’argent ou d’autre
cadeaux)
- en essayant sans succès d’imiter les brimeurs


Comment reconnaître un bouc émissaire?
a) En dehors de la maison:
Signaux primaires:

• les victimes sont souvent traitées durement par les autres enfants (elles sont humiliées, raillées, on leur fait de la peine, elles sont traitées inamicalement, subissent des moqueries, elles sont exclues)
• les victimes ne réussissent pas à se défendre
• les vêtements et les autres effets des victimes sont salis, détruits, endommagés ou «disparaissent»
• les victimes portent des traces visible de leur tabassages: hématomes (sur le bas des jambes, le dos, le visage, les bras, les parties sexuelles), égratignures, vêtements déchirés,…


Signaux secondaires:
• les boucs émissaires sont souvent seuls, ont peu ou pas de camarade de jeu ou d’amis qui recherchent leur compagnie
• lors de la formation d’équipes, ils sont souvent les derniers choisis ou sont laissés de côté
• ils cherchent la compagnie rassurante du prof, surveillant, moniteur
• ils sont crispés, angoissés, manquent d’assurance, ils préfèrent passer inaperçus
• ces enfants ont l’air abattu ou dépressif: ils semblent peureux, malchanceux, larmoyants; sans raison visible, ils se comportent comme des chiens battus;
• ils sont souvent absents, soit dans le sens littéral, soit dans leurs pensées
• certaines victimes s’arrangent pour n’arriver à l’école qu’au tout dernier moment (ou même trop tard) et s’en vont immédiatement après le cours évitant ainsi la persécution à la cour de récréation

b) A la maison
Signaux primaires:
• rentrer à la maison avec des vêtements froissés ou déchirés, avec des livres endommagés, avec des lunettes brisées ou un vélo cassé
• des bleus, les cheveux arrachés, des égratignures et d’autres blessures qui ont été causées de façon anormale
 

Signaux secondaires:
• n’avoir que peu ou pas de contacts extrascolaires avec des camarades de classe ou des amis;
• n’avoir aucun véritable ami avec qui passer son temps libre et avec qui on cherche spontanément un contact régulier;
• être rarement, voire jamais invité à des petites fêtes et n’éprouver aucun besoin d’en organiser soi-même (ils sont ou se sentent peu populaire);
• avoir peur ou être terriblement stressé à l’idée de devoir retourner à l’école après le week-end ou après une période de vacances: migraines, maux de gorge, d’estomac, crampes, pertes d’appétit, allergies;
• choisir un trajet inhabituel pour se rendre à l’école ou pour revenir à la maison; ils partent très vite ou particulièrement tard à l’école;
• avoir un sommeil agité (cauchemars, insomnies), se réveiller trop tôt;
• manquer d’assurance, surtout en société, et se faire aussi discret que possible;
• perdre tout intérêt pour le travail scolaire; leurs résultats reculent
• avoir souvent peur, être triste, découragé ou présenter des changements d’humeur imprévisibles, accompagnés de brusques et soudain accès de colère;
• demander ou voler des friandises ou de l’argent pour amadouer le persécuteur.

Cas vécus
- Une élève de 6ème primaire, que les autres élèves harcelaient en lui piquant ses affaires et en la tapant.
Toute la classe était contre elle. Une des raisons de ce phénomène, se trouvait être sa tenue vestimentaire.
En effet cette fillette s’habillait comme une «poupée» alors que ses camarades avaient un style de vêtement plus classique.
Son attitude plus enfantine que les autres élèves, jouait également un rôle dans sa situation car elle était en retard par rapport à eux et ses réactions fortes « encourageaient » presque les persécuteurs.
Une psychothérapie de 6 mois lui a permis de comprendre les mécanismes sous-jacents à sa problématique, à changer d'apparence physique selon ses désirs et à s'affirmer davantage en gagnant en confiance en soi.

- Interview d'un homme ayant été victime d’isolement dans sa jeunesse.
Q: Pendant combien de temps avez-vous été victime de persécutions?
R: De la 1ère primaire à la 6ème.

Q: Quel était le type de ces persécutions (plutôt physique, moral…)
R: J’étais plutôt isolé, je ne jouais pas avec les autres, au football par exemple. Je me sentais un peu différent des autres. Je lisais beaucoup plus que les autres enfants. J’aimais spécialement les livres de chevaliers et je me sentais un peu dans ce monde-là, d’où ce décalage que je ressentais.

Q: Par combien de personnes étiez-vous persécuté?
R: Toute la classe n’était pas contre moi, c’étaient plutôt 2-3 élèves, ceux un peu turbulents, les élèves un peu «leader» de la classe.

Q: Pourquoi pensez-vous avoir été la cible de ces persécutions? Pourquoi vous et non une autre personne? A quoi cela est-il dû?
R: A mon avis, c’est parce que j’étais trop gentil, j’acceptais beaucoup de choses sans rien dire, par exemple de donner tout mon goûter à mes autres camarades, on peut presque dire que je me laissais marcher dessus. Le manque de confiance en moi était sûrement aussi une des causes de cet isolement de même que la timidité. J’étais quelqu’un de timide et je n’osais pas aller vers les gens de peur de les «déranger».

Q: Est-ce que vous en parliez? (professeurs, parents, amis…)
R: Non jamais car je sentais une gêne d’en parler et j’avais toujours ce sentiment de paranoïa, cette peur de déranger, d’embêter l’autre avec mes problèmes.

Q: Aviez- vous à l’époque des problèmes familiaux?
R: Non, je n’en avais pas mais il est vrai que mère avait tendance à me surprotéger.

Q: Est- ce que quelqu’un est intervenu?
R: Non, il n’y a jamais eu d’intervention. A part une fois, nous étions en classe et un des élèves m'a particulièrement énervé. Ça a commencé par de méchantes paroles et ça a fini en bagarre, c’est à ce moment que l’institutrice est intervenue. Sinon elle n’a pas cherché à améliorer la situation.

Q: Comment vous en êtes-vous sorti?
R: J’ai changé d’école, donc de fréquentations. J’ai rencontré des nouvelles personnes et j’ai mieux choisi les gens avec qui je passais mon temps. Je me suis aussi pas mal remis en question. J’ai cherché à savoir si tout ceci venait de moi. Cette remise en question m’a changé et je pense avoir pris un peu d’assurance.

Q: Quelles conséquences ces persécutions ont-elles eu sur votre vie?
R: Je pense qu’elles m’ont renforcé. Maintenant je vois les choses différemment et je les prends moins au sérieux, j’ai pris du recul et je me laisse moins marcher dessus.

Conclusion
Ne laissez pas votre enfant s'enfermer dans la solitude de sa souffrance. Aidez-le à verbaliser. N'oubliez pas que les enfants ne peuvent pas tout gérer seul et qu'en tant que parent nous devons nous concerter avec tous les adultes concernés : enseignants et autres parents.
L'intervention d'un médiateur scolaire peut s'avérer nécessaire également afin de conscientiser les comportements de la classe.

 

Dimitri Haikin
Psychologue clinicien, Psychothérapeute et Formateur