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Se faire partenaire des parents en psychothérapie

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Se faire partenaire des parents en psychothérapie

Les réticences de Sylvain à venir me voir sans sa maman s'évanouissent quand je lui dis qu'il peut apporter quelque chose de chez lui. Il vient dès lors à chaque séance avec un sac contenant plusieurs jeux de société. Il m'explique avec soin les règles. Je lui demande conseil sur les stratégies à suivre. Il est très fort et gagne quasiment à tous les coups, moyennant quelques petites tricheries. Il enchaîne les jeux à la suite les uns des autres de la première à la dernière minute de la séance, parlant le minimum nécessaire au jeu. Il me fait part des nombreuses parties gagnées brillamment contre sa mère. Il faut savoir qu'il possède une trentaine de jeux et que chaque week-end, les parents jouent à des jeux de société avec leurs trois enfants.

Après deux séances, la maman m'interpelle dans la salle d'attente me demandant si je me suis bien amusée…

Me sentant un peu houspillée par la mère, la séance suivante, j'invite Sylvain à parler, s'il le veut, de « ces enfants qui l'embêtent à l'école », mais il peut aussi jouer. Il me répond qu'il aime bien jouer avec moi, que ses parents n'ont jamais le temps.

Je décide alors de rencontrer la maman seule. Elle me parle des difficultés de la vie quotidienne : Sylvain rouspète toujours au lieu d'obéir, il doit toujours avoir raison, c'est épuisant. Comme elle me demande pourquoi son fils est comme ça et comment faire avec lui, je me risque à lui expliquer que Freud et Lacan ont émis l'hypothèse que certains enfants ont une logique telle qu'ils supportent particulièrement mal la demande de l'Autre.

Elle me dit aussi qu'il y a quelques années, comme son fils, elle était envahie de sentiments. Par exemple, quand quelqu'un parlait dans la rue, elle pensait qu'on parlait d'elle. Grâce à la sophrologie, elle a appris à créer autour d'elle une bulle pour ne pas se laisser atteindre. L'horreur serait pour elle de se laisser influencer par les autres, d'être comme tout le monde, fondue dans la masse.

Pendant quelques séances, lorsqu'elle vient conduire Sylvain, elle me tient au courant de ses observations et manœuvres : elle a remarqué que Sylvain n'aimait pas qu'on lui adresse des demandes quand il était occupé à autre chose mais que, dans la voiture, elle peut lui parler. Elle essaie de programmer à l'avance ce qu'il doit faire pour ne pas le brusquer avec ses demandes.

Mais, à nouveau, elle s'impatiente : « Il faudrait que vous parliez avec lui, au lieu de jouer ! Il ne se confie qu'à moi. ». Sylvain, sous la pression de sa mère, et malgré mon intervention lui indiquant qu'il n'est pas obligé de parler, m'en dit quelques mots en séance : « J'aimerais ignorer ceux qui m'embêtent . Un peu ça va, mais si ça dure trop longtemps, je m'énerve et dois me défendre. ». Je lui réponds que ça ne va pas que ce soient les autres enfants qui décident de son énervement, que lui seul peut décider s'il ignore ou s'il se défend. Toutefois, à la fin de la séance, il dit, en présence de sa mère, qu'il ne viendra plus qu'une seule fois.

Je fais alors la proposition à la maman de la rencontrer à nouveau. Elle en a assez de se faire agresser par d'autres parents à cause de son fils ou par les gens en général. Elle trouve qu'ils sont égoïstes et qu'ils rejettent toujours la faute sur les autres.

Elle me fait part de ses valeurs éducatives, héritées de son père : elle a toujours laissé ses enfants choisir. Chacun doit avoir sa vie privée, être lui-même, ne pas se laisser influencer par les autres, par les normes.

Comme j'avais remarqué qu'elle prenait beaucoup de temps à donner des explications à son fils sur des choses aussi intimes et personnelles que ce qu'il ressent ou les raisons de son comportement, je me risque à lui dire que même si ses observations sont fines et ses explications correctes, il s'agit d'explications, de savoir, qui viennent d'elle et qu'il faudrait peut-être que Sylvain trouve ses explications, ses solutions à lui. Elle me rétorque qu'elle ne lui fait que des propositions et que d'ailleurs souvent elle le remballe avec ses questions, lui montrant qu'elle ne sait pas. Elle me donne un exemple : Sylvain demande à sa mère ce que contient une lettre qui vient d'arriver. Elle le remballe lui disant qu'elle n'en sait rien, qu'il l'ouvre pour savoir. Je précise alors que le remballer n'a peut-être pas le même effet de non savoir que si elle l'interrogeait lui sur ses hypothèses. Elle pourrait lui poser des questions naïves concernant le contenu de l'enveloppe, pour soutenir son savoir à lui. Subitement, elle semble touchée et reconnaît que son fils est très dépendant d'elle. Il lui pose souvent des questions comme si elle avait réponse à tout, y compris par exemple sur le temps qu'il allait faire. Du coup, elle se montre intéressée par cette idée de savoir ne pas savoir.

Sur le pas de la porte, sur un ton de confidence, elle me dit qu'elle va le laisser choisir s'il veut poursuivre ou non ses séances, mais, que cela ne va pas être facile parce qu'elle a plutôt l'habitude de décider, comme son père.

Depuis ce moment précis, Sylvain se met à me parler et à faire un autre usage de ses jeux.
Pendant quelques séances, il me parle de petites anecdotes de sa vie et élabore de petites constructions métonymiques à partir de ses jeux : ainsi, il encercle un magicien, le trempe dans du miel et des fourmis puis le cuit au barbecue. Il arme un bonhomme légo jusqu'aux dents et l'appelle Sylvain.

Mais ce qui prédomine surtout, c'est l'usage qu'il fait des règles de ses jeux. Un jour, il applique des règles bizarres et, docilement, je le suis. Après coup, il se demande s'il a appliqué les bonnes règles et pose la question à son père. Depuis lors, il m'avertit quand il modifie les règles, me demande mon avis. Il invente des jeux, invente des systèmes de comptage, demande s'il peut tricher. A d'autres moments, sur le point de tricher il se reprend et propose qu'on triche tous les deux. Ou encore, il me fait perdre puis s'en excuse et me donne une compensation.

Néanmoins, l'éventualité de perdre reste pour lui encore problématique. Il dit que j'ai trop de chance et s'acharne sur le dé.

Récemment, il a décidé d'amener des jeux qui dureraient plusieurs séances (Monopoli, Magellan) et pour lesquels il faudrait prendre des notes pour la fois suivante.

Trois temps

Dans ce travail, où deux subjectivités sont en jeu, celle de l'enfant et celle de la mère, je distinguerais trois temps.

1) Être docile à faire une place au sujet

Une place est faite d'emblée au sujet, en position de savoir, et à ses objets (ses jeux). Dans son travail sur l'autisme, E. Laurent parle d' « organe supplémentaire » pour nommer ces objets qui auraient pour fonction, faute de la signification phallique, de tenter d'inscrire le sujet. Mais cette inscription nécessiterait pour se réaliser un partenaire auprès duquel le sujet puisse faire une série de vérifications. Je me prête donc docilement à ces vérifications. Je lui demande conseil, je le laisse gagner, je le laisse planifier la séance.

2) Se faire partenaire de l'Autre parental, comme sujet

La maman me critique devant son fils « vous devriez travailler au lieu de jouer ». Du coup, quelque chose se ferme sur le versant de l'enfant, il ne veut plus venir. Sans doute, parce que je me trouve critiquée par sa mère qui se fait Autre du thérapeute. C'est elle qui fait la pluie et le beau temps, incarnant l'Autre du tout savoir. Et lui, l'enfant, se fait objet de sa mère. Pour ouvrir une perspective, je fais le calcul de rencontrer la mère, de lui faire une offre. En l'écoutant, en me faisant Autre d'elle, elle se met à me parler d'elle, comme sujet, et une bascule s'opère. Elle en vient comme sujet à reconnaître sa position aveugle de savoir à la place de l'enfant. Elle reconnaît qu'en tant qu'Autre de l'enfant, elle sait, « elle a l'habitude de décider, comme son père ».

3) consentement de l'enfant, comme sujet

Dès ce moment, la porte s'ouvre pour l'enfant, comme sujet. Il peut se mettre à parler, élaborer, construire. Par son travail avec les règles, cet enfant indique bien que la seule règle qui vaille est celle de l'énonciation. Si l'Autre est bien sous la règle de son énonciation, l'enfant se précipite pour faire intervenir les règles du jeu. Il vérifie qu'il y a bien une place pour son énonciation avant de pouvoir éventuellement consentir à la règle –règle du jeu, règle du lien social.

Du côté de l'enfant :
Si l'opération qui permet au sujet psychotique de se créer un point d'ancrage qui l'arrime dans le lien social se réalise habituellement en deux temps (traitement de l'Autre, d'une part, construction du sujet, d'autre part), ici, le passage de l'un à l'autre a été précipité par un changement de position de la mère.

Du côté de la maman :
Dans un premier temps, elle n'en sort pas avec son fils et le confie à quelqu'un supposé savoir y faire. Mais elle est sur ses gardes, elle a peur que je ne m'amuse.
Dans un second temps, comme sujet, elle me parle de l'envahissement de ses sentiments. Elle avait essayé il y a quelques années, à l'aide de la sophrologie, de faire une ligne de démarcation entre elle et l'Autre, mais ça n'a pas suffi à lui faire une place comme sujet. Parallèlement, comme sujet, elle est prête à se laisser éclairer en tant qu'Autre de l'enfant, à s'en servir et à se laisser surprendre par les résultats. Elle m'explique ce qu'elle fait, on travaille ensemble. Entre le premier temps où elle est sur ses gardes et le second où elle se confie et se laisse éclairer, quelque chose a opéré pour elle.

D'où opérer ?

Ma position n'est pas la même selon que je m'adresse à la maman comme sujet, où il s'agit d'incarner un Autre qui ne sait pas, un Autre qui s' « entame », ou selon que je m'adresse à elle comme Autre de l'enfant, où la question est alors de savoir comment l'inclure dans le calcul d'où opérer.

Elle pense que je m'amuse. Le problème, c'est moi. Il y a trop de réel. Elle se méfie. J'ai à entamer le réel dont je fais partie en portant une entame du genre « gare à moi si je m'amuse ! ».

En portant sur moi cette entame, en incarnant une position de non savoir, de soumission aux hypothèses de Freud et de Lacan, je « taille » une place à l'énonciation de la mère, comme sujet. Une fois ouvert ce champ où elle est entendue comme sujet, elle se découvre n'être rien d'autre que l'objet de son père et m'autorise à l'éclairer. Attentive au savoir dont son fils a besoin, elle peut se laisser distraire de son tout savoir sur ce qui convient à l'enfant. Elle consent à s'associer à ma position de savoir ne pas savoir, à s'adresser à l'enfant à partir d'une position réglée.

Les parents nous convoquent comme leurs enfants, nous devons nous faire partenaires. Ils peuvent créer avec nous un champs où l'enfant peut « se produire ». C'est en gardant l'hypothèse du sujet pour l'enfant et pour la mère que quelque chose a pu opérer.

Garantir à la mère son énonciation propre a été un temps logique nécessaire pour que l'enfant puisse décoller son fil du champ de l'Autre et trouver son énonciation à lui. L'élaboration de l'enfant nécessite maintenant une certaine durée. Comment va-t-il pouvoir accepter de perdre au jeu sans se retrouver perdu par l'Autre ? Comment va-t-il apprivoiser, à l'aide d'un Autre réglé, l'Autre du hasard, par définition non réglé ?

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