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La Zébritude : Plaidoyer pour un monde sans rayure

/ Par Egide Altenloh / Etre soi

La Zébritude : Plaidoyer pour un monde sans rayure

Quand j’étais petit, je regardais des dessins animés à la télé le dimanche matin, accompagné d’un pistolet beurre/Nutella et d’une tasse de Nesquik chaud. Parmis les dessins animés que je préférais il y avait Lucky Luke. Non pas que j’appréciais particulièrement le cowboy solitaire, il ne m'attirait pas plus que cela. Ce que j’aimais bien dans ce dessin animé était les frères Dalton. Joe, Jack, William et Averell Dalton sont quatre protagonistes se baladant en pyjama rayé et passant beaucoup de temps à échafauder des plans tarabiscotés pour des butins ridicules. Joe, le petit, a beaucoup de difficulté à gérer sa colère. Jack, le second, est plus calme et posé et s’intéresse à la politique. William lui, sait lire, et est le plus cultivé des Dalton, mais il fait preuve de peu de jugeotte. Averell, grand, gentil, il aime les animaux et est le souffre douleur de ses frères. Bien que leur plans tombent systématiquement à l’eau, il semblerait qu’on leur reconnaisse un “haut potentiel” de nuisibilité, car la simple évocation de leur arrivée dans les villages provoque immanquablement tohubohu et agitation désordonnée.

Les épisodes de Lucky Luke les plus amusants commencent souvent en prison où l’on voit les Dalton en train de casser des cailloux, de faire exploser une poudrière par accident ou se faire arrêter dans leur tentative d’évasion, bien malgré lui, par Rantanplan.

Les rayures sont le signe de l’emprisonnement dans cette bande dessinée. Les costumes rayés sont un signe identificatoire. Si vous portez un costume rayé, vous êtes prisonnier. C’est bien connu. Ce phénomène est exactement le même que pour zèbre ou HP. Si vous faites partie de ces “animaux”, selon les croyances répandues actuellement, vous êtes prisonnier de vos pensées, de votre sensibilité, de votre intelligence et de votre créativité hors norme. Vous cassez des cailloux sans toujours savoir pourquoi, vous mettez le feu accidentellement à la poudrière de vos émotions et êtes très vite arrêtés dans vos tentatives d’évasion par Rantanplan. Avouez que c’est franchement pas de bol.

Les rayures sont les barreaux d’une prison mentale dorée pour bon nombre de personnes. Cette prison là est une chouette une prison, les choses y sont bien réglées, tout y est prévisible. Si je fais A, alors il se passe B. Je fais partie des pyjamas jaune et noir. Mercredi c’est jour des frites. 

Imaginons un instant que l’on supprime les barreaux de la zébritude, que vous fassiez le deuil de l’argent dépensé en livres divers vous caressant dans le sens du poils, que se passerait-il ?

Vous seriez alors libre. Libre de pouvoir apprendre à fonctionner d’une façon qui marcherait mieux pour vous dans vos différents contextes de vie. Vous n’êtes plus obligé d’agir et de penser comme un zèbre, vous n’êtes plus obligé de bugger sur le moindre mot qui ne correspond pas à votre définition personnelle universelle de celui-ci. 

Imaginons un instant que, lorsque vous étiez “zèbre”, dans cet autre monde où cela existerait, vous ressentiez un sentiment d’incompréhension face au monde, que vous passiez beaucoup de temps dans votre tête et peu dans votre corps, que vous passiez beaucoup de temps à réfléchir et peu de temps à agir, que vos émotions vous semblaient par moment incontrôlables, que vous buggiez sur des détails et des injustices. Mais dans notre nouveau monde, il n’y a pas de rayure pour vous sauver la mise et expliquer ce phénomène. Vous êtes donc en partie responsable de ce qui vous arrive, de ce que vous faites et de ce que vous dites. Zut alors. Que faire ?

Imaginons un instant que vous ayez le courage d’enlever votre pyjama, de vous habiller (façon bohême ou casual, peu importe) et de parcourir le monde en assumant ce que vous faites et ce que vous dites, comme une grande personne. Imaginez un instant que vous assumiez le fait d’avoir des jugements de valeur, de considérer les autres comme des “cons”, non pas parce qu’ils n’ont pas de rayures, mais tout simplement parce que vous, et vous seul, faites un jugement de valeur en vous positionnant en “non-con”. Et que finalement vous vous rendiez compte que vous êtes aussi “con” que les autres, avec ou sans rayure. 

Vous seriez amené à changer. Vous seriez amené à vous adapter à vos contextes de vie en respectant qui vous êtes et qui est l’autre, pleinement, sans rayure d’aucune sorte. L’intelligence n’est pas un handicap, mais une faculté destinée à nous adapter au mieux à notre environnement. On ne peut pas la diagnostiquer, cela n’a pas de sens. On peut l’identifier, à la limite, un peu comme on prendrait la mesure de l’entre-jambe pour un costume. Donc il ne faut pas espérer recevoir un jour, dans ce monde sans rayure, une carte de stationnement “HP” pour avoir une meilleur place de parking au Delhaize. 

Dans ce monde, comme pour toutes choses concernant ces habitants, il y a des variations. Certaines personnes auront une excellente ouïe, d’autres un nez fort fin, d’autres encore une très bonne vue. Dans ce monde, on ne crée pas de catégories comme “lapins”, “tamanoirs” ou “aigles” pour désigner ces personnes si particulières. 

Dans ce monde, si vous avez une intelligence élevée et que vous rencontrez des problèmes, ce n’est pas à cause de votre intelligence. Que du contraire. L’intelligence compense grandement de nombreuses difficultés. Dans ce monde, si vous avez des problèmes, vous en auriez eu bien plus si vous n’étiez pas intelligent. 

Dans ce monde, les choses sont définies de façon opérationnelle, mesurable, testable. Dans ce monde, on s’est rendu compte que la créativité et l’intelligence ne vont pas nécessairement ensemble. Dans ce monde, intelligence et sensibilité sensorielle ne sont pas nécessairement liées. Dans ce monde, si votre pensée part dans tous les sens, c’est plus parce que vous avez une faible inhibition cognitive que parce que vous portez des rayures. Dans ce monde, tout le monde peut avoir des difficultés avec ses émotions. Dans ce monde, tout le monde se sent par moment seul, différent, incompris et trouve une bonne partie de la population assez “bêtes”. Dans ce monde, tout le monde cherche à former des groupes par affinités. Dans ce monde, tout le monde est épris de justice. Dans ce monde, tout le monde est semblable de par sa différence aux autres.

Pour entrer dans ce monde, c’est simple, il vous suffit d’enlever votre pyjama, de mettre des vêtements et de sortir de votre tête pour vous engager dans la vie, la vraie, celle qui se trouve au-delà des murs de votre prison.

Si vous faites cela, vous verrez que, même quand il pleut, il y fait souvent bon.

Au plaisir de vous croiser sur les chemins.