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Conseils de psy

L'ère du Mcfulness : Voyage aux limites de la pleine (in)conscience

/ Par Egide Altenloh / Vivre zen

L'ère du Mcfulness : Voyage aux limites de la pleine (in)conscience

« Every day for us something new

Open mind for a different view

And nothing else matters »

— James Hetfield, 1991.

« Le fulness, ça [me] gonfle … »

— Maarten Aalberse, 2016.

J’ai récemment posté sur Facebook un coup de gueule concernant la méditation de pleine conscience. Mon histoire avec cette pratique remonte à de nombreuses années, une bonne vingtaine en fait. Je pratique et propose des groupes utilisant en partie le processus. La pleine conscience, dans certains contextes et avec certaines personnes, est un outil efficace. Je ne suis pas nihiliste, je ne remets pas en cause son efficacité, loin de là. La pleine conscience, n'est pas une bonne pratique à explorer, c'est une excellente pratique dans de nombreux domaines de vie.

Ce que j'appelle pleine conscience est aussi connu sous le nom de méditation "open mind". C'est cette forme de méditation qui est étudiée la plupart du temps par les scientifiques lorsqu'ils parlent de pleine conscience. Et encore, dans les protocoles dit de pleine conscience, il y a beaucoup de pratiques autres que la méditation open mind. La définition de Jon Kabat-Zinn en est très proche.

Cependant, il existe d'autres choses que l'on appelle aussi pleine conscience.

Il y a la pleine conscience comme approche de la spiritualité comme le Zen par exemple. 

Puis il y a le Mcfulness. En fait, actuellement, dès qu'on est un tant soit peu attentif à ce qui se passe autour de nous, on dit que c'est de la pleine conscience. D'une définition opérationnelle on passe à un fourre-tout où dès qu'on fait un truc avec attention, calme et/ou lenteur, c'est de la pleine conscience. Cette récupération, c'est ce que j'appelle le McFulness.

Le problème, comme vous le voyez, c'est que des scientifiques étudient une des nombreuses pratiques Zen et que des personnes peu scrupuleuses vendent leur produit dans un embalage scientifico-spirituel bienveillant. Achetez mon produit, c'est bon pour vous. Imaginez un vendeur de voiture déguisé en moine bouddhiste qui vous assure qu'avec sa bagnole, vous allez atteindre la spiritualité, le bien-être, l'éveil et que c'est vraiment top.

Nous en sommes arrivés à un tel engouement que l’on ne parle plus que de ça. En fait, tout ce qui semble bien, devient de la pleine conscience. Il faut faire sa vaisselle en pleine conscience, faire des câlins en pleine conscience, faire l’amour en pleine conscience, accoucher en pleine conscience, éduquer ses enfants en pleine conscience, et bientôt on devra mourrir en pleine conscience.  Tu es anxieux ? Fais de la pleine conscience Egide ! Tu es déprimé ? Fais de la pleine conscience Egide ! Tu te mets en colère ? Fais de la pleine conscience Egide ! Tu n’es pas heureux dans ta vie ? Fais de la pleine conscience Egide ! Tu te manifestes contre l’hégémonie de la pleine conscience ? Fais de la pleine conscience Egide ! Et si on ne le fait pas, la société nous culpabilise avec « bienveillante » du genre : « oh, c’est dommage, tu rates tellement de choses » parfois suivi d’un : « puis tu sais, c’est scientifiquement validé »… Dans le cochon, tout est bon. Dans la pleine conscience aussi donc ?

Pourquoi d’un tel engouement ?

Ce n’est pas parce qu’on est fan de Pink Floyd ou de Maxime le Forestier qu’on pratique la pleine conscience. Non, ce n’est pas nécessaire. Un corpus de résultats de recherche toujours croissant (on approche des 20 000 références quasi-sérieuses) met en évidence les bénéfices de la pleine conscience à différents niveaux. Certaines recherches mettent en évidence que les personnes capables de pleine conscience dans leur vie quotidienne rapportent plus de bonheur que d’autres, expérimentent plus de sens dans leur vie, ont une intelligence émotionnelle plus importante, font preuve de plus de compassion pour soi et ont une meilleure capacité à faire face au stress chronique. Pour en savoir plus sur les bénéfices qui sont associés à la pleine conscience, de faire un petit tour sur internet il suffit de vous rendre dans une librairie et d’acheter le premier livre venu qui porte le mot « pleine conscience » dans son titre et vous aurez probablement une revue assez substantielle de ceux-ci. Si vous avez un logo du type « bestseller » dessus, c’est encore mieux. A choisir, allez voir du coté de Mr Kabat-Zin, considéré comme l’initiateur de l’introduction de cette pratique dans la médecine occidentale. Ou encore Mr Kotsou, dont les écrits ne manquent jamais de références bibliographiques scientifiques de qualité. 

Alors, pourquoi cette véhémence Egide ? 

De délivrance, la pleine conscience est devenue une prison aux atours de bienveillance et d’amour altruiste ou les barreaux sont en bambous, des sols en mandalas, avec des coussins et des bancs dans les coins, des petites clochettes et des bols chantants ici et là y rythmant le quotidien. Bienvenue dans l'ère du Mcfulness ! L’ici et maintenant est devenu la nouvelle règle à suivre. La pleine conscience, bien malgré elle, est devenue le nouvel opium diffusé par des gourous nouvelle génération. Tous présents ! Tous maintenant ! Contrôle de l’attention ! Contrôle du stress ! Contrôle des émotions ! Plus de productivité ! Plus de calme ! Plus de confort émotionnel ! Plus de … lâcher prise ! Revenir, ici, maintenant, à chaque pas, à chaque souffle, toujours, tout le temps, comme si il n’y avait que maintenant que la vie valait la peine d’être vécue.

Et c’est induire les gens en erreur.

Une grande force de l’être humain est sa capacité à se projeter dans le passé et l’avenir. Sans projection, il n’y aurait pas de conscience écologique, nous n’aurions pas de relation épanouie, nous ne pourrions pas prendre distance par rapport aux difficultés que nous rencontrons, nous ne pourrions pas nous rappeler les bons moments passés avec un être cher, cultiver la mémoire de nos anciens, prévoir une surprise à l’élu(e) de son coeur. Sans projection, nous ne pourrions pas espérer un lendemain meilleur. Une différence majeur avec la pleine conscience est qu’il s’agit de s’immerger pleinement dans le passé ou le futur et d’y savourer ce que la réminiscence ou l’anticipation nous offre. La similitude avec la pleine conscience est le coté pleinement engagé du comportement.

Une autre grande force de l’être humain est sa capacité à la rêverie, à l’imagination. Que serait la richesse de l’art sans les doux rêveurs, que serait la médecine sans l’imagination. Le monde a besoin de personnes qui rêvent des histoires et nous les écrivent, le monde a besoin de « savants-fous » qui nous inventent le monde de demain, le monde a besoin d’artistes qui bousculent nos représentations du monde. Le monde à besoin de penseurs et de philosophes. Ce qui fait la richesse de notre monde, ce n’est pas la pleine conscience, c’est la variété de nos potentiels expérientiels et notre agilité émotionnelle, cognitive et comportementale.

Le sens de la vie ne se réduit pas à faire sa vaisselle en prenant conscience de chaque geste et de la température de l’eau, non. Pour ma part, il est plus enrichissant de repenser au WE passé avec ma grande fille, à ces moments de complicités, de perdre la notion du temps dans une des discussions joyeuses que nous avons eues. Je me sens bien quand je fais ça. Je ne suis pas avec mes mains dans l’eau et les assiettes. Je ne suis pas avec ma respiration. Je ne suis pas avec mes sensations physiques. Je suis profondément déconnecté de l’ici et maintenant. Ce n’est pas de la pleine conscience. 

En thérapie, un moyen de traiter de nombreuses difficultés psychologiques est l’imagination. Cette imagination peut avoir le même effet que la pleine conscience dans le rapport aux pensées et expériences diverses. Par exemple, au lieu d’observer vos pensées, vous pourriez imaginer Monsieur Blabla, un être qui n’arrête pas de parler, juger, critiquer en train de vous parler. L’idée est de l’aborder comme on aborderait les choses avec un autre être humain : s’il vous dit des trucs pas très sympas, ne réagissez pas, laissez le parler, branchez vous sur vos valeurs et avancez … il finira bien par vous emboiter le pas. Je raconte de nombreuses histoires à mes patients, j’utilise de nombreuses métaphores, souvent créées sur le moment. Cette faculté est davantage le fruit du mindlessness que du mindfulness. 

Le Mindlessness est un concept décrit par Todd Kashdan et Robert Biswas-Diener dans leur livre « The upside of your dark side ». Ils partent du principe que notre corps et notre esprit savent ce qui est bon pour nous. Nous respirons sans devoir le faire consciemment, nous sentons, nous voyons, nous nous déplaçons … car nous sommes programmés pour le faire depuis des générations. Le mindlessness intervient dans la créativité, l’intuition, les prises de décisions. Et ce n’est qu’une toute petite partie de l’enseignement que peut nous amener ce livre.

Par ailleurs, les conclusions d’un rapport du United States Agency for Healthcare Research and Quality, portant sur la pleine conscience (le lien est ici : https://www.effectivehealthcare.ahrq.gov/ehc/products/375/1830/Meditatio...) permettent de modérer ce « tout est bon dans le cochon ». En effet, la pleine conscience a plus d’effets sur la santé et le bien-être que de ne rien faire (effet modéré mais significatif), mais lorsqu’elle est mise en comparaison avec d’autres stratégies, comme la relaxation, l’exercice physique, la thérapie cognitivo-comportementale en groupe, la lecture de livres spirituels, elle n’a pas plus d’effet, voire est moins efficace dans certaines circonstances. Vous me parlerez sans doute des changements structurels au niveau du cerveau que la pleine cosncience induit comme une preuve de c'est vraiment top comme intervention. En effet, la pleine conscience crée des changements mesurables dans le cerveau. Cependant, fumer des cigarettes aussi, voir régulièrement des amis aussi, pratiquer régulièrement un sport aussi, apprendre un instrument de musique aussi et faire une thérapie ... aussi. En fait, notre cerveau change dès que nous faisons un apprentissage. Cela fait plus de 20 ans que cela est communément admis dans la communauté scientifique. Saviez-vous qu'une Thérapie Cognitivo-Comportementale arrive même à changer l'expression de certains gènes ? Et bien oui. Est-ce exceptionnel ? Non. L'expression des gènes est modulée par notre environnement et nos comportements. Alors, en quoi le fait d'apprendre la méditation est-il si révolutionnaire ? Tristement, je pense de plus en plus qu'il s'agit d'une question d'argent. La pleine conscience est devenu un "produit" marketable et déclinable ad nauseam. Regardez-y de plus près, vous vous rendrez compte que l'on frise les stratégies de vente de Coca-Cola, McDo et consort. Déjà en 2013, Purser et Loy tirait la sonnette d'alarme (lien disponible ici : http://www.huffingtonpost.com/ron-purser/beyond-mcmindfulness_b_3519289....). Nous sommes en 2017, et rien ne semble arreter le Mcfulness ...

Je dirais pour conclure ce billet que la pleine conscience n'est qu'un outil parmi d’autres, quitte à me fâcher avec ceux qui prétendent que la pleine conscience est bien plus qu’un outil mais que c’est un art de vivre, une philosophie qu’il faut embrasser pour sauver l’humanité d’une destruction inévitable (je force le trait, mais on en est pas très loin). Je ne renie pas le fait que pour certaines personnes, la pleine conscience peut faire partie d’un chemin de développement personnel, tout comme la musique, la danse, la course à pied, la photo, le macramé ou le coloriage peuvent être des moyens de développement de soi pour d’autres. La pleine conscience est mieux qu'un placebo passif mais pas mieux qu'une autre intervention, voilà ce que nous disent les études. En d'autres termes, si vous ne savez pas quoi faire, installez-vous confortablement et ne faites rien et, du mieux que vous le pouvez, faites-le bien. Mais si vous faites d’autres choses qui vous correspondent, que cela permet d’enrichir votre vie et celles des personnes qui vous sont chères, alors foncez, vous êtes dans le bon. 

Comme le dit James Hetfield : « Life is ours, we live it our way  … and nothing else matters ».