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Conseils de psy

Se respecter pour éviter de se faire manipuler : la règle d'or des gentils ?

/ Par Egide Altenloh / Etre soi

Se respecter pour éviter de se faire manipuler : la règle d'or des gentils ?

Comment en suis-je arrivé là ? Pourquoi n’ai-je aucune estime pour moi ? Si ça tombe, c’est de ma faute, j’ai été trop gentil …

Voilà quelques phrases que l’on peut se dire à soi-même lorsqu’on sort d’une relation avec un manipulateur.

Tout d’abord, une précision importante : on ne peut pas être trop gentil. Comme le dit si bien Marcel, un gars plein de bon sens : "On peut être trop couillon, mais pas trop gentil".

Pourquoi en êtes vous arrivé-là ? Par gentillesse, c’est fort probable. Vous avez été bon et cela s’est "retourné" contre vous. Est-ce pour autant une mauvaise chose que d’être gentil ? Non, certainement pas. C’est l’une des forces les plus fondamentales de l’humanité.

Cependant, notre monde n’est pas fait que de gentils. On s’ennuierait si c’était le cas. Il y a aussi les requins, les piranhas, les sangsues, qui ont tous un rôle à jouer dans la comédie humaine. Afin de ne pas se laisser manger tout en continuant à diffuser la gentillesse autour de nous, il est nécessaire de développer une facette trop souvent oubliée par les gentils de tous poils : le respect de soi.

Le respect n’est pas l’affirmation de soi. C’est une façon de se reconnaître pleinement, sans jugement, sans filtre positif ou négatif. Le respect de soi nous prémunit contre toutes les stratégies communes des manipulateurs comme la critique, la louange, le manque de considération, la violence, la menace et la peur.

Je viens du sud de la Belgique, d’un pays où les arbres font partie de la famille et où la rudesse est une sorte de dénominateur commun aux êtres que j’ai pu côtoyer et avec qui j’ai eu le grand honneur de grandir. Parler de compassion, d’amour de soi ou de tout autre concept un peu mielleux ne parle pas beaucoup aux gens du coin. Parlez-leur de respect et vous aurez alors accès à leur coeur. Le ciment des relations (à soi et aux autres) est le respect. Dans ce pays, on sait qui tu es, qui est ton père, qui est ta mère, et même si on ne t’aime pas, tu seras respecté. Dans ce pays, on s’en fout d’être aimé par tout le monde. Dans ce pays, c’est le respect qui est valorisé.

Le respect est indépendant de l’amour, c’est ce que j’ai appris dans ces contrées.

Et ce n’est pas totalement idiot.

Un manipulateur pourra vous aimer sans pour autant vous respecter. C’est pour cela qu’il est parfois si compliqué de quitter un manipulateur, car il est bien possible qu’il vous aime, sincèrement. Mais il ne vous respecte pas. Et vous non plus d'ailleurs. Puis vous le pardonnez, car ce n'est pas si grave, puisqu'il vous aime ... Connaissez vous l'effet paillasson ? Quatre chercheurs (1) ont évalué l'impact des petits pardons sur le respect de soi et le concept de soi des "pardonneurs" (les gentils). Et bien il apparait que pardonner dans certaines circonstances, comme le fait que le partenaire "en faute" ne reconnaisse pas ses fautes ou ne tienne pas ses engagements pour se faire pardonner, érode le respect de soi et diminue la clarté du concept de soi (on se perd un peu de vue, on s'éloigne de ce qui compte pour nous). L'effet paillasson est commun chez les gentils. Il est cependant possible de l'éviter. Cela passe par retrouver et/ou cultiver un respect authentique pour soi-même. Pour les professionnels qui s'intéressent aux alternatives au pardon, en lien avec le respect de soi bien entendu, je conseille la lecture de l'article de Mashuq Ally (2) qui, chose rare en relation à cette thématique, n'encense pas le pardon à tout vent et propose une perspective plus contextualisée de celui-ci.

Dès le moment où les personnes commencent à se respecter, elles n’acceptent plus certains comportements, et le font comprendre. C’est de l’affirmation de soi, en effet, mais qui découle naturellement d’un respect de soi retrouvé. Dans une série d'études,  Daniela Renger (3) montre que le respect de soi (définit comme le fait de se considérer comme ayant les mêmes droits et la même valeur intrinsèque que tout être humain), est un précurseur de l'affirmation de soi. Cela signifie que sans le respect de soi, il y a peu de chance de s'affirmer de façon convaincante. 

Un des grands avantages du respect sur la plupart des autres atitudes envers soi (acceptation, estime, tolérance ...) est que le respect est catégoriel (4). C'est-à-dire que le respect est accordé pleinement ou n'est pas. Il n'y a pas de demi mesure possible ce qui rend la pratique bien plus simple. Etes vous prêt à vous considérer comme un être humain autonome, ayant une valeur et une dignité intrinsèque ? Que feriez vous si vous vous accordiez, juste quelques secondes, le statut d'être humain pleinement ? Pleinement signifie que vous n'êtes pas, pendant quelques instants, sous-quelque chose ou pas assez quelque chose. Cela n'entre pas en ligne de compte ici. Que vous diriez-vous à vous-même si le reflet dans le miroir de votre salle de bain n'était pas qu'un simple reflet mais une vraie personne ? Faites l'expérience suivante : regardez-vous dans les yeux et saluez-vous, respectueusement, sans frioriture, sans adulation, sans "t'es trop génial tu sais" ou à l'inverse sans "tu n'es pas à la hauteur", simplement, authentiquement, sincèrement. Un vrai bonjour emprunt de respect pour la personne que vous avez en face de vous.

Ne passez plus trop de temps à essayer de booster votre estime, votre affirmation ou votre amour pour vous. Sans respect, tout ce que vous ferez pour vous estimer, pour vous affirmer ou vous aimer sonnera creux, comme une coquille vide. Essayez plutôt le respect, la méthode des-gens-de-la-forêt, et vous verrez la différence. Vous sentirez la substance, la masse, le poids de vos actes ainsi que la stabilité et l’enracinement profond que le respect vous procure.

Se respecter n’est pas s’aimer ou mettre en évidence ses qualités, c’est se considérer pleinement, sans jugement de valeur, avec ses forces ET ses faiblesses. Ce n’est pas agréable, mais c’est nécessaire pour retrouver la stabilité et la force, tranquille, intérieure.

 

Notes

(1) - Luchies, L. B., Finkel, E. J., McNulty, J. K., & Kumashiro, M. (2010). The doormat effect: when forgiving erodes self-respect and self-concept clarity. Journal of personality and social psychology, 98(5), 734.

(2) - Ally, M. (2014). Forgiveness and non-forgiveness: The defence of self-respect in alternative responses to wrongdoing. koers, 79(1), 1-8.

(3) - Renger, D. (2017). Believing in one’s equal rights: Self-respect as a predictor of assertiveness. Self and Identity, 1-21.

(4) - Van Quaquebeke, N., Henrich, D. C., & Eckloff, T. (2007). “It’s not tolerance I’m asking for, it’s respect!” A conceptual framework to differentiate between tolerance, acceptance and (two types of) respect. Gruppendynamik und Organisationsberatung, 38(2), 185-200.